ques exemples de cette dangereufe vérité.
Les Philofophes difent que l ’homme
qui n’ambitionne que les richefles, met fon
ame à prix ; & ils demandent fi l’on doit
rapporter le bonheur au plaifir ou à la vertu.
Et les gens du monde foutiennent que
cette délicateffe eft miférable, 6c qu’on
doit chercher les richefles qui font bonnes
à tout.
LesJhonnèurs fervent à mettre une valeur
à notre mérite, & à le rendre public.
Cette propofition paroît très-raifonnable,
6c cependant elle ne l’eft point; car les honneurs
font de faux poids qui ne font que
fuppofer le mérite des hommes, fans faire
çonnoître leur valeutvintrinféque.
Les éloges du peuple tiennent de l’inf-
piration, 6c font par conféquent la récom-
penfe la plus flatteufepour la vertu. Propofition
contradictoire. L e peuple loue les
plus minces vertus qui font à fa portée : il
admire les vertus éclatantes qui font équivoques
, Sc n’apperçoit pas les vertus fu-
blimes.
I l femble que rien n’eft fi beau que la
complaifance, parce qu’un complaifant fe
prête toujours aux fentimens 6c au goût
des autres. Cependant la complaifance eft
une fervitude perpétuelle. Les offres du
complaifant ne font pas des fervices , 6c
fes refus font des injures.
L a vanité nuit à foi & aux autres : elle
corrompt le principe de nos meilleures actions
, nous en dérobe tout le mérite, 6c
nous rend infupportables à ceux avec qui
nous vivons, puifqu’elle nous fuggere de
nous élever au-deflus d’eux. Voici la pro-r
pofition contradictoire. L a vanité corrige
beaucoup de vices, 6c nous rend propres à
de grandes aCtions.
L e courage nous apprend à voir le danger
d’un oeil ferme, ou pour l ’éviter, fi
l ’honneur le permet, ou pour l’affronter, fi
l ’honneur le commande. Propofition contradictoire.
Un homme qui ne craint pas
pour fa v ie , ne ménage guère celle des autres.
Les bienfaits nous impofent des obligations
d’autant plus facrées, qu’elles
n’ont dépendu que de notre choix ; 6c par
conféquent l’ingratitude eft un vice. Propofition
contradictoire. L ’ingrat rend fou*
vent juftice à fon bienfaiteur en fou *
bliant, 6c il fe rend toujours juftice à lui*’
même en confervant fon indépendance.
L ’autre Ouvrage de Bacon a un rapport
plus intime avec les injuftices qu’il
éprouvoit. I l s’agit de la couleur qu’on
peut donner au vice & à la vertu, à la vérité
6c à lafauffeté, pour les faire prendre
l ’une pour l ’autre fuivant qu’on a'intérêt
de mafquer la vertu, ou de déguifer le vicej
Auffi l’a-1-il intitulé Les couleurs du bien
du mal. L ’Auteur dit que quand on délibéré,
il s’agit de favoir ce qui eft bon Sc
ce qui eft mauvais ; par rapport au bien -,
quel eft le plus grand bien ; par rapport au
mal, quel eft le plus grand mal : en forte
que quand il eft qüeftion de perfuader 6c de
faire paroître les chofes bonnes ou mau*
vaifes, cela nefe fait pas feulement par de
bonnes Sc folidesraifons,maisen peignant
les chofes de certaines couleurs. Car outre
la vertu que ces couleurs ont de faire paroître
les objets tout différens de ce qu’ils
font réellement, elles font encore très-;
propres à induire en erreur ou à fortifier la
perfuafion de ce qui eft vrai.
Qu’on ceffe donc de s’étonner s’il fo
commet tant d’injuftices dans le monde ,
& fi le Duc de Buckingham put faire oublier
à la C ou r , Sc le mérite de Bacon, Sc
les fervices qu’il avoit rendus à la patrie, Sc
l ’honneur qu’il faifoit à la Nation. Fatigué
par les réflexions que ces deux livres
avoient fuggérées, notre Philofophe réfo-?
lut enfin d’abandonner l ’homme à fon mauvais
fort ; il reprit l’étude de la nature. Un
jou r, comme il fuivoit une expérience fur
la confervation des corps , il refta fi longtemps
à l’air, qu’il fut faifitout d’un coup
d’une douleur d’eftomac affez v iv e , Sc
d’un grand mal de tête. L a fievrefurvint,
Sc il fentit alors tout le danger de fa mala-,
die. Il étoit logé chez le Comte d’Arundel,
à Highgate. I l lui écrivit dans ce trifte
état une lettre, ou il fo compare à Pline le
Naturalifte, qui perdit la v ie , en voulant
examiner avec une curiofité trop danger
reufe les embrafemens du Mont-Véfuve.
Son mal empira, 6c il fiiccomba le p A v p i
ï 6 2 6 , âgé de foixante-fix ans.
I l fut inhumé dans l’Eglife Saint Michel
, proche Saint-Alban, fans appareil
& fans pompe. On ne fongea pas même à
mettre aucune marque extérieure de dif-
tinélion au lieu de fa fépulture. Mais le
Chevalier Thomas Meautis, qui avoit été
un de fes Officiers, lorfqu’il étoit Chancelier
, y fit pofer une tombe avec une épitaphe.
Cette tombe eft de marbre blanc.
B acon eft repréfenté aflîs dans la pofture
d’un homme qui médite. L ’épitaphe com-
pofée par le Chevalier Henri IVdton, eft
conçue en ces termes : Francifcus Bacon,
Baro de Verulam, SanSti Albani Vicecomes,
feu Notioribus titulis, Scientiarum lumen ,
facundioe le x , fie fedebat. Qui pofiquam om-
nia naturalis fapientuz Gsr civilis arcana evol-
vijfet, naturtz decretum explevit : compofita
fplvantur : anno Domini 16 2.6, cetatis 66.
Thomas Meautis, fiuperfiitis cuit or, defunfti
admirator, H. P. c’eft-à-dire : » C ’eft ainfi
» qu’étoit aflîs François Bacon, Baron de
» Verulam, Vicomte de Saint-Alban; ou
» pour le défigner par des titres plus illuf-
» très , la lumière des Siences, 8c la régie
»de l’Eloquence. Après avoir dévoilé
»tous les myfteres de la nature & de la
» politique, il a payé le tribut à la nature,
» & a obéi à cet ordre, que le compofé
»foit diffous, l’an 16 2 6 , âgé de 66 ans.
» Thomas Meautis, qui le refpe&a pendant
» fa v ie , Sc qui l’a admiré après fa m or t,
»•a érigé ce monument à la mémoire de ce
»grand homme «.
. Bacon étoit d’une ftature médiocre. I l
avoit le front .large & ouvert-, la phifio-
nomie agréable Sc refpeélable en même
temps. Sa converfation étoit aifée. Lorfqu’il
parloit en public, non»feulement il
favoit captiver l’attention de fes auditeurs;
il faifoit encore naître dans leur pme les
fentimens qu’il vouloit leur infpirer. I l y
avoit dans fon tempérament une fingu-
larité fort extraordinaire : c’eft que toutes
les fois qu’il y avoit une éclipfe de Lune ,
foit qu’il y prît garde ou non, il tomboit
en défaillance, Sc ne revenoit à lui-que
lcrfque i’éclipfe'étoit paffée.
I l fe nourrît pendant fa jeuneffe de mets
affez délicats ; mais il leur préféra dans la
fuite une- nourriture plus- folide , Sc qui■
conténoit un fuc moins aifé à diffiper. I l
faifoit un grand ufage de nître, qu’il croyoit
excellent pour la fanté. I l en prenoit tous
les jours la quantité de trois grains dans un
petit pain chaud. I l fe purgeoit toutes les
femaines avec une macération de rhubarbe,
qu’il faifoit infufer dans une chopine de vin
blanc & de bierre mêlées enfemble. I l prenoit
cette potion avant le dîner ou avant
le fouper. D ’un tempérament affez ro-,
bufte, il n’étoit fujet à d’autre incommo-,
dite qu’à celle de la goutte; Sc il ufoit d’une
recette de fa compofition, qui le foula*
geoit au bout de deux heures.
I l avoit époufé à l’âge d’environ qua-~
rante Sc un ans la fille d’un Sénateur de
Londres, qui lui avoit apporté de grands
biens, 6c qui mourut vingt ans avant lu i,
Sc ne lui laiffa point d’enfans.
Son génie étoit vafte Sc capable des plus
grandes chofes : mais fon ambition pour
les honneurs, 6c les grands embarras que
ces honneurs lui avoient caufés, ne lui ■
avoient pas permis d’approfondir les fu jets ;
qu’il embraffoit. Les projets les plus fubli-
mes fe fuccédoient dans fon efprit, fans
qu’ il eût le temps de les faifir ; 6c il ne
finît prefque rien. Toutes fes nouvelles
vues font comme noyées dans fes O uvrages.
Les propofitions 6c les axiomes 5
qu’il avance, font plutôt des avis 6c des
expédiens pour donner des ouvertures à ’
méditer, que des maximes propres à établir
des principes. Voilà pourquoi il ne ;
jouît point d’abord d’une eftime univer-
felle en Angleterre, 6c que ce n’a été qu’a-
près avoir vu le fuccès de toutes fes idées, ’
6c l’utilité dont elles ont été au genre humain
, qu’om: a oublié fes foibleffes, 6c
qu’on lui a rendu juftice. Bacon avoit •
prévu le fentiment de fa Nation à fon égard. -
On lit dans fon teftament ces paroles re- '
marquables : Je laijje le foin de ma réputation
aux Etrangers ; après qu’il fe fera pajfé -
quelque temps, à mes propres Compatriotes*
I l étoit sûr én effet de l’admiration des
Etrangers, dont il avoit déjà reçu plufîeurs ;
témoignages. Entr’autres traits remarquables
fur ce fentiment, on ' raconte que le |
Marquis De fiat étant venu en Angleterre' ?
pour y , conduire la Prineeffe- -Henriette--'