laprofcription de la nouvelle Philofophie,
qui troubloit félon lui le repos de toute
l'Uni verfité. L e plus grand nombre des
ProfefTeurs étant dévoués à V oetiwj,ibufcn-
virent à cet a v is , ôc trois d’entr’eux furent
députés vers le Magiftrat pour lui porter
les plaintes de l’affemblée. Sur ces plaintes
le Magiftrat envoya faifir les exemplaires
de cette répor.fe ; mais bien loin d’en arrêter
le cours, cette faifie ne fervit qu’à la
faire rechercher, & à la répandre davantage.
Voetius fentit le tort que cela lui fai-
foi t. Dans le deflein de le réparer, il af-
fembla prefque tous les jours fon Univer-
fité, pour prendre des délibérations contre
la Philofophie de D escartes. Après plu-
fieurs conférences, il dreffa un réfultat de
délibération qu’il fît ligner par la plupart
des ProfefTeurs. Ai nfî il préfenta far.s oppo-
fîtion cette délibération au Sénat ou Con-
feil de la V i lle , au nom des quatre Facultés,
pour obtenir une fentence, tant pour la
profcription de la nouvelle Philofophie ,
que pour la fuppreffion de l’écritde Regius.
LeConfeil eut égard à larequête du Recteur.
Il rendit le 1 y Mars de l’année 16 4 1
un décret, portant défenfe à M. Regius
de ne plus donner d’autres leçons que
celles de Médecine, Ôc de ne plus tenir
de conférences particulières ; permettant
en même temps aux Profefîèurs de i’Uni-
verfité des’aflembler pour porter leur jugement
fur le livre de M. Regius. De forte
que le Reéteur tout glorieux de cet Arrêt,
convoqua fon affemblée dès le 17 du même
mois, & y fît porter contre toute forme
de Juffice une condamnation des écrits- de
Regius, qui paroiffoit rendue au nom de
toute l’Uni ver fi té , mais qu’il a voit minutée
feul, & prononcée comme Reéteur,
étant tout à la fois le juge & la partie de
ce ProfefiTeur qui ne fut ni appellé ni entendu
dans fes défenfes. I l n’y eut que huit
Profefîèurs qui eurent une part réelle à ce
jugement. Les autres rougifToient bien de
fèrvir d’inftrumens à la paflîon de Voetius ;
mais ils étoient trop foibles pour lui réfif-
ter. Deux cependant, nommés Emilius ôc
Cyprien, protefterent hautement de nullité
fur ce qufon venoit de faire. Le dernier eut
meme allez de fermeté pour demander
qu’on fît mention de fa proteftation dans
l’aéte de jugement, ôc qu’on le nommât
pour n’efre pas confondu mal-à-propos
avec les auteurs d’une aétion fi peu raifon-
nable, fous le nom général de ProfefTeurs
de TUniverfité.
Voetius peu inquiet de cette proteflation,
ne fongea qu’à harceler notre Philofophe.
I l fît un libelle contre lu i, qui devoit être
publié fous ce titre : Prodomus ,Jive examen
tutelare orthodoxoe Philofophioe principiorum.
E t afin de décrier la nouvelle Philofophie
à Leyde comme à Utrecht, il envoya fon
manufcrit à un Moine renégat pour le faire
imprimer dans cette V ille. Celui-ci he donna
à un Libraire qui fè difpofoit à le mettre
fous preffe ; mais le Re&eur de l’Univer-
fité de Leyde qui ne penfoit pas comme
celui d’U t r e c h ta y a n t été averti de ce
projet, fè tranfporta chez l’Imprimeur, ôc
fît faire en fa préfenee une information de
cette entreprife. L ’Imprimeur la rejetta
toute fur le Moine, qui fe trouva heureu-
fement abfent de l’Imprimerie, Ôc qui prit
la fuite pour aller à Utrecht rendre compte
à Voetius du fuecès malheureux de fa com-
miffion.
Cette aventure chagrina ce Miniftre-
fans le dégoûter d’écrire contre Descartes.
I l remania fon écrit, ôc en forma un
volume qu’il publia en 1645 fous le nom
de Schocckïus, ôc avec ce titre : Philofophia
Cartejîana, five admiranda methodus novce
Philofophitz Renati D e s g a r t e s . Notre Philofophe
crut devoir répondre à cet écrit. I l
publia d’abord une lettre adreffée à Voetius
même, adceleberrïmumvirum D.GiJbertum
Voetium, comme porte le titre. Dans cette
lettre D escartes ne releva pas les injures
dont fon adverfaire l’accabloit dans fa
critique. Son deffein étoit Amplement de
fe juftifier, & de donner quelque fatisfac-
tion à divers; honnêtes gens de la même
religion que Voetius, qui étoient indignés
qu’un homme aulït vicieux que lui ôc d’un
mérite auflï fuperficiel que le fien, eût allez
de crédit ôc d’autorité pour brider la populace
, ôc pour impofer aux trois quarts
de la bourgeoifie de la V ille. Cette prévention
étoit portée à un tel point, que
les Co.nfuls même ôc les Bourgmeflr.es.
firent un mauvais accueil à cette réponfe,
quelque modérée ôc quelque légitime
qu’elle fût. C ’eft ce qui obligea Descartes
à compofer un fécond écrit, dont il
envoya des exemplaires à ces Magiftrats
par des perfonnes les plus qualifiées de la
V i l le , avec des complimens de fa part.
Cette politeffe & fon droit ne firent aucune .
impreflïon fur leur efprit. Les intrigues de
yoetius les avoient fi fort préoccupés, qu’ils
croÿoient que leur Religion étoit intéref-
fce à maintenir la doétrine ôc la perfonne
de ce Miniftre. En conféquence de cette
perfuafion, ils rendirent une fentence ou un
aéte, par lequel ils condamnoient ces deux
réponfes de notre Philofophe, ôc le citoient
pour fe juftifier. Cette citation fe fit même
au fon de la cloche de la prifon, comme
lors de l’exécution d’un criminel. D escartes
fut extrêmement furpris de ce
procédé. I l ne pouvoit comprendre que
des Magiftrats qui dévoient connoître les
bornes ôc l’étendue de leur pouvoir, le ci-
talfent comme s’ils avoient eu quelque ju-
rifdiétion fur lu i , ôc d’une maniéré fur-
tout fi indécente ôc fi peu régulière. L a
chofe étoit d’autant plus étrange, que ces
Magiftrats , quoiqu’informés de fa demeure
, avoient feint de l’ignorer pour
avoir un prétexte de rendre la citation publique.
Tout cela étoit fans doute très-
grave. Cependant D escartes ne crut
pas devoir prendre d’autre voie pour fa
juftification, que de répondre à cet aéte par
un écrit de trois ou quatre pages. Après '
y avoir mis dans tout fon jour fon droit &
l’irrégularité de la procédure des Magiftrats
, il proteftoit d’injures au cas que ces
Juges vouluffent prétendre quelque droit
de jurifdiftion fur lui. Voetius lut cet écrit,
ôc en prit l’allarme. I l comprit qu’il falloit
redoubler d’ardeur pour empêcher qu’il
ne fît connoître toutes fes impoftures. I l
lâcha d’abord des émiffaires dans la V ille ,
afin d’animer la populace contre l’ennemi,
difoit-il, de leur Pafteur ôc de leur religion.
Par fes menées ôc fes calomnies, il
obtint enfuite des Commiffaires à qui le
Sénat ôc le Confeil’de la Ville avoient confié
l’examen de cette affaire ; il obtint,
dis-je, une fentence qui déclaroit libelles
diffamatoires les deux lettres de Descartes
contre Voetius. Notre Philofophe ne
reçut aucun avis de cela. Quelques femai-
nes s’écoulèrent après la date de cette fentence
, fans qu’il eut entendu parler de rien.
Enfin il reçut deux lettres confécutives ôc
anonimes, par lefquelles on lui donnoit
avis que l’Officier de Juftice l’avoit cité de
l ’ordre des Magiftrats pour comparoître en
perfonne comme criminel. On lui marquoit
qu’il n’ctoit pas en sûreté dans la Province
où il étoit, parce que par un accord fait
entre les Provinces particulières d’Utrecht
ôc de Hollande, les fentences qui fe ren-
doient dans l’une s’exécutoient auffi dans
l’autre.
D escartes ne fut que penfer de ces
lettres. I l crut à la première vue que c’é-
toit une raillerie, ôc ne s’en émut point.
Mais après y avoir réfléchi plus mûrement,
il jugea à propos de s’en aller à la Haye
pour s’en informer. I l apprit dans cette
V ille que la chofe étoit telle qu’on lui avoit
écrite. On lui dit qu’il ne s’agifloit de rien
moins que d’aller répondre à Utrecht fur
les crimes de l’athéifine envers Dieu, de
de calomnie à l’égard d’un homme de bien.
Les fuites de cette affaire étoient de la plus
grande conféquence. Pour en empêcher les
effets, notre Philofophe porta fes plaintes
à l’Ambaffadeur de France en H ollande,
qui alla fur le champ en rendre compte au
Prince d’Orange. C e Prince fit écrire auffi-
tôt aux Etats de la Province d’Utrecht, afin
de procurer à Descartes les fatisfattions
qu’il demandoit. Les Etats uferent de leur
autorité pour finir toutes ces procédures,
qui tendoient à condamner notre Philofophe
à de groffes amendes , à le bannir des
Provinces=Unies, ôc à faire brûler fes livres.
Voetius comptoit fi fort là - deffus, qu’il
avoit déjà tranfigé avec le bourreau pour
faire un feu d’une hauteur déméfurée , ôc
dont on pût parler dans l’Hiftoire comme
d’une chofe extraordinaire.
Cette affaire acheva de perdre Voetius
de réputation. Elle couvrit de confufion
les Magiftrats d’U trecht, dont ptufieurs
s’exeuferent fur ce que ne fachant pas quels
. pouvoient être les différends des Gens de
Lettres, iis s’étoient crus obligés de pren