Marie, époufe de Charles Jf, notre Philofo-
phe étoit alors malade, & il le reçut dans
fon lit les rideaux fermés. »Vous refîem-
» blez aux Anges, lui dit ce Miniftre. Nous
»en entendons continuellement parler :
» nous les croyons d’une nature fupérieu-
»re à celle de l’homme, 6c nous n’avons
» jamais la confolation de les voir «.
Cet éloge eft très-beau ; mais fi l’on con-
fidere B acon .comme homme, c’eft-à-
d ire, ayant un coeur de un efprit, il eft
outré. Ses foiblefîes temperent beaucoup
fes grandes qualités. L e fervice qu’il a rendu
aux hommes par fes travaux philofo-
phiques, n’en eft pas moins digne de la plus
v ive gratitude. C e mortel heureux, qui
connoiftoit les forces de l’entendement humain,,
lui a indiqué la route qu’il devoir
fuivre pour acquérir des connoiftances fo-
lides : c’eft de réunir l’expérience 6c le rai-
fonnement. Ceux , d it-il, qui s’efforcent
d’élever leurs fyftêmes par la force des
fpéculations arbitraires, reflemblent aux
Géans de l’Antiquité, q ui, fuivant les
Poètes, firent leurs efforts pour entaflèr le
Mont Ofla fur Pelion , ôc l’Olympe fur
Olfa. Il compare encore les Philofophes
empiriques, qui n’ont pas des vues plus
élevées que de faire des collections d’Hif-
toire Naturelle, aux Fourmis qui amaf-
fent du grain 6c le mettent à part à mefure
qu’elles le trouvent, 6c les Sophiftes aux
Araignées qui forment leurs toiles de
leurs propres entrailles, pour prendre les
infeCtes imprudens dans leur vol. Mais l’A beille
, qui ramafle la matière des fleurs de
la campagne, dont elle forme fon miel, eft
l ’emblème du véritable Philofophe, qui
ne fe rapporte pas entièrement à fon imagination
, 6c ne fe contente pasdefaire des
collections d’Hiftoire Naturelle ou d’expériences
méchaniques, mais qui s’élève par
de folides raifonnemens 6c une étude fui-
vie de la nature à laconnoiflance de la vérité.
Cette Philofophie, femblableàla vi-
fion de Jacob, nous découvre une échelle,
dont le fomrnet eft élevé jufqu’à l’efca-
beau du Trône de Dieu. E t telle eft la
principale obligation que nous avons au
grand homme dont je viens d’écrire la
yiê. Achevons fon hiftoire par l’expofition
de fes penfées Ôc de fes nouvelles
vues.
Tableau ou Syftême des connoîffances humaines
fuivant B a c o n .
L ’entendement humain eft compofé de
trois facultés, la Mémoire, I’Imagina-
t io n , 6c le Jugement ou la Raison.
L ’Hiftoire fe rapporte à la Mémoire, la
Poëfie à l ’Imagination, la Philofophie à
la Raifon.
L ’Hiftoire traite des chofes particulières
arrivées en différens temps. L a Poëfîe
eft une Hiftoire feinte. Elle a pour fujet
des chofes qui font inventées à l’exemple
de ce qui eft véritable dans l’Hiftoire, avec
cette licence néanmoins qu’elle dit fouvent
des chofes incroyables. L a Philofophie ne
confidere pas les chofes particulières ni les
impreflïons qu’elles font, mais les con-
noiflances qu’on en tire. Son objet eft de
les'compofer félon la loi de la nature, ÔC
félon ce qui paroît en elles.
ï L’Histoire eft ou Naturelle ou Ci-i
vile. U Hiftoire Naturelle traite des productions
de la nature. L Hiftoire Civile contient
les faits & les allions des hommes.
Celle-ci comprend aufli l’Hiftoire'EccleJiaf
tique.
L ’Hiftoire Naturelle fe divife en Hiftoire
des chofes qui fuivent l’ordre de la
génération, ou celles qui vont contre l’ordre
de la génération, 6c en Hiftoire des
faits, phénomènes 6c expériences. La première
montre quelle eft la liberté de la Nature
; la fécondé, quelles font fes fautes ; &
la troifiéme, quels font fes liens. L ’Hiftoire
des générations confifte en Hiftoire
des chofes céleftes, en Hiftoire des Météores,
en Hiftoire du Globe de la terre &
de la mer, en Hiftoire des mafles, 6c en
Hiftoire des efpéces.
L ’Hiftoire Naturelle fe fubdivife en
Hiftoire Civile proprement dite, en H iftoire
Sacrée ou Eccléfiaftique, Ôc en Hife
toire des Sciences 6c des Arts.
L ’Hiftoire Civile confifte en Mémoires ;
en Antiquités 6c en Hiftoire entière. Les Mémoires
font une Hiftoire commencée. II
y a deux fortes de Mémoires : ou ce font
des
des Commentaires pour faire une Hiftoire,
ou des Régiftres. Les Commentaires contiennent
la fuite des aCtions 6c des chofes,
fans faire mention ni de leurs caufes, ni de
leurs motifs, ni de leurs commencemens.
Quant aux Regiftres', ils comprennent ce
qu’il y a de remarquable dans les chofes 6c
dans lés perfonnes, fuivant la fuite des
temps. T elles font les Annales 6c les Chronologies.
•
Les Antiquités font une Hiftoirtylébijfée
ou divïfée ; c’eft-à-dire, les monumens
d’une Hiftoire, qui ont été fauvésdu naufrage
des temps.
On diftingue encore trois genres d’Hif-
to ire , les Chroniques, les Vies 6c les Rela-.
tions. On entend par Chroniques ou Annales
, le récit des faits qui fe font pafles
pendant un certain temps. Les Vies contiennent
les aCtions de quelques fameux
perfonnages. E t on appelle Relation le détail
d’un événement remarquable.
I I . L’Imagination produit la Poëjîe*
C ’eft un A r t qui confidere les paroles 6c
les chofes. Elle eft un certain caraCtere.du
difcours; car le Vers eft un genre de ftyle
6c une forte d’éloquence qui ne touche la
chofe en aucune façon, vû que le récit de
ce qui s’eft pafle peut être écrit enV e rs ,
ôc que celui qui eft feint, peut être écrit
en Profe.
L a Poëfie eft ou narrative, ou dramatique
, ou parabolique. L a Poëfîe narrative
imite l’Hiftoire, ou plutôt c’eft une H iftoire
feinte. Cette Hiftoire feinte a été inventée
pour donner quelqu’ombre de fatif-
faCtion à l’efprit de l’homme, d’autant que
les Arts 6c les événemens de l’Hiftoire
vraie n’ont pas cette grandeur qui flatte
l ’arne; au lieu que la Poëfie narrative fert
à la magnanimité, à la morale & à la récréation.
Aufli éleve-t-elle l’efprit, ert
foumettant la nature des chofes à fes
défirs, tandis que la raifon plie l’efprit à la
nature des chofes.
L a Poëfîe dramatique eft comme, une
Hiftoire qui eft repré (entée; car elle fait
voir l’image des chofes comme fi elles-
étoient préfentes, au lieu que l’Hiftoire les
montre paffées.
L a forte de Poëfîe qu’on appelle parabolique
ou héroïque, eft une Hiftoire avec
figures, qui tantôt rend fenfibles les chofes
fpirituelles, 6c tantôt les couvre d’un voile,
en cachant les myfteres de la R eligion, de
la Politique 6c de la Philofophie dans des
fables 6c des paraboles.
I I I . L e Jugement eft la troifiéme faculté
de l’Entendement humai n* 11 s’exerce
fur la Philofophie. C ’eft une fcience qui a
deux objets , Dieu de la Nature : ce qui
forme deux efpéces de Philofophies, la
Philofophie divine ou Théologie naturelle, de
la Philofophie naturelle.
L a Philofophie divine eft l’art de parvenir
à la connoiflance de Dieu par la con--
templation de fes oeuvres. Cette connoif-
fance eft^appellée divine à l’égard de l’obje
t, & naturelle par rapport aux lumières
de l’homme. L é but de cette Philofophie
eft de détruire l’Athéifme ; car le T o u t-
Puiflant n’a jamais fait de miracles pour
convertir un A th é e , parce que les lumières
de la raifon peuvent lui faire confelfer un
Dieu.
L a Philofophie naturelle a pour objet la
découverte des caufes de la production de
la nature. Elle fe divife en Métaphyfique,
en Hiftoire naturelle, de en Phyfique. L a Mé-
taphyfîque recherche les caufes fixes de
confiantes. L ’Hiftoire naturelle décrit la
variété des chofes. E t la Phyfique s’occupe
des chofes qui font variables de refpeCtivesi
C ’eft-à-dire, que la caufe finale de la forme
font l’objet de la Métaphyfique, de que là
caufe efficiente de la matière font celui de
la Phyfique : ce qui comprend les principes
des chofes, la fabrique des chofes, de la
variété des chofes.
A la grande Philofophie naturelle font
jointes les Mathématiques de la Médecine.
Les Mathématiques fe divifent en Mathématiques
pures ôc en Mathématiques mixtes,
Cel'lés-là comprennent la fcience ducal-v
cul, de celles-ci l’application du calcul aux
effets de la nature.
L a Médecine a trois parties, la confer-
vation de la fanté, la guérifon des mala-*
dies, de la prolongation de la vie. Les ac-
cefloires à la Médecine font i ° . la Cofiné-
tique, c’eft-à-dire, la connoiflance de tout
ce qui fert à la décence de l’homme, de à
D