de Lethoure, de Cahors & de C ondom. 11 refta dix-fept ans dans la Province
fans venir à Paris. Mais en iy88 ayant
eu occafion d’y retourner , il eut éhvie
de fe faire Chartreux. Cette vocation
étoit fuggérée par un voeu qu’il a voit
fait,on ne fait en quel tempSjd’entrer dans ■
un Ordre dé- Religieux. Il eût (u.vi fon
inclination ôc accompli fon voeu , fi le
Prieur de la Chartreufe, nommé Jean-
Michel, eût voulule recevoir. C e Prieur
donna pour rai (on de fon refus , la foi-
bleffe de fon tempérament, qui ne lui
permettroit pas-, lui- dit' i l , de fuivre la
regle auftere du Couvent. Notre Philo-
fophe fe préfenta aux Céleftins, & on lui
fit la même difficulté. Inquiet fi fon voeu
ne l’obligeoit pas. à rentrer dans un autre
Couvent , il confulta des Cafuites qui
I Pen délièrent. Devenu par là maître de
fon fort , il réfoiut de paffer fa..vie avec
le feui caraélere de Prêtre féculier, fans
être tenté de prendre aucun grade dans la
Faculté de Théologie de Paris*
I l vivoit aînfi tranquillement dans fa.
Patrie. L ’étude delà Philofophie & d e la
'ï'héôlogie, l’occupoient tour à tour. I l
faifoit fes délices-de l’une & de l’autre ; ,
mais fa fortune n’étoit pas affez confidé-
rable , pour lui permettre de mener une
vie oifive , quoique très-occupée. On lui
offrit de prêcher un Carême à A n ge rs ,.
Sc il accepta cette propofition. Il partit,
en i y S5) de Paris pour s’y rendre. 11 alla
enfuite à.Bordeaux, où il lia une amitié:
très-étroite avec M. Montagne , dont iL
éftimoit les EJfais. Ce fut dans cette Ville
qu’il compofa ôc mit au jour fon premier
Ouvrage intitulé : Les trois Verites. Ce
livre parut en i'5’5>4 » fous de nom fup-
pofé de Benoît Paillant, Avo cat de fainte
Foi. Ces vérités fö n t , i° . Qu’il y a un
Dieu ôc une vraie Religion. 2°. Que de
toutes les Religions, la,Chrétienne eft la
véritable. 30. Que de toutes les Commua
nions Chrétiennes , la Catholique R o maine
eft la feule vraie Eglife. Par lapremiere
vérité, il combat lés A théés ; p a t!
la fécondé, les Païens, les Juifs ôc les-
Mahométans-; par ; la troifiéme , les»
Hérétiques & le s Schifmatiques.
C e T r a ité , qui eft très-méthodique ,
lui procura .la dignité de Grand-Vicaire ■
de Cahors, avec la Chanoinie Théologale.
I l lui concilia tellement reftimedes»
Evêques , que dans une affemblée géné*
rale du Clergé , qui fe tint à Paris en
15 oy , il fut de la députation, & choifî •
pour le premier Secrétaire de cette alV
femblée. I l refta peu de temps-à Paris >?
après que le Clergé fut féparé. I l retourna .
à Cahors, ôc s’y occupa à compofer fon ;
fametw Ouvrage De laSagejfe. C e livre*
qui parut en 16 0 0 , fit beaucoup de b ruit, ,
& procura à notre Philofophe bien de
Phonneur ôc des chagrins* Les unsle loue-?
rent & l ’approuverent comme un livre-
excellent : d’autres' au contraire le
rejettereht avec mépris & le condamne** -
rent. Ceux-ci l’appellerent C H a r r o N «
le Secrétaire de Montagne ôc de Duvair y.
ôc lui reprochèrent d’avoir pris beaucoup;-
de Sentences desEffais de Montagne, Ôc
d’avoir tiré fa Defcription des pallions des -
Ouvrages de Duvair. (<z)>Ils l’accuferent
auffi d’avoir parlé très-cavalièrement de.
la Religion , ôc lui firent un crime d’a-
voir avancé entr’àutres propofitions fcan-^
daleules , celle-ci : » L a Religion n’eflk
».tenue que par moyens humains , & eft
» toute bâtie de pièces maladives , ÔC.
» qu’encore que l’immortalité de l’ame .'
» foit la chofe la plus univerfellement re-
» çue , elle eft la plus foiblement prou*
» véé : ce qui porte les -efprits à douter.'
» de beaucoup dechofes. » (h) Mais les -;
perfonnes qui apprécioient convenablement
le livre delà Sageffe,juftifiërent:
C h a r r o n - à cet égard. Elles obferve-
rent qu’il y avoit tant de franchife dans;
fes expreffions, que la pureté de fes intentions
perçoit à travers les chofes les-
plus repréhenfibles en apparence. Et elles,
confidérerent que notre Philofophe avoit
(*) Garde-de# Sceaux dé France, & connu dans la
République des Lettres far un Ouvrage intitulé » Ut la Saine Philofophie.
( h ) La-Bibliothèque Brqnptife, f ar.-M. C. Sorel g.
pag. i9*
réduit la fagefte en art ; ce qui e f t , félon
eux , une oeuvre divine. C ’eft auffi par-là
que le (avant M. Naudé (a) le préféroit à
Socrate, qui s’-eft contenté, dit-il, de parler
de la fageffe à fes Difciples confufé-
ment ôc félon les occurrences, fans leur
enfeigner la maniéré delà fuivre.
Ce Traité de la Sageffe de C h a r r o n
fu t enfuite attaqué par un Médecin nommé
M. Chanet, Auteur de plufieurs O uvrages
de Métaphyfïque , dans un livre
qui a pour titre : Confidérations fur la Sar-
gfje de Charron. I l s’agit principalement
du fentiment de C h a r r o n fur l’habitude
, affez femblable à celui que Montaigne
( b) a eu là-deffus, ôc de fön opinion fur
Rame des bêtes. Notre Philofophe ne re-
fufe pas aux animaux une forte de raifon-
nement 5 fon antagonifte prétend qu’ils:-
ne raifonnent point du tout.
C h a r r o n étoit heureufement dans?
la Province, lorfqu’on déchiroit fon Ouv
ra g e , & il ne fut point tout le mal qu’on
en difoit. Ces diiçours l’auroient fans
doute d’autant plus indifpofé, qu’il étoit
îi ès-fenfible aux procédés iniques, Ôc les
éloges qu’il auroit reçus d’ailleurs, ne
l ’auroient point dédommagé de cette in-
juftice. Car iesbons Auteurs font encore-
plus touchés des critiques qu’ils n’ont
point méritées, que des.louanges qu’o n j
leur donne , & cette impreffion refroidit
prefque toujours leur ardeur. Celle de
C h a r r o n , ne fouffrit- donc aucun
échec..
Il publia dans la même année que fon
livre de la Sageffe^>arut, feize Difcours •
Chrétiens , dont les huit premiers t r a i tent
de l’Euchariftie ; ôc les autres.de la:
Providence, de la connoiffance de Di eu,,
de la rédemption du. Monde , ôc de la ;
communion des Saints;-Il fit après cela."
réimprimer fon livre des Trois Vérités,
ôc fe nomma au frontifpice II ajouta à
cette nouvelle édition une réponfe à un
E c r i t , qu’on avoit publié à la Rochelle ,
contre fa troifiéme vérité. C e travail fut
accueilli comme il devoit l’être. L e Prieur
de Saint Martin-des-Champs, Evêque de
Boulogne-fur-mer ( Claude Dormi ) lui
écrivit en particulier plufieurs lettres très-
obligeantes. Elles firent naître dans
C h a r r o n le defir de revoir fa patrie.
I l quitta Condom & arriva à Paris le p
C â o b r e ï 603. I l fe fit un devoir, en arrivant
, d’aller faluer M. Dormi, qui le
reçut très-gracieufement, & qui lui re^'
nouvella l’offre qu’il lui avoit faite par fes
lettres, de lui donner fa Théologale dans>
fon Evêché : mais- notre Philofophe n’étoit
pas venu à Pâris pour retourner fitot
en Province; I l remercia l’Evêque , ôc alla
fe loger chez Un Libraire, au Mont ôc eft;
la-Pàroiffe Saint Hilaire, quartier qu’i l -
avoit cboifi, pour être proche de l ’Imprimerie
ou l’on travailloit à une fécondé-'
édition de fon livre de la Sageffe.
Il avoit alors foi xante-deux ans, ôc iT
jouiffoit d’une fanté d’autant plus parfaite
en apparence , qu’elle n’avoit point été :
troubléepar aucune maladie: Auffi comp-
toit-il beaucoup fur la force de fon tempérament
, ôc cette confiance jointe à
fon indifférence pour la v ie , lui fit négliger
une douleur de poitrine, quil’empê-
choit de refpirer, ôc qui fe diffipoit, lorf-
qu’il s’étoit repofé, parce qu’alors la ref-
piration étoit plus libre. M. Marefcot,
célébré Médecin, lui avoit confeillé de
fe faire faigner. I l l’avoit averti, que s’il
ne fuivoit pas fon confeil, le fang le fuf-
foqueroit, lorfqu’il y penferoit le moins.
Notre Philofophe écouta ce fage avertif-
fement ôc n’y eut aucun égard , parce
qu’il ne croyoit pas qu’on dût fe mettre
en frais pour prolonger fes jours. Cependant
la prédiétion de M. Marefcot ne tarda
pas à s’accomplir. Le 16 Novembre
1 603 à une heure après midi, C H a r-
r o n étant forti de chez lui, defcendit |
jufqu’âu bas de la rue Saint Jean de Beauvais
, ôc prêt à entrer dans la rue des
Noyers , il dit aux perfonnes qui l ’ac- #
„eompagnoient,qu’il fe trouvoit très-mal,
ôc qu’on prît garde à,lui. On s’approcha
pour le foutenir : mais les j,ambes lu i man-
( <t) Voyez fa Bibliographie.
Voyez U Motale.de Montagne , à la fin de fa vie*
, Ijif
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