un moyen de foulager la mémoire, c’eft
de rapporter à certains objets vifibles
les idées des chofes ou des mots, de façon
que l’on s’imagine voir ces mots comme
décrits dans ces objets. Alors les idées le
reproduifent, & on les reconnoît.
L ’attention & la réflexion fervent
aufli beaucoup à rappeler aifément quelque
chofe à la mémoire* JJattention eft
la faculté de rendre une perception partielle
plus claire que les autres qui
conftituent avec elle une perception
compofée. Les fenfations s’oppofent à
l ’attention , parce qu’ elles nous rendent
moins attentifs aux images de
l ’imagination. I l faut donc, pour être attentifs
à ces images , empêcher que les
objets extérieurs n’agiffent fur les fens ;
jpar l ’attention fe conferve plus ou moins
facilement à proportion du plus ou moins
grand nombre d’objets qui frappent nos
fens plus ou moins fortement. L ’imagination
met aufli quelquefois des obfta-
tcles à l’attention ; c’eft lorfqu’elle nous
préfente un grand nombre d’images, qui
fe fuccèdent continuellement les unes
les autres ; parce que ces images nous
offrant inceffamment de nouveaux objets,
l’attention fe porte vers eux, & diminue
ou ceffe pour l’objet auquel elle étoit
.deftinée.
I l n’y a pas de moyen plus efficace
pour augmenter l ’attention , que l’exercice
; & comme il y a divers degrés d’attention
, il y a aufli différens degrés d’exercice
propres à les acquérir. Le. premier
moyen eft d’eflayer fou-vent & de s’efforcer
de conferver fon attention pour un
certain objet arbitraire, en s’y accoutumant
peu à peu au milieu d’un bruit in-
•fenfiblement confidérable, & en dépit des
objets toujours capables de faire une
v ive impreflion fur nos fens. Le fécond
moyen qui a pour but de conferver
long-temps l’attention pour un même
objet, c ’eft de tâcher de même d’y parvenir
peu à peu, en s’efforçant de la fou-
tenir de plus en plus pendant un long
cfpace de temps. L e dernier moyen regarde
l’attention fur plufieurs chofes à
la fois, Ji coafifte à fe mettre eu état
d’être aufli long-temps attentif à un même
objet que bon nous lemble, au milieu
même des impreflions qui frappent nos
fens , & à partager enfuite fon attention
entre deux objets, & ii l’on y réufiït, à ef-
fayer de la partager entre trois, quatre
& davantage,fi i on s’en fent capable.
I l fuit de-là que i’ame peut prêter fon attention
fucceflivement à l’une ou à l’autre
partie d’une perception totale félon
fon bon piaiftr. Ainfi la direction de fon
attention dépend de fon libre arbitre.
Lorfque cette direction eft fucceflîve aux
chofes qui font renfermées dans l’objet
que l’on a apperçu , l’attention s’appelle
alors réflexion. Ainfi la faculté de réfléchir
eft de diriger à notre gré fuccef-
flvement notre attention à toutes les
chofes contenues dans celles que l’on
apperçoit. Lorfque nous réfléchillbns fur
un objet apperçu , nous avons un fen-
timent intérieur des différentes chofes
qui y font contenues, ou qui s’y rapportent
en quelque manière , ôc nous recon-
noiffons que ces chofès-là font différentes
de l’objet qui les renferme. Si nous dirigeons
notre attention à un objet, & puis
à un autre, & enfuite à tous deux enfem-
b le , nous comparons alors ces deux objets
les uns avec les autres. La réflexion
fert à nous donner une perception dif-
tinCte des chofes , parce qu’elle les distingue
féparément. L e meilleur moyen de
fe procurer donc des perceptions diftinCtes
d’un grand nombre de chofes , c’eft d’y
réfléchir. La réflexion s’acquiert, ou plutôt
on s’accoutume à réfléchir en s’exerçant
continuellement à réfléchir fur tout
ce qui fe préfente, & fur chacune de nos
aCtions.
L ’ame a donc la faculté de fe repré-
fenter les objets diftinCtement ; c’eft cette
faculté qu’on nomme entendement. Lorfque
l’entendement a lafaculté de diftinguer
plufieurs chofes dans un feul fuje t, il a
de la pénétration ; de 'forte que plus on
eft en état de difcerner de chofes dans
un fuje t, plus on a de la pénétration.
Outre cette faculté , l’entendement en
acquiert encore par l’habitude , qui con-
fifte à produire promptement & fans aucunes
cunes reprifes , les aCtions Amples re-
quifes pour l’aCtion compofée. C ’eft une
facilité d’agir qui s’acquiert, fe conferve
& fe perfectionne par un ufage confiant
& continuel , & elle fe perd lorfqu’on
difcontinue long-temps d’en faire ufage.
Non-feulement une facilité d’agir, ou une
habitude acquife., qui n’eft autre chofe que
cela, fe perd; mais on en acquiert une toute
contraire , en faifant continuellement des
aCtes qui lui font contraires. On paffe par
ce moyen de l’habitude de la vertu à celle
du vice. L ’habitude eft la mère des inventions
; car l’art d’inventer n’eft que
l’habitude de déduire des vérités inconnues
de celles qu’on connoît déjà.
C ’eft ainfi qu’on parvient à perfectionner
l ’entendement, en fe repréfentant
avec facilité toutes les chofes poffibles :
car la perfection de l’entendement con-
fifte en cela.
F I N .