ceflaires il déduit toute la ftruélure de l'Uni
vers, & une explication entière des phénomènes
de la nature. I l va encore plus
loin. I l ofe fonder les vues duTout-Puif-
fant, ôc prétend que la même quantité de
mouvement fe conferve toujours dans le
monde, & que Dieu ne touche plus à fbn
ouvrage. I l a commandé une fois , & la
nature ne cèffe de fuivre ce commandement
: SemèljuJJît tfemper par et*
C ’eft a'inn que ce grand homme forme
une méthode; qu’il donne la clef de l’Univers,
en expliquant par elle tous les myfte-
res qui s’y opèrent ; qu’il foumet les mou-
vemens des affres à des loix ; qu’il crée une
nouvelle Phyfique ; ôc qu’il éleve un édifice
immenfe, lequel renferme un cours
complet de Philo fophie. I l porte dans les
Mathématiques la même lumière. L ’A l gèbre
change entièrement de face entre fes
mains. Il perfectionne la G éométrie, indique
les progrès qui relient à faire, ôc tire
la ligne que tous les efforts de l’efprit humain
ne pourront franchir.
Sa vie privée n’eft pas moins étonnante
que fes productions. Dès fa plus
tendre jeuncfle, il fe voue au fervice du
genre humain. I l jure au pied des A u tels
de ne travailler que pour la gloire de
Dieu. I l s’enfevelit dans une folitude, ôc
fe livre aux méditations les plus profondes
& au recueillement le plus abfolu.
Ennemi de la gloire, fans ceffe occupé des
autres , & s’oubliant prefque lui-même ,
il refufe la qualité même de favant. Quoique
né d’une famille illuftre ôc relevée par
tous les éclats de la naiflance, il dédaigne
de profiter de cet avantage. Il ne jouit
pas même d’une fortune alTez confidéra-
ble qu’il tient de fes peres, & il en fait un
facrifice aux hommes, en l’employant à des
expériences. Un habit de laine ôc un manteau
forment fon vêtement. I l fe nourrit
avec des alimens communs & fans apprêts,
Ôc méprife tous ces grands titres & ces
honneurs auxquels fa naiflance, fes richef-
f e s , & plus encore que tout cela, fon
grand favoir , lui donnoient droit de prétendre
Enfin, jamais mortel n’a réuni plus
de grandeur d’ame à des connoilfances fi
.variées, fi étendues ôc fi fubliines. L e L e c teur
en jugera. Voici une hifloire exa&e
de fa vie.
René Descartes naquit à la Haye en
Touraine le 31 Mars 1 C ’eft une
petite Ville fituée fur la riviere de Creufe,
entre Tours & Poitiers. Son pere nommé.
Joachim Defcartes, était Confeiller au Parlement
de Bretagne. Il fortoit d'une Mai-
lon qui efl considérée comme une des plus
nobles, des plus anciennes St des mieux
appuyées de la Touraine. Il avoit époufé
Jeanne Brochard, fille du Lieutenant Général
de Poitiers, dont il eut trois enfans.
L ’aîné fut Seigneur de la Brétailliere, de
Kerleau,de Trémondée,de Kerbourdin, ôc
Confeiller en la même Cour de Parlement
de Bretagne. L e fécond enfant étoit une
fille qui époufà Pierre Rogier, Chevalier,
Seigneur du Crevis ; & le dernier efl notre
Philofophe. I l fut baptifé le 3 A v r i l , &
nommé René par fon parrain. Sa famille lui
donna encore le furnom de du Perron, qut
étoit une petite Seigneurie dont (on pere
jouifloit, & qu’il eut dans la fuite pour
fon partage.
D escartes vint au monde avec une fi
foible complexion, que fon pere le laifla
long-temps entre les mains des femmes ,
afin qu’on en eût un plus grand foin. A u
milieu de fes infirmités, la beauté de fon
génie perça. Ses fèns étoient à peine ouverts,
qu’il parut obferver tout ce qui les
frappoit. Lorfqu’il eut l’ufage de la parole,
il ne cefla de demander la caufe des effets
qu’il appercevoit ; de forte que M. Defcartes
l ’appelloit fon Philofophe. Son tempérament
fe fortifia à mefure qu’il avança en âge.
Comme il touchoit à la fin de fa huitième
année, fon pere le. jugea aflez fort pour
être en état.de fuivre dans une penfion le
cours ordinaire des études. Il l’envoya au
College des Jéfuites, defliné pour la No-
blefle, qu’Henri I V noit de fonder à la
Flèche. Le Pere Charlet, Reéteur de ce
College , & l’un de fes parens, fe chargea
de veiller a fon éducation.
Notre écolier fe diflingua d’abord par
une paflïon extraordinaire pour l’étude ;
ôc les difpofitions les plus heureufes fécondant
cette ardeur, il devança en peu de
temps les plus éclairés de fes collègues. Il
apprit fort promptement le Grec Ôt le L atin.
I l prit aufii du goût pour la Poëfie. I l
étudioit encore avec plaifir la Mithologie,
parce qu’il trouvoit dans cette Hifloire fa-
buleufe des inventions Ôc des gentillefles
qui le réjouifloient beaucoup. Cette fupé-
riorité que lui donnoit fa grande pénétration,
étoit tempérée par un caraétere excellent,
une humeur facile ôc accommodante,
Sc une f mmiflion parfaite aux volontés de
fes fupérieurs. Pour récompenfer la fidélité
ôc l’exaélitude avec lefquelles il s'acquittait
de fes devoirs, ils adhérèrent à la
priere qu’il leur fit de ne pas s’en tenir aux
Lélures Sc aux compofitions de la clafle. Il
fentoit s’accroître avec fon âge ôc le progrès
de fes études, un befoin d’une nourriture
plus forte pour fon efprit que celle
qu’on donnoit aux autres jeunes gens. I l
demanda la lifte des livres de littérature
les plus curieUx ôc les plus inftruétifs, ôc il
les parcourut avec une extrême avidité. I l
croyoit que la letdure de tous les bons livres
efl comme une converfation avec les plus honnêtes
gens desJîècles pajjès, qui en ont été les
jouteurs, mais une converfation étudiée en laquelle
ils ne nous découvrent que les meilleures
de leurs penfées.
Cette leéture ne l’empêchoit pas de fuivre
le cours de fes études. I l s’appliqua
fur-tout à la Logique; & il y fit tant de
progrès, qu’il rapportait déjà tout ce qu’il
étudioit à la fin qu’il s’étoit propofée de
connoître ce qui pouvoit être utile à la
vie. Quoiqu’il n’eût que quatorze ans, il
s’apperçut que les fyllogifmes, ÔC la plupart
des autres inftru&ions de la Logique
de l’école, fervent bien moins à apprendre
les chofes qu’on veut favoir, qu’à expliquer
aux autres celles que l’on fait, ou
même à parler fans jugement de celles
qu’on ignore. I l reconnoifioit pourtant
dans cette Logique d’excellens préceptes;
mais il les trouvoit mêlés parmi beaucoup
d’autres qu’il jugeoit nuifibles ou fuperflus;
& » il avoit autant de peine à les féparer,
»qu’un ftatuaire en peut avoir à tirer une
-» Diane ou une Minerve d’un bloc de mar*-
» bre qui n’eft point encore ébauché (a) ».
De ce grand nombre de préceptes il ne
retint que ces quatre règles qui ont fervi de
fondement à fa nouvelle Philofophie.
L a première, de ne rien recevoir pour
vrai qu’il ne connût être tel évidemment.
L a fécondé , de divifer les chofes le plus
qu’il feroit poflible pour les mieux réfoudre.
L a troifiéme, de conduire fes penfées
par ordre , en commençant par les objets
les plus fimples.
E t la quatrième, de ne rien omettre
dans le dénombrement des chofes, dont il
devoit examiner les parties.
Tout le fruit qu’il tira de la Morale, ce
fut de connoître ôc d’apprécier celle des
anciens. 11 remarqua que quoiqu’ils faf-
fent fonner fort haut la v e r tu , ôc qu’ils la
mettent au-deftus de tout ce qu’il y a de
plus précieux dans le monde, ils n’enfei-
gnent cependant point les moyens de la
connoître. Recueilli profondément en lui-
même, il médita fur les principes d elà
Morale ; ôc il découvrit ces quatre maximes
, en quoi il fit confifter cette fcience.
i ° . D ’obéir aux loix ôc aux coutumes
de fon pays.
2° . D ’être ferme ôc réfolu dans fes actions
, ôc fuivre aufli conftamment les opinions
les plus douteufes, lorfqu’il fe feroit
une fois déterminé, que fi elles étoient
très-afiurées.
30. De travailler à fe vaincre foi-même
plutôt que la fortune ; changer fes défirs
plutôt que l’ordre du monde, & fe perfua-
der qu’il n’y a que nos penfées qui foient
véritablement en notre pouvoir.
4 0. Enfin de faire choix, s’il le pouvoit,
de la meilleure des occupations qui font
agir les hommes en cette vie ; de préférer
, fans blâmer les autres, celle de
cultiver fa raifon, ôc d’avancer dans la
connoiflance de la vérité autant qu’il lui
feroit poflible.
On peut juger par ces découvertes de
l’étendue du génie de notre jeune Philofophe.
Elles font fi belles, ôc dépendent
d’une fi grande fagacité, qu’il paroît im-
[*] Vit de M . Defcartes y Tom. I p a g . 24.