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pour l’Ângleterre.Il fit le voïage fur la flotte
qui y conduifit la Priticeffe_ d’Orange.
Son premier foin fut de fe faire rétablir dans
fa place du C ollège de l’Eglife du Chrift à
Oxford, non dans le delfein d ’y retourner,
mais pour montrer qu’on l’avoit déplacé
injuftement. La place étoit remplie ; &
comme on ne put fe réfoudre à remercier
celui qui l’occupo it, on lui offrit une
place de furnumeraire qu’il refufa. I l fon-
gea après cela à fa fortune. I l ne tint qu a
lui d’obtenir un Emploi confiderable; mais
il fe contenta d’être l’ un des Commiifaires
des Appels, Charge qui rend 200 livres
fterlings par an.Vers le même temps on lui
offrit un caractère public ; & il eut à fon
choix d’aller en qualité d’Envoyé chez
l ’Empereur, chez l’Electeur de Brandebourg
, ou à quelqu’autre C ou r , ou il Qroi-
xoit pouvoir réfîder dans un air convenable
à fa fanté. L o k e étoit trop Philofophe
pouip être fenfible à un faite qui charme
tant les gens du monde. I l connoifîoit les
douceurs de la retraite, & il les préféroit
à tout l’éclat des honneurs. I l refufa donc
heureufement cette offre. Je dis heureufe-
ment ; car en fe renfermant chez lui , il
mit la dernière main a fon Effai fur 1 Entendement
humain : ouvrage qui lui a acquis
plus de gloire que toutes les dignités,
& qui a été plus utile aux hommes que les
fervices qu’il auroit pû leur rendre dans
les portes les plus éminens. C et ouvrage
parut en 165)7. L e fuccès qu’il eut l’engagea
à le perfectionner autant que cette perfection
pouvoit dépendre de lu i, de forte
qu’il en publia une belle édition en 1 7 0 6 .ll
mit au jour cette même année un Traité
fur le Gouvernement C iv i l , fous le titre
De Imperio Civili, dans lequel il combat
le defpotifme abfolu.
A Londres comme dans toutes les
Villes policées , on n’y laiffe pas languir
le mérite. Si le Philofophe s’obftine à
vivre dans la médiocrité , le Gouvernement
de fon côté ne le quitte point qu’il
ne l’ait comblé de biens de d’honneurs.
On s’étoit rendu aux raifons de L o K. e ,
lorfqu’il avoit refufé un caractère dans
les Cours étrangères 5 mais une place parmi
les Seigneurs Commilfaires établis
K E.
pour l’intérêt du Commerce & des Plantations,
s’étant trouvée vacante, on le
força en quelque forte à l’accepter. Notre
Philofophe obéit. I l exerça cet Emploi
pendant plufieurs années ; & on dit qu’il
étoit l’ame de ce noble Corps. Cependant
il étoit obligé de refter à Londres, où l’air
incommodoit toujours plus fa mauvaife
poitrine. Cette puiflante raifon le contraignit
à le démettre de fa Charge. Il réfolut
donc de s'en dépouiller entre les mains du
Roi ; & il fe comporta dans cette occafion
avec un définterelfement que les hommes
ordinaires regarderoient comme fans exemple
, mais que les Philofophes trouvent
très-conformes à la raifon de à la juftice.
Cette Charge lui rapportoit mille livres
fterlings de revenu. Avant que de donner
fa démiffion , il lui étoit facile d’entrer
dans une eipèce de compofition avec tout
prétendant, q u i, averti en particulier de
cette nouvelle, de appuyé de fon crédit,
auroit été en état d’emporter la place vacante
fur tout autre concurrent. Notre
Philofophe le favoit,dc il n’en fut que plus
circonfpeéb fur la réfolution qu’il avoit
prife de n’en parler qu’au Roi. L a choie
faite, on ne manqua pas de lui faire fentir
l’avantage qu’il auroit pû fe procurer , de
même en forme de reproche. Je le favois
bien , répondit-il ; mais ç’ a été pour cela
meme que je n'ai pas voulu communiquer
mon dejjèin à personne. J ’avois reçu la placé
du R o i, fa i voulu la lui remettre, pour qu’il
en put difpofer félon fon bon plaifir.
I l fongea après cela à chercher quel-
qu’endroit dans la Campagne , où il pût
refpirer un bon air. 11 en parla au Comte
de Pembrock fon ami, lequel lui confeilla
de choifîr la Terre du Comte de Masham,
à vingt-cinq milles de Londres , dans la
Province d’Eftex. I l s’offrit de l’accompagner
, <& l’affura que ce Comte, qu’il con-
noiffoit très-particulierement, feroit extrêmement
flaté qu’il lui donnât la préférence.
L o k e fe rendit à ces raifons. I l
partit de Londres avec M. de Pembrock> de
il fut reçu de M. le Comte de Masham de
de Madame la Comteffe fon époufe le
plus gracieufement du monde. Ils prirent
l’un de l’autre tant de foin de lu i, que fa
fanté
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fanté fe rétablit eh peu de temps. Il profita
de cette fituation heureufe de de fon
lojfîr, pour compofer un Traité de l’éducation
des Enfans. En même temps il pu-
.blia une Lettre fur la Tolérance. I l travailla
enfuite fur le Commerce ; de il comprit
que pour le rendre plus floriffant, il
falloit réduire les monnoies à leur jufte
prix. C ’eft ce qu’il établit avec tant de fo-
lidité en 1 6$Ç , qu’on lui adjugea une
penfion de mille livres d’Angleterre fur la
Compagnie du Commerce-de desColonies.
En cette même année il mit au jour un
Difcours, où il prouve que le Chriftianif-
me eft très-conforme à la raifon ( Chrif-
tianifmum rationi maximè conforment).I l n’y
a rien, dit L o k e , dans les décrets de la
Religion Chrétienne, tels qu’on les trouve
dans les Ecrits fàcrés, qui foit contraire
aux notions vraies de réfléchies que la
raifon nous procure. C e t Ouvrage lui fuf-
cita beaucoup d’ennemis. Tous les Théologiens
crièrent hautement contre cette
Propofition. L e fameux M. Samuel Bernard
, de M. Edvard Stillingfleet Evêque
de Worcefter, l’examinèrent particulièrement
de la condamnèrent. L o k e répondit
à ces critiques ; de comme les difputes
théologiques font toujours defagréables,
parce que la Religion y eft intéreffée, il
prit le parti d ’abandonner cette contro-
verfe. I l renonça même à toutprojetd’ou-
vrage. I l crut que cette affaire étoit un
avertiffement de vivre un peu popr lui.
I l fe livra à cette penfée avec d’autant
plus de plaifir, qu’il joüiffoit quelquefois
de l’entretien de fes amis , conftamment
de la compagnie de Madame de Masham,
qu’il eftimoit beaucoup , de qu’il fentoit le
prix d’une vie auffi douce que tranquille.
D ’ailleurs fa fanté s’affoibliflbit de jour en
jour. jH. eût été téméraire de trop s’appliquer
dans cet état. Notre Philofophe comprit
tout cela. Réfléchiffant fur le danger
où il é to it, il crut que la feule chofe qui
lui reftoit à faire , étoit de s’occuper de
l ’étude de l’Ecriture Sainte. C ’eft auflï ce
qu’il fit jufqu’à la fin de fa vie. Il jugea
qu’elle approchoit par une ©bfervation
qu’il fit fur l’affoibliffement dans lequel il
tomba au commencement de l ’Eté. Cette
K E. 4e
faifon bien loin de pfoduïfê Cèt effet chez
lu i, lui avoit toujours redonné quelques
degrés de vigueur. De cette contrariété
il conclut que fa conftitution étoit totalement
dérangée. I l enparloitaffez fouvent,
mais toujours avec beaucoup de féréni-
té. Quoiqu’il penfât qu’il n’y avoit point
de remède à fon mal, il n’oublia rien pour
fe procurer les fecours que fon habileté
dans la Médecine pouvoit lui fournir, afin
de prolonger fit vie. Sa prédiction ne tarda
pas néanmoins à s’accomplir. Ses jambes
commencèrent à s’enfler; & cette enflure
augmentant tous les jou rs , fes forces diminuèrent
d’une manière très-fenfible. I I
v it clairement alors qu’il lui reftoit peu
de temps à v iv r e , & il fe difpofa à quitter
ce monde. Enfin les forces lui manquèrent
tout à coup , & on le crut à l’extrémité.
On lui demanda s’il penfoit qu’il touchât
à fa dernière heure : il répondit que cela
arriveroit dans trois ou quatre jours. I l
eut tout de fuite une fueur froide, & qui fe-
| diflïpa heureufement. L a nuit étant venue ,
tout le monde Ibrtit de fa chambre , &
Madame de Masham fe trouvant feule ,
L o k e lui dit : qu’il avoit vécu ajfeq long-tems9
qu’il remercioit Dieu d’avoir pajfé heu-
reufement fes jours, mais que cette vie ne lui
paroijfoit que pure vanité. I l pria en même
temps cette D ame, qu’on fe fouvînt de lut
dans la prière du foir. Elle répondit que
s’il le vou lo it, toute la famille viendroit
prier Dieu dans fa chambre : a quoi ilcon-
fentit, pourvû , d it- il, que cela ne caufe
pas trop d’embarras. On s’y rendit donc ,
& on pria en particulier pour lui.
Entre onze heures & minuit il parut un
peu mieux. Madame de Masham fe difpo-
foit à le veiller- ; mais il ne le voulut pas
permettre, & il lui dit qu’il croyoit qu’il
dormiroit, & que s ’il ne dormoit point,
il la feroit appeller. I l parta la nuit fans
fermer l’oeil. L e lendemain il fe fit porter
dans fon cabinet ; & là fur un fauteuil &
dans une efpèce d’aifoupiflèment, quoique
maître de fes penfées , comme il pa-
roiffoit par ce qu’il difoit de temps en
temps, il rendit l’efprit vers les trois heures
après midi le 8 Novembre de l’année
1704 .
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