Profeffeui* prononça un beau difcours latin,
dans lequel il défendit fa méthode d’en-
feigner. C e difcours avoit pour fujet l’u-
nion de la Philofophie & de l’Eloquence,
( De Jîudiis Philofophioe Eloquentice conjungendis).
L ’affemblée étoit fî nombreufe,
que beaucoup de perfonnes ne purent
point entrer, ôc que plusieurs fe trouvant
trop incommodés delà foule, furent obligés
de fortir.
On l’écouta paifiblement, & il fut même
applaudi. Mais à la première leçon qu’il
donna, il fut fifflé ; on fît des huées $ on
battit des mains & des pieds, pour empêcher
qu’on ne l’entendît. C e procédé, quoique
violent, ne déconcerta pas le Profef-
feur. I l s’arrêtoit de temps en temps juf-
qu’à ce que le bruit cefsât 5 & il acheva
ainfi fa leçon par reprifes. Cette patience
ôc cette douceur touchèrent les auditeurs,
& ils prêterënt déformais une oreille attentive
à fes inftruétions.
Notre Philofophe continua plufieurs
années à mêler ainfi l’Eloquence avec la
Philofophie. 11 croyoit que cette inftruc-
tion avoit enfin pris faveur, lorfqu’il fe
forma tout à coup en 1 y y 3 un nouvel
orage contre lui à ce fujet. On s’anima
beaucoup de part & d’autre ; & l ’affaire
n’ayant pu être décidée par la Faculté des
A r t s , elle fut portée à l’Univerfité, & en-
fuite au Châtelet. Cela alloit renouveller
l’ancienne querelle, ôc faire un éclat fcan-
daleux. Pour concilier les efprits, ôc ap-
paifer la rumeur, l’Univerfité fe chargea
de terminer elle-même le différend à la
fatisfaétion des Parties. Elle publia un Décret
le 13 Février , par lequel elle
ordonna à Ramus de fe conformer à l ’u-
fage ÔC aux ftatuts dans fes leçons ordinaires,
en n’y traitant que de matières philo-
fophiques : mais elle lui permit de donner
des leçons extraordinaires dans lefquelles
il pourrait interpréter les Poètes ôc les
Orateurs-.
Cette condefcendance de l’Univerfité
pour notre Philofophe, lui procura une
tranquillité permanente. I l en profita en
fe vouant entièrement à la perfection de la
Philofophie & de l ’Eloquence. I l réforma
tout ce qu’il trouva de défectueux dans
Arijîote. I l voulut encore corriger Euclide.
I l réduifit enfuite les arts libéraux en tables
; ôc il compofa une Grammaire pour
les Langues Latine & Françoife.
L ’Univerfité étoit alors en ufage de
prononcer la lettre Q comme la lettre K ;
de forte que l’on difoit kiskis, kankam, ka-
lis, kantus, miki, &c. au lieu de dire quif-
quis, quanquam, qualis, quantus, mihi, ÔCc.
Cela parut ridicule à notre Philofophe ; ôc
comme il voulut reétifier cette prononciation
vicieufe, il s’éleva làrdefïus une dif-
pute fort plaifante, qui fit dire à un railleur
que la feule lettre Q faifoit plus de
kankam que toutes les autres lettres en-
femble. On a écrit peu férieufement, fans
doute, qu’un difciple de Ramus, pour
s’être conformé à cette prononciation, fut
pourfuivi comme hérétique par la Sorbonne
, ôc dénoncé comme tel au Parlement.
Quoi qu’il en foit, Freigius affure que
notre Reftaurateur des Sciences corrigea
encore un autre abus : ce fut de dire ego
amo, ôc non ego amat, fuivant l’ufàge reçu
dans ce temps-là.
Malgré cette rixe, Ramus devint fî
agréable à l’Univerfité, que dans toutesles
affaires que ce Corps eut dans la fuite, il
fut choifi pour Député au R o i , Ôc porta
même fouventla parole. I l fit plus. Dans
un Difcours qu’il adreffa à Charles IX , ôc
qui a été imprimé en i fÔ 2 , il propofa un
plan de réforme de l’Univerfité, pour répondre
à la demande que les Etats du
Royaume en avoient fait. I l étoit divifé
en trois parties.
Ramus vouloit d’abord qu’on diminuât
les frais des études ; qu’on fît plufieurs
changemens dans la méthode d’étudier ÔC
d’enfeigner ; qu’on réduisît à un prix plus
modique les frais des grades, qui étoient
fort hauts dans la Faculté de Théologie,
où l’on mettoit la Licence à l’enchere;
qu’on fixât les honoraires des Profeffeurs;
que huit Profeffeurs en titre enfeignaffent
les Mathématiques, la Phyfique ôc la Morale
; ôc qu’on ne laifsât aux Colleges que
les leçons de Grammaire, de Rhétorique
ôc de Logique. Et comme dans les Facultés
de Médecine ôc de Théologie, il n’y
avoit point de Profeffeurs ordinaires, ôc
que tous les Doéteurs étoient obligés par
état à enfeigner, il propofa auffi qu’on
établît dans ces Facultés des leçons ordinaires
, qui feraient faites parles Dodeurs.
( C e qui a été fuivi ).
II approuvoit, en fécond lieu, la méthode
qu’on fuivoit dans les leçons de
Grammaire Ôc de Rhétorique, laquelle
confifloit à s’occuper principalement de la
le&ure des bons Auteurs, Ôc à donner peu
de préceptes.
Enfin le dernier objet de fa réforme étoit
de faire main-baffe fur tout ce qui eft di£
pute ôc argumentation en Médecine, en
Philofophie ôc en Théologie; de forte qu’il
île vouloit ni thèfes ni examen. En Médecine
, il propofoit la pratique de l’A r t fous
les yeux des Profeffeurs, en fuivant pour
la théorie Hippocrate ôc Galien. En Théolo
gie, il demandoit des conférences & des
fermons, ôc vouloit qu’on fe bornât à expliquer
l’ancien Teffament en Hébreu ôc
le nouveau en Grec. Il exigeoit en Philofophie
une réforme plus confidérable ; mais
comme il craignoit de renouveller l’ancienne
querelle fur Arijîote, il s’expliqua à
cet égard avec beaucoup d’ambiguité.
Dans toute cette réforme, les perfonnes
éclairées apperçurent un levain de
Proteffantifine. Nôtre Philofophe étoit en
effet de cette feéte ; ôc lorfque le Parlement
eut enregiftré l’Edit du R oi, qui per-
mettoit aux Proteffans l’exercice.de leur
religion, il leva le mafque. I lo t a ôc brifa-.
même les images du College de Prelle,
dont il étoit toujours Principal, difant
qu’il n’ avoit pas befoin d’auditeurs fourds-
ôc muets. C ’étoit contrevenir formellement,
à l’Edit, qui défendoit tout excès fous
peine de la vie. Aufiî l’Univerfité crut devoir
prendre connoiffance de ce fait. Elle
chargea le Reéteur d’en informer : mais«
cette démarche n’eut pas de fuite. R amus>‘
fit bonne contenance. Il s’oppola même à
l’exécution d’une délibération qui portoit-
que le Roi ferait fupplié par' l’Univerfité'
de défendre la foi en danger. I l ofa encore-
davantage. I l réclama contre le Difcours«
qu’elle avoit adreflé au Parlement pour-’
s’oppofër à i’enregiffrement dè l’Edit. I l
a en plaignit aufiî- à la Reine 3, défavouantle
Re&eur tant en fon nom, qu’en celui
de quelques fuppôts de l’Univerfité, qui
étoient infeâés comme lui des nouvelles
erreurs. C et éclat lui fit tort ; Ôc la commotion
générale qui caufa la guerre civile,
l ’obligea à fortir de Paris. L ’Univerfité
profita de cette occafion pour le deffituer
de fa place qu’elle déclara vacante.-
Malgré fes fentimens, le R o i, qui l’ef-,
timoit, lui donna un afile à Fontainebleau.
I l y trouva une bibliothèque affez bien
compofée de livres de Mathématiques ; &
fans penfer à fes malheurs, il en profita pour
continuer fes travaux fur la Géométrie ôc
l ’Aftronomie.Pendant qu’il cherchoit ainfi
à bien mériter des humains par des découvertes
utiles, on pilloit fon College Ôc fes;
livre s, qui formoient une bibliothèque
affez confidérable. L ’acharnement étoit fi
violent, qu’ayant fu l’endroit où il s’étoit
retiré, on le pourfuivit fans égard à Tafile
dans lequel il étoit. R amus fe fau v a ;&
comme il craignoit toujours de tomber entre
les mains de fes ennemis , il paffa de
retraite en retraite.
Cependant le Roi étant mort, la Reine
pour rétablir le calme * donna une Dé claration
en faveur des Proteffans, contenant
une abfolution générale pour tout le paffé.
Notre Philofophe profita de cette forte
d’amniftie pour rentrer dans- fon poffe :
mais l’Univerfité s’étant affemblée à ce-
fujet, décida qu’il n’y ferait point reçu. C e
ne fut qu’à la mort du Duc deGuife, où les
affaires des Proteffans changèrent tout-à-
fait de face, qu’il fut rétabli dans fa charge
de Principal du College dePrefie, ôc dans'
celle de Profeffeur au College Royal.
Jouiffant ainfi de tous fes droits dans«
l’Univerfité, il voulut en faire un digne
ufage par rapport à la difcipline des Chaires
Royales. Un homme nommé M. Dam-
pejlre, protégé fortement, quoique peu
capable, s’étant préfenté pour remplir une
Chaire vacante de Mathématiques au-Col-
lege R o y a l, y fut reçu. R amus , qui-
eonnoiffoit rinfuffifance de fon nouveau;
collègue, lui remontra les difficultés de la
fcience“ qu’il; entreprenoit de profeffer.
C e qu’on appélloit Mathématiques dans
ce- temps-là ne confifloit qu’en dçs con