,quefent tout-à-'coup : il tomba fur fes ge-
,noux, & ayant les mains jointes & la face
rtournée vers le ciel , U expira fur le
-.champ, .Ce fut une.apopléxiè de fangqui
:1e mit au tombeau- On le garda deux
•jours dans fa chambre après qu’on fut
’alfuré qu’il étoit .véritablement mort, on
Tinhuma'le 18 .Novembre à l ’E glife .de
Saint Hilaire.
C H A R R O :N étoit dbine taille mé-
jdiocre. I l étoit gros & replet. Ila vo it le
front grand & large , Le nez droit , les
iy ê u x bleusb&les cheveux# la barbe tout
’blancs. Son vifage étoit toujours gai &
•liant, & fon humeur agréable. I l parloit
javec autant de force que d’aifance, &
yrononçoit fort bien ce qu’il difoit.
Après fâ mort, un de fes intimes amis ,
;( George Michel de Roche-Maillet, Avocat
jau Parlement) prit foin de la nouvelle
.édition de fon Traité de la Sagefle, malgré
les obftacles qui fe préfenterent-en
jfoùle, pour en empêcher là •publication.
Des gens mal intentionnés _& ennemis dè
notre PhiiofopLie & de fa g lo ire, mirent
-tout en oeuvre , pour en faite défendre
rimpreffion. Ils dénoncèrent ce Traité à
l’Univerfité , à la Sorbonne, au Gotifeil
privé du Roi,i& au Parlement, comme un
Jivre dangereux ; & ils eurent aflez .de
méchanceté & de crédit , pour en faire
faiiir & les feuilles'imprimées Si le ma-
-nufcrit. M. de Roche-Maillet défendit avec
chaleur l’Ouvrage de fon ami & fa mémoire.
I l obtmt.de M. le Chancelier &
de MM- les Gens du Roi , qu’il (croit
-nommé deux Doftêùrs de Sorbonne pour
l’examiner avec foin , afin d’en rendre
Compte à la Cour, L e jugement de -ces
Doàeurs & le livre , furent mis entre -les
niainS.de M, le Préfident jeamün, Con-
feilier d’Etat. Ce Magiffrat éclairé, après
« un nouvel exaaien, en fit fon rapport au
Confetlprivé du R oi, fur lequel le Con-
ifeil rendit -un Arrêt portant permiffion
- d ’en continuer l’ imprefTion & de le vendre
, & accorda une main-levée de toutes
le s failles qui avôient été faites;
C h a r r o n avoit prévu cet orage?
IlconnoiflToit les hommes ; & il favoitque
les efprits foibles & fuperftitieux for-
moient le plus grand nombre ; que ces
gens-là font préfomptueux, roques, affirmatifs,
opiniâtres ; qu^ils penfent être les
plus fages, & s’imaginent tout favoir ,
quoiqu’ils foient très-ineptes fcr très-ignô-
rans.fà) C ’eft pourquoi quelque temps
avant que de mourir, il fit un fommaire
& une apologie de fon liv re , tant pour,
répondre à quelques critiques qu’on
en avoit déjà faites, qu’à celles qu’on
pourroit publier par la fuite. E t comme
il étoit perfuadé , que les meilleures raierons
ne font point écoutées, fi elles ne
font protégées par -quelque perfonnage
également éclairé & puiflant, il déclara
qu’il fouhaitoit qu’on le .dédiât à M. de
Harlai, Premier Préfident.au Parlement
de Paris.
Toutes ces précautions n’ont pas c e pendant
été fuffifantes. L e Pere Garajfe,
Jéfuite , s’eft emporté contre fa Philôfo-
phie. I l a mis C h a r r o n dans le Catalogue
des Athées les plus dangereux &
les plus méchans, & l’a traité.avec beaucoup
de févérijté dans fa Somme Théologique,
pag. 66 & fuiv. Notre Philofophea
été défendu par l ’Abbé de Saint Cyran9
dans un livre intitulé-: Somme des faujje-
tés capitales contenues en la Somrrte Théologique
du P. Garajfe. Cet Auteur fe plaint
beaucoup des infidélités, ôc prétend que
la mauvaife humeur (domine pl us ici que
-la bonne foi. On altéré fbuvent, dit-il ,
le texte de C H A R R o n , & on le corn-
damné -d’après cette malverfation. L e
Prieur Ogier(h)ôcBayle ont pris auffi la
défenfe de notre Philofophe ; Ôc le Publie
fait s’ils ont réufli à le juftifier. C e qu’il y
a de certain, c ’eft que fa v ie a été pure
& fans tache. I l pratiquoit exaélement
toutes les vertus morales & civiles ; & il
étoit fi confciencieux, qu’il n’a jamais
voulu -réfigne-r fes Bénéfices à perfonne,
s A E/oee de Charron. autre intitule' .: L ’Apologie contre l’Auteur de U Cenfuré
Jugement & cenfttre de la DoElrine xurieufe , page de If DgUrinc CHrjtuJe , Çh. XXI. OCÇ.
Ij5) Sec.1" I,e r . Garajfe.i xeponduâxct Ouvrage par .un.
'dè Crainte de cholfir un fuccefleur incapable
de les remplir. 11 s’en dépouilloit purement
& fimplement entre les mains des-
Gollateurs. On trouva après fâ mort un
fceftament, où entr’autres legs confidéra-1
b lé s , illaifïe un fonds pour-marier de
pauvres écoliers. M . C a m a i n , Confeiller
au Parlement de Bourdeaux, & beau-
frere de Montagne, y eft nommé fon L é gataire
univerfel. Cela prouve que
C h a r r o n a laiiTé plus de biens que
n’en poffede ordinairement un Philofophe.
L a chofe a droit de furprendre. Mais
)£ fuis toujours plus, étonné de ne points
voir fes parens participer à les richeffes.*
Une famille aufli nombreufeque celle dé
fon pere, étoit-elle abfolument éteinte
lorfqu’-il mourut, ou. l’auroit-il oubliée
dans fa fortune ? C ’eft un problème, dont-
aucun Mémoire n-’a donné la folutiom-
Morale ou DoElrine de- C h a r r o n fur
la Sagejfe.
. L a fource de toutes les vertus réfidé
dans la Sagefle. Elle efi l’art de fe régler
& de fe modérer conftâmment en toutes
ehofes. Pour l’acquérir, il faut commencer
par fe bieuconnoître; car il eftimpof-
fible de tempérer comme il convient fes
défirs & fes pafflons, fi on ne fait ce dont
on peut être capable:, foit en bîen,fbit en
mal. L e premier pas dans le chemin de là
Sagefle confille donc à faire une étude
longue & aflîduede foi-même, & à fe livrer
à un examen férieux & réfléchi, non-
lèulement de fes paroles & de fes aérions,
mais de fes penfées les plus fecrettes, dè
leur naiflfance, de leur progrès, de leur
durée & d e leur retour, en s’épiant dé
p rè s , & en fe tâtant avec foin & à toute
heure. Cet examen important doit être
fait avec ordre ; & c’eft en diftinguant les
pallions communes à tous les hommes ,
qu’on peut'l’obferver. Ces paflîons font
la Vanité , la Foiblefïè, l’Inconftance, la
Mifere & la Préfomption.
L a Vanité eft ce penchant général ,
que l’homme a d’établir fon honneur dans
la pofleffioa de biens vains ôc frivoles,
fans lefquels il peutviVre commodément,
& à méprifer les Vrais biens, qui peuvent'
le. rendre heureux. Nous étendons nos'
défirs au-delà de nous & de'notre exif-
tênee, ôc nouîs nous tourmentons pour'
des chofeà , dont nous ne pouvons pas"
jbuir. Nous devrons être loués après no-'
tre mort ; ÔC pour fàtisfaire cette folle’-
ambition , nous fiions làng ÔC eaü. dans-
cette vie.
L ’envie d’être loués fait que nous ne^’
vivons pas pour nous, mais pour le mon-'
de. Nous gênons nos-inclinations & nosw;
pênehans', afin denous conform'er aux apparences
de l ’opinion commune ; & le
réfpeéb1 humain nbus-porte prefqüe toujours
à nous priver de nos commodités:
& d e nos piaifirsJ Cette eftimenons tient;
fi fort au coeur , que nous nous niafquons -
dans nos vifites; Que de Vanité dans noÿ-
laluts , nos‘accueils1, n'os- entretieps, nos-;
offices de courtoifié, rfos harangués , cérémonies',
offres ', promeflres'& louanges i
Combien d’hyperboles , d hypocrifie , de
faufietés & d’impoffuresau vu ôc au fu dé
chacun, ôc de celui qui les donné, ÔC dé
celui qui les re ço it, ôc de celui qüi les entend
; tellement que c’eft un marché ôc
une elpece de convention de fe moquer,
mentir ôc piper les unS les autres ! Ce qu’il
y à encore de plus extravagant, c’eft'qu’il
faut que celui- qui. fait qu’on lui ment
impudemment , difë; gtand merci ; &
que celui qui fait que l’àutré ne le croit
pas, faffe bonne contenance. On fait plus :
on trouble fon repos ôc fa vie pour ces vanités
courtifanes ; ôc on laifle des affaires
de conféquence pour du vent. Qui feroit
autrement feroit tenu pour un f o t , fans
éducation ÔC fans favoir vivre. C ’eft
habileté Ôc du bon air de bien jouer cette
farce , ôc c’èft fbtife de n’êtré pas vain.
L a fécondé pafiïon de l’homme, c’eft la
Foibiefle. Elle lui eft encore plus préjudiciable
que là vanité; car elle le trouble
tellement ,que rien ne peut le contenter.
Les ehofes futures l’affeftent plus que les
préfentes. Il ne fait point jouir de celles
qu’il poffede -, après les avoir long-temps
défirées, fans les altérer. Un mélange de