
 
        
         
		L O R E . 
 exprime un Etre  fuprême, tout-puiflant,  
 infiniment fage, «5c doué d’une intelligence  
 infinie, toutes qualités  que  nous  ne con-  
 noifions  que  par  la  définition  des  mots  
 dont  nous nous  fervons pour  les  exprimer  
 (a). 
 Cela p o fé , le Comte de Schatsbury demande  
 fii l’idée d’une femme «5c ce qu’on en  
 defire eft une idée innée, 6c fi  elle s’enfei-  
 gne dans quelque Catéchifme. Si nous n’avions  
 , d it- il, ni Ecoles deVenus,  ni  des  
 Livres  qui  nous  inftruififlènt  la-deflus ,  
 nous  ferions donc d ans  une parfaite ignorance  
 à  cet  égard ,  jufqu’à  ce  que  nos  
 parens  nous  euflènt  donne  des  leçons  
 fur cette matière. E t  fi la tradition venoit  
 à  fe perdre, le genre humain pourroit fort  
 bien  périr (b). 
 Cette obje&ion porte fur I’appetit propre  
 aux hommes,  fur  certains  penchans  qui  
 leur font naturels, qu’on confond avec nos  
 connoiflances. C ar  [   la nature a mis  dans  
 tous les hommes l’envie  d’être  heureux,  
 &  une forte averfion pour  la  misère.  C e   
 font-là  des  principes  de  pratique véritablement  
 innés  ,  6c qui  félon la deftination  
 de  tout  principe  de  pratique ont une influence  
 continuelle fur  toutes nos actions.  
 On peut d’ailleurs les remarquer dans toutes  
 fortes de perfonnesde quelqu’âge qu’elles  
 foient  ,  en qui  ils  paroiflènt  conftam-  
 ment 6c fims difeontinuation : mais ce font-  
 là   des  inclinations  de  notre  ame  vers  le  
 b ien ,  «5c non pas des impreflions  de  quelque  
 v é r ité ,  qui  foient gravées  dans notre  
 Entendement. Je  conviens ( c’eft Loke qui  
 parle ) qu’il y   a  dans  l’ame  des  hommes  
 certains  penchans  qui  y   font  imprimés  
 naturellement, <5c  qu’en  conféquence  des  
 premières  impreflions  que  les  hommes  
 reçoivent  par  le   moyen  des  fens  ,  il  fe  
 trouve certaines chofes qui leur plaifent,&  
 d’autres qui leur font defagréables,  certaines  
 chofes  pour lefquelles ils ont du penchant  
 , 6c  d’autres  dont  ils  s’éloignent &   
 qu’ils ont en averfion : mais cela ne fert de  
 rien pour prouver qu’il y  a dans l’ame des  
 cara&ères innés, qui doivent être les principes  
 de connoiflatice,qui règlent actuellement  
 notre conduite.Bien loin qu’on puifle  
 établir par là l’exiftence de ces fortes de caractères  
 , on peut inférer au contraire qu’il  
 n’y   en a point  du  tout  :  car  s’il  y   avoit  
 dans notre  ame  certains caractères  qui y   
 fuffent  gravés  naturellement  comme  autant  
 de principes deconnoiflance, nous ne  
 pourrions  que les  appercevoir  agiffant en  
 nous, comme nous fentons l’influence que  
 les autres impreflions  naturelles ont naturellement  
 fur  notre volonté 6c fur nos de-  
 firs :  je veux dire l’envie d’être heureux, 6c  
 la crainte  d’être miférables.  Deux  principes  
 qui  agiflènt conftamment en nous, 6c  
 les motifs inféparables  de  toutes  nos actions  
 , auxquelles nous fentons qu’ils.nous  
 pouffent  6c nous  déterminent  inceflam-  
 ment 3- 
 Vo ilà donc deux principesinnés:  mais  
 ces  principes  ne  renferment-rls’ pas  une  
 idée  du  moins  confufe  du  bonheur  6c  
 de la  misère ? 
 Quoi qu’il  en  fbit,  s’il  n’y   a point d’idées  
 innées ,  l’ame  eft  comme  une  table  
 rafe, vuide de tous caractères, fans aucune  
 idée quelconque. Cela étant (oufuppofé)  
 comment  re ço it-e lle   des  idées  ?  D ’où  
 puife-t-elle  tous ces  matériaux  ,  qui  font  
 comme  le fond de tous  fes  raifonnemens  
 6c de toutes fes connoiflances ? D e l’expérience. 
  Les obfervations  que nous faifons  
 fur les objets extérieurs 6c fenfibles, ou fur  
 les  opérations  intérieures  de  notre  âme  
 que  nous  appercevons, 6c  fur  lefquelles  
 nous réfléchiflonis nous-mêmes,fourniflent  
 à  notre efprit les matériaux  de  toutes  fes  
 penfées.  C e  font  là les deux fources d’où  
 découlent  toutes les idées que nous avons  
 ou  que  nous  pouvons  avoir  .naturellement. 
 Premièrement, nos  fens frappés par les  
 objets extérieurs,  font  entrer  dans notre  
 ame  plufieurs  perceptions  difîinCtes  des  
 chofes,  félon  les diverfes  manières  dont  
 ces objets agiflènt fur nos fens.  C ’eft ainfî  
 que  rious  acquérons  les  idées  que  nous  
 avons  du  blanc, du jaune  ,  du  chaud,  du 
 (*) Voyeî  ci-après  la  dèmonftration  de  Clarke  fur  
 l ’çxiltcncc  de Dieu. 
 (t) Several Letters Written bj a Nobleman.  Lett. VIII. 
 L  O 
 froid , du dur, du mou, du doux, de l’amer,  
 6c en général de tout  ce  que  nous  appelions  
 qualités fenfibles* 
 L a  fécondé fource,  c’eft la  perception  
 des opérations de notre  ame  fur  les  idées  
 qu’elle  a  reçues par les fens  : opérations,  
 qui devenant  l’objet des  réflexions de l’ame  
 ,  produifènt  dans  l ’entendement  une  
 autreefpèce d’idées, que  les objets  extérieurs  
 n’auroient  pû  lui  fournir  :  telles  
 Xbnt les  idées de ce qu’on appelle appercevoir  
 , penfer,  douter, croire,  raifonner, connaître  
 ,  vouloir,  6c  toutes  les  aélions  de  
 notre  ame  ,  de  l ’exiftence  defquelles  
 étant  pleinement  convaincus,  parce  que  
 nous les trouvons  en  nous-mêmes ,  nous  
 recevons  par  leur moyen  des  idées  auflï  
 diftinétes que celles  que  les corps produi-  
 fent en nous, lorfqu’ils viennent à frapper  
 nos  fens; 
 :  Ainfî  les objets extérieurs fourniflent à  
 l ’efprit  les idées des  qualités fenfibles,  6c  
 l ’efprit  fournit à l’entendeméïit  les  idées  
 de fes propres opérations. D ’où il fuit que  
 Phomme  n’a  d’autres idées  que celles qui  
 y  ont été produites par ces deux voies. 
 Les idées que les objets extérieurs nous  
 fourniflent,  entrent  dans  notre  ame  de  
 quatre manières différentes.  Nous acquérons  
 les unes par un feul fens.  Les  autres  
 entrent dans l’efprit par plus d’un fens. Les  
 troiflémes y  viennent par la feule réflexion.  
 E t  nous recevons les quatrièmes par toutes  
 les voies de la fenfation aufli-bien que  
 de la réflexion.Il y  a des idées qui n’entrent  
 dans l’efprit que par  un  feul  fens.  L a lumière  
 6c  les couleurs  entrent uniquement  
 par les yeux ;  le  bruit  6c  le  fon  entrent  
 par les  oreilles  ;  les  différens  goûts  par  
 le palais, 6c les odeurs par le nez. Les  organes  
 ou nerfs ,  après  avoir  reçu les impreflions  
 de dehors, les portent au cerveau,  
 qui eft pour ainfî dire la chambre d’audience,  
 où elles fe préfentent à l’ame;6c fl quelques-  
 uns de ces organes  viennent à  être détraqués  
 , enforte qu’ils ne puiflènt point exercer  
 leur fonction, ces fenfations  n’y   font  
 point  admifes  :  elles  ne  peuvent  plus  fe  
 préfenter à  l ’entendement, 6c en  être ap-  
 perçues par aucune autre voie.  
 jLes idées qui s’introduifent dans l’efprit 
 K  E.  4j 
 par toutes  les  voies de la fenfation &   par  
 réflexion, font le plaifir, la douleur ou l’inquiétude, 
  l’exiftence, l’unité ôc la puifj'ance. 
 On entend par Plaifir 6c Douleur tout ce  
 qui nous  plaît  Ou  nous  incommode,  foit  
 qu’il procède des penfées  de  notre efprit,  
 ou  de  quelque  chofe  qui  agiflè  fur notre  
 corps.  Àinfi quoiqu’on  appelle  l’un fatis-  
 fadlion, contentement, bonheur,  6cc. 6c l’autre  
 inquiétude  ,  peine ,  douleur,  tourment,  
 affliêlion, misère  ,  ôCc.  ce  ne  font  dans  le  
 fond que différens degrés de la même chofe  
 ,  lefquels  fe  rapportent à des  idées  de  
 plaifir 6c de douleur,  de contentement ou  
 d’inquiétude.  L ’une  ( la  douleur) 6c  l’autre  
 ( le plaifir ) font fouvent produites par  
 les  mêmes  objets 6c par les mêmes idées  
 qui nous caufent du plaifir. C ’eft ainfi que  
 la chaleur,  qui dans un certain degré nous  
 eft agréable, venant à s’augmenter, nous  
 caufe de  la douleur. 
 UExiftence 6c l’Unité  font deux  autres  
 idées  qui  font  communiquées  à l ’entendement  
 par chaque objet extérieur, 6c  par  
 chaque idée que nou^appercevons en nous-  
 mêmes.  Lorfque  nous  avons  des  idées  
 dans l’efprit,rious les confiderons comme y   
 étant  actuellement  ;  de  même  que  nous  
 confiderons  les  chofes  comme  étant  actuellement  
 hors  de  nous  ,  c ’e ft-à -d ire   
 comme  actuellement  exiftantes  en  elles-  
 mêmes. D ’autre part, ce que nous confiderons  
 comme une feule chofe  ,  fbit  que  ce  
 foit un être réel ou unefimple idée  ,  fug-  
 gère à notre entendement l’idée  de l’unité* 
 E t la Puijfance eft une de c es idées  {impies  
 que nous recevons par fenfation Ôc par  
 réflexion.Lorfque nous obfèrvons en nous-  
 mêmes  que  nous  penfons  6c  que  nous  
 pouvons  penfêr  ,  6c  que  nous  pouvons  
 quand nous voulons mettre en mouvement  
 certaines parties de notre corps qui font en  
 repos, nous avons alors l’idée  de  la puif-  
 fance.  Cette  idée s’acquiert  par  les  fènfa-  
 tions que  font  en  nous  les  effets que  les  
 corps font capables de produire les uns fur  
 les autres, 6c par la réflexion que nous faifons  
 fur ces  fenfations. 
 Refte encore une dernière idée plus abstraite  
 que les autres  dont  je viens de parler  
 £ c’eft celle de la fuccejpon, E lle  naît de