16 3 6 ,6 c évalue les prix. Sefterces à leur jufte
Tous ces travaux, dont on avoit été
inftruit à Paris , avant même qu’ils fuffent
publics, firent juger aux amis de G a s s e n d
i , que fa fanté étoit rétablie, & ils ne
cefferent de l’obféder pour le faire revenir
en cette Ville. I l céda enünàleurs follici-
tations, ôc partit dans le mois de Mai de
P année 1 Ô5'3. Sa préfence fît grandplaifir à
tous les Savans. On le regardoit comme
un homme reffufcité. Il écrivitlui-même à
M. IVindeTm : me voici revenu non de l'Ache-
ron, mais des portes de la mort. Je fuis bien
rétabli d'une longue G dangereufe maladie
qui m'a détenu plujîeurs années en Provence.
Cependant, malgré cette apparence d’un
parfait rétabliffèment, il retomba malade,
& devint fî foible, qu’il fut obligé de fé
priver de fes entretiens avec fes amis, ôc
du plaifîr de l’étude. I l gagna encore peu
par ce régime. Sa fanté dépériffoit à vue
d’oe i l, ôc il languit ainfî jufqu’au mois de
Février de 1 6 y y , où fa maladie fe déclara
tout-à-fait par une colique furieufe, qui
fut fuivie d’un flux de ventre immodéré &
d’un vomiffement violent. M. Gui-Patin
lui fit adminiftrer quelques remedes qui
calmèrent fon mal. Il paffa même l’Eté-
affez tranquillement. Mais au commencement
de l’Automne fa maladie fe déclara
d’une maniéré fi violente, que les meilleurs
médicamens n’opérerent aucun foulage-
ment. Les plus célébrés Médecins, qui
étoient tous de fes amis, ne le quittaient
point. Ils avoient déjà fait faire de concert
neuf faignées au malade, qui en étoit extrêmement
affoibli. L e plus vieux des Médecins
lui ayant tâté le pouls, opina qu’il
ne falloit plus réitérer la laignée. Un autre
Médecin fut de.même avis: mais un troisième
embraflà l ’opinion contraire, ôc la
défendit avec tant de véhémence, qu’il entraîna
tous les autres dans fon fentiment.
L e malade fut donc faigné pour la dixiéme
fois. Trois autres faignées fuivirent encore
celle-ci; de forte que fon Secrétaire,
allarmé de cette grande perte de fang, voulut
en épargner une cinquième par un men-
fonge officieux : mais il en fut févérement
réprimandé, & fon maître n’en fut faigné
que plus copieufement.
Gassendi, épuifé par tant de faignées;
comprit que les Médecins n’entendoient
rien à fon mal, ôc qu’il n’y avoit aucun
efpoir deguérifon. Lorfqut le Chirurgien
fepréfenta pour le faigner de nouveau, il
dit à fon Secrétaire, en donnant fon bras :
Il vaut mieux s'endormir.paifiblement dans le
Seigneur, que de perdre la vie avec de plus
vifs fentimens. I l fit après cela appeller fon
Confeffeur, Ôc reçut le'Viatique. G ui-Patm
s’étant approché de fon lit après la Comr
munion pour lui confelller de mettre ordre
à fes affaires, il leva gaiement la tête,’
Ôc lui dit à Pareille : omnia proecepi, atque
animo mecum anteperegi. Ses forces s’afioi-
blirent au point qu’on ne pouvoit prefque
plus entendre ce qu’il difoit ; ôc comme il
s’apperçût qu’il touchoit à fon dernier moment,
il porta la main de fon Secrétaire
fur fon coeur, en lui difànt ces mots, qui
furent les dernieres paroles qui fortirent
de fa bouche : Voilà ce que c'eft que la vie de
l'homme. I l expira le 24. Octobre 1 6y y ,
à quatre heures après-midi, âgé de foi-
xante-trois ans Ôc neuf mois.
On a écrit que notre Philofophe avoit
terminé fa carrière d’une maniéré moins
édifiante, & qu’il avoit dit avant que de
mourir : Je ne fai qui m'a mis au monde,
j'ignore quelle efi ma deftinée, G* pourquoi
Von m'en tire. Mais l’Auteur de fa vie ■ ( le
Ferè Bougerel') l’a lavé affez bien de cette
accufation. C et Hifforien s’eft appliqué
aufïï à le juftifîer des reproches qu’on lui
fait de n’avoir point eu de religion, ôc d’avoir
été lié très-étroitement avec des ef-
prits forts qui ne croyoient rien. M. Mo-
fin difoit : » Savez-vous pourquoi il difÏÏ—
» mule? c’eft par crainte du fe u , metu ato-
» morum ignis. Mais c’étoitun ennemi déclaré
de G a s s en d i , qui doit être tenu
pour fufpeél:. L e reproche le plus férieux
ôc le plus important qu’on lui a fait fur fon
orthodoxie, eft celui de M. Arnauld. Dans
fon Livre fur Epicure, notre Philofophe a
écrit, qu'il n'y a point de preuves folides qui
nous empêchent de croire que notre ame n'efl
dftinguêe de notre corps, que comme un corps
fubtil Veft d'un corps groffier ; ôc M . Arnauld
a eu raifon de foutenir que cela étoit très-
yépréhenfible. O u i, fans doute, chrétiennement
n e m e n t p a r la n t : m a is G a s s e n d i é c r iv o it
e n P h il o f o p h e , ôc f a if o it a b f tr a f tio n d e s
v é r ité s d e la r e li g i o n , q u ’il a to u jo u r s r e f -
p e é té e s .
Deux jours après fon décès, on le porta
à la paroiffe de faint Nicolas des Champs.
Ungrandconcours de monde, des perfon-
nes de la première diftinCtion, Ôc prefque
tous les Savans qui étoient dans Paris, aflif-
terent à fes obfeques. M. de Montmort,
Maître des Requêtes, l’un des quarante de
l ’Académie Françoife, les avoit ordonnées.
C e digne ami le fît enterrer à la chapelle
faint Jofeph, dans le tombeau de fa
famille, auprès de Guillaume Budée, fon
grand oncle, & le plus favant homme de
Ibn fîécle. Il fit enfuite élever un maufolée
fur fa tombe, au - deffus duquel eft fon
bufte en marbre blanc, foutenu par une
table de marbre noir, fur laquelle on lit
cette épitaphe : Petrus G ^ sssn d u s , Di-
nienfis ci vis, ejufdem Eccleftce Prcepojitus ,
SacroeTheologioe Doblor, in AcademiâPari-
fienft Regius Mathematicarum Profejfor ;
hic requiejcit in pace ; qui natus eft anno Chrift
ti î f ÿ S , die 11 Kalend. Februarii. Obiit 16 f S > die Kalend. Novemb. Depofitus eft 7
Kalend. Henricus - Ludovicus H a l b e r -
t u s d e M o n t m o r t , Libellorum Suppli-
cum Magifter, viro pio ,fapienti, doblo, ami-
60 fuo, G hofpiti pofuit (a).
La mort de G a s s e n d i confterna toute
l’Europe favante. Prefque tous les Gens
de Lettres répandirent des pleurs fur fon
tombeau. L e Succeffeur de ce grand
homme dans la Prévôté de Digne , prononça
fon Oraifon funebre dans la Cathédrale
de cette Ville. L ’Eglife étoit remplie
, ôc on n’y entendoit que des gémif-
femens. Les vieillards auffi attendris que
les autres , convinrent' qu’ils n’avoient
jamais vu une confternation fî générale.
Notre Philofophe méritait bien ces
larmes ôc ces regrets. Une fimplicité ingénue
, une politeffe aifée , une candeur
aimable , ôc une converfation également
enjouée ôc inftruétive, lui avoient gagné
le coeur de toutes les perfonnes qui l’avoient
connu ; ôc il àvoit acquis l’eftime
des Savans ôc des hommes Bien nés par la
beauté & la délicateffe de fon efprit, par
fon grand fens, par une étude continuelle,
par un travail aflidu , par fa méthode fin-
guliere de découvrir la vérité , par la
profondeur ôc la variété de fes connoif-
fances, enfin par l’excellence de fes productions
ôc l’intégrité de fes moeurs.
Toutes ces qualités étoient moins l ’ouvrage
de la nature, que celui de l’art. S’il
avoit reçu en naiffant d’heureufes difpofî-
tions , il les avoit auflï cultivées avec
grand foin. I l fe levoit à trois heures du
matin , quelquefois à deux , jamais plus
tard qu’à quatre , ôc étudioit jufqu’à
onze heures , à moins qu’il ne fût interrompu
par quelque vilîte. I l dînoit
vers le midi. Son repas confiftoit prefque
toujours en légumes. I l mangeoit fort
rarement de la viande, ôc ne buvoit que
de l’eau. Sur les trois heures , il fe remettait
à l’étude jufqu’à huit. I l foupoit
alors affez légèrement, ôc fe couchoit
entre neuf Ôc dix.
I l s’énonçoit d’une maniéré agréable,
ôc avoit des reparties fines. Lorfqu’on
le prioit de dire fon avis fur quelque
queftion , il s’excufoit fur les bornes
de fon efprit, exageroit fon ignorance ; ôc
quand il était forcé de s’expliquer, c’était
toujours avec une fage défiance. A l’arrivée
des Gens de Lettres, il fe contentait
de leur donner des marques de bienveillance
, fans chercher à furprendre
leur eftime par fes difcours. Toute fon
étude ne tendoit qu’à devenir plus favant
ôc meilleur. Auffi a v o it-il mis fur fes
livres ces paroles, fapere aude.
I l vécut fans ambition ôc prefque fans
fortune. Une égalité d’ame admirable le
mettoit au-defl'us de tous les événemens
de la vie. G ’étoit un vrai fage, que rien
n’étoit capable d’émouvoir. I l étoit préparé
à tout. I l ne fe mit jamais en colere.
On le trouvoit toujours doux , poli ,
complaifant, ennemi des brouilleries, des
divifions , des querelles. Son érudition
[<0 L’Auteur de la Vie de Gaffetidi a rapporté une autre épitaphe , compofée par quatre
très-belle.
de fes difciples,
G