Il fortît du College,après y avoir achev
é Tes études. I l n’avoit encore que treize
ans. Son pere, qui le .deftinoit à' larrobe ;
le fit étudier en D ro it, 6c il le fit. enfuite4
recevoir Confeiller du Roi au'Pa.rlément
de Bordeaux. Montagne exerça cette;
Charge jufqu’à la. mort de'fon itéré
aîné, qui arriva, quelques années après
qu’il en fut pourvu. Héritier par-là desbiens
6c des titres de fa famille, il 'crut
que le parti de l’épée lui convenoit mieux
que celui de là'robe. Son humeur folâtre ,
'6c un peulibertine fe trouvoit trop gênéé'i
par la gravité qu’exige la Magiftrature.
I l étoit obligé de s’ôbferver■ , pour fe- •
conformer à fon étatr, & cette contrainte j
éioit un fùpplice pour lui.
Devenu ainff libre fans foins 8é fans1
embarras , il fe 'livra fans réferve à Tes-
goûts & à fes penchans'.Tbaimoit lesrpl'ai-'
Tirs vifs & une grande - aifance dans le 1
commerce.dela" vie , 6c il ne fe gênoit à
cet égard en aucune façon. 1 1 n’ obférvoit
pas même les ufages les plus reçus-fur
les vêtemens.De fontemps"on neportoït'
que des habits dè couleurs mêlées,' comme-
gris , brun j.caneilè, 6cc. maismotre Phi-
lôfophe bravoi.t gaiernent cette coutume.1
I l paroi (Toit aujourd'hui avec un habit
blanc, demain en habit v erd , 6cc; Cette
fîngularité.pafïbif dans le monde pour ridicule
: il le Tavoit, 6c il Vembarraffoit
fort peu de ce qu’ôn pouvoit d irepourvu
que fafantâiflé fut fatisfaite.
Cette vie § particulière ' 8c nullement
conforme a celle dés autres-hommes , fit
craindre que M o n t a g n e n abandonnât
les-biens de fon pere 8c défia famille, s il
lui prenoit envie de courir le monde.
Pour lë fixer, on longea à le marier',
quoique Ton éloignement pour le mariage
fût t e l , qu’il auroit plutôt refufé d’épou-
fër hfagejj'e même, que de contra&er au'-
cun engagement. Cependant on fit fi
- Kén-, qu’il fe laiiTa conduire. Ses amis -,
qui lë connoiffoient unpeu libertin,avoient
tout lieu de craindre- qu’il ne vécût pas
régulièrement.avec fon époufejmais il obferva
lesloix du marîagé plus févêrémëhf“
quii n^avoit lùi-même promis & efpéré-’
I l avbit alors 3 3 ans. C e fut à peu près::
dans ce temps-là que fon pere mourut. I l -
lui la-ifia la Terre de Montagne , 8c lui
prédit ', avant d?expirer, qu’il la ruine- :
roit infailliblement. Cette prédiction- ne-
fe*vérifia pas.Les-'goûts de Mo n t a g n e '
étoient paflagers. Cet homme, qui étoit •
aûparavantfi ami de la liberté 6c de l ’in--
dépendance, devint tout d’un coup am-'
bitieux 6c paffionné pour les diftinétions.--
Ihfe produifit à la-Cour; 6c là , enfiouple :
Courtifan, il poftâla vivement & obtint-
lé Collier de Saint Michel , qui étoit*
l’Ordre unique du Roi. Flatté par ce fuc—r
cès , il oublia qu’il étoit Philofophe. L ’é-
clat de- ce qu’on appelle -honneurs dansr:
lè monde, l’éblouit-, 8c il ne fongea qu’a ies
accumuler fur fa tête. A cet effet, il*-
alla à- Rome pour demander au Pape une--
Bulle au-t-entique de Bourgeoifie R o maine
, laquelle lui fut accordée de la maniéré
la plus gracieufe. Sp
Pendant qu’il étoit en Italie ; les OfK—-
c-iers Municipaux de Bordeaux l ’élurent
Maire de eette Ville. On’lui fit part
de 1 cette életlion ; mai s- M o n t A g N y
qui ne croyok pas que cette Charge fût-
digne de lui j la refu-fa. On lui reprefenta'
qu’il fe trompait; que foh- pere l’avoit
autrefois poffédée , 8c qhe' c’étort a M-.
de Biron, Maréchal de France, qu’il fuc-
eédoit. Ces inftru&ions lui firent changer
d’avis. I l vint à Bordeaux & accepta la
Mairie, qu’il exerça -afiez mal.
Après • être parvenu ainfi aux plus :
grands-honneurs, q'u’uivhomme de condition
pouvoïtefpérer de parvenir,M o n t A?- •
g NE ne fongea plus qu’à orner-fon efprit. -
S ’il ne connut pas • abfiolument alors le
néant 6c lafiolie déboutés cesdiftinétions-,
ilfientit du moins que les fiatisfaftions que
procure la Philofophie'étoient bien d’un
autre prix. I l faut toujours en venir là •
lorfqu’on veut être véritablement heu?-
reux. Les grandeurs des Cours font des :
amufettes -, qui- peuvent flatter lorfqu’on
*-•. on uouxc w x c -Bulletins -li-tïWÛéroc livre de fes Ejfeis, .de T édition de i 7l fV
éfi-jeune, mais qui dégoûtent quand on
ad’efprit mûr & bien fait. C ’eft ce qu’éprouva
nôtre Gentilhomme* I l fe retira
dans la fqlitude, 8c il fientit tous les agré-
rnens qu’on goûte lorfqu’on vit d’une maniéré
conforme à la nature & à la raifion.
Livré à fes réflexions 8c foutenu par une
bonne leéture , il mit par écrit toutes fes*
penfées fur le fpeétacle du monde. Une-
imagination vive 8c féconde 8c une con-
noifTance afiez étendue du coeur humain,-,
firent naître fous fa plume les peintures
les plus vives- 8c les- plus naturelles. Il
parcourut tous les-états , toutes les conditions
, toutes-les paffions 8c les affections
de l’homme-, 8c en fit des tableaux
très-piquans. Cela étoit écrit fans fuite &
fâns ordre ; mais cela étoit naïf, vrai 8c
judicieux. M o n t a g n e crut que c’en
étoit affiez- pour mériter à fes penfées
l ’honneur de l’impreffion. Dans1-cétte
idé e, il les publia en 1 y,8o fous ce titre :
Les EJJais de Michel, Seigneur de Montagne,
Le Public net leur fit pas d’abord
grand accueil. Jujîe Lipfe fut le premier
qui en fit connoître le mérite ; 8c il défilla
tellement les' yeux de tous les Gens-de
Lettres , que la première édition fut bientôt
enlevée. Chacun fe reconnut avec
P’iaifir dans Tes différens portraits qu’il
donne des foiblefTes de l’homme. L a Angularité
du-flyle fixa auffi l’attention des
connoiffeurs. Une diâion originale , dés
termes-énergiques 6c d’une grande ai-
fiânee , donnent effeélivement à- tout ce
qu’il dit un caraéterë .fimple, plein de vivacité
8c d’agrément. Quand on le lit ,
on croit l’entendre. Ses- penfées font ex-
quifes 6c fes ex-prefuons d’une grande fint-
plicite. L a nature & la- vérité- s’y trouvent
prefque toujours enfenible. £h ! que
faut-il dé plus pour irtfiruire 6c pour plaire?
fcipfcappelle M o n t a g n e 1 eThales François
; 8c Mènerai lui donne le nom de Se-
neque Chrétien. Quelqiies Savans pré^-
tëndent même que jamais Auteur n’amieux
fait connoître aux hommes ce
qu’ils font 6c ce qu’ils peuvent être, 6c‘
développé avéc plus de finefle les reflorts.
les plus cachés ae l’efprit humain. Notre'
Fhilofophe avoit véritablement un art de'
fe rendre- aimable dans fon livre ..autant'
qu’il y paroiflbit judicieux-: c’etoit d’é crire
fans contrainte , dé' tout rifquer
de ne ménager ni la pudeur , ni les bien-
feances. Pourvu qu’il pût'faire Valoir une'
penfée forte 6c dès expreffions hardies, il-
ne s’embarraffoit pas 'dii refie. I l ne rougît
pas même de parler de lui à toutes les’
pages de fon livre. Il étale fa condition
avec un fafie, qui choque farts déplaire ,
parce qu’il expofe en même têrnp's fes dé^
fauts 6c- fes impèrfeéliôns, avec une ingénuité
qui charme. Cependant il y a peut-
être plus d’orgueil à fe peindre ainfi fans
honte , que de faire valoir fes bonnes
qualités. M o n t a g n e eut fans doute
mieux fait de mettre en pratique cettè
maxime qu’ôn lit dans fés EfTais : Tout
bien compté, on ne parle jamais de foi fans
perte. Si Von fe condamne, lés autres eti
croyent plus qu'on en dît, j ï on fe loue , on
n’en croit rien. L ’imagination rit dé ces
peintures qu’on fait de fes propres vices ;
mais le jugement les réprouve. Auffi toutes
les personnes de bon fens ont blâmé
avec raifon notre Moralifte à cet égard.
Plufieurs Auteurs célébrés (ïz ) ortt encore
attaqué quelques uns de fes principes,
comme lé pyrrhonifine', le mépris
de la mort, 6cc. 6c ont blâmé juftement
ces expreffions fales6c'déshonnêtes, dont
il fe fert fans ménagement. Mais l ’Ecri-
Vain qui a pëut-êtté apprécié avec plus
dé vérité fon OuVrâge , efi Doni Bona-
venture à’Argonne , Chartreux , fous le
nom de Vigneul de Mar ville. « Ce qù’il y
» a de meilfeiir, d it- il, dans les Ejjais de
» Montagne, c’eficeque cetAuteür dit des
»pallions 6c des inclinations de l’homme :
» ce qu’il y a dë moindre , c’èft l ’érudi-
» ti-on, qui en efi vague ôc peu certaine ;
(«) Pnfcal, dans fes Penfees. Nicole , dans fon -Art fes Nouvelles de lu Rtfublijue des Lettrés. M. d’Avril
de- fon fer. 6e dans fes- Ejfais, de Morale. Malebranche , 1700- & c .O n - peut voir ’auffi la Bibüithcqitjc. Frétadans
fa Recherche de la vérité. La Cheta-dic , fous le ƒ**/* de Ssicl, .pagv 68. •
iwnvde Morte ado ^ dans fes Réflfxiofu,Bernard, ,dan^.