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étoit prodigieufè. Ses connoiffances em-
braüoient toutes les fciences, ôc Ton ftile
p u r , élégant & nourri des bons Auteurs
du fiécle' d’Augufle , rendoit agréable
tout ce qu’il écrivoit. Enfin c’étoit un
Philolophe par excellence, auflï vertueux
que favant.
MétapJnJîque de G assænd r > au Syflême
'fur la nature & les fondions de l’ame.
A van t que l’E glife eût défini l’ame,
on la croyoit corporelle. On lit dans les
anciens Conciles : ■» Des Anges 8c des
» Archanges & de leurs puiflances, aux-
» quelles j ajoute nos âmes, ceci eft le
» fentiment de l’Eglife Catholique,que vé-
»> ritabiement ils font inintelligibles, mais
» qu’ils ne font pourtant pas invifibles, &
»deftitués de tout corps, comme vous au-
» très Gentils le croyez;car ils ont un corps-
» fort délié, foit d’àir, foit de feu a. Tertul-
lien étoit. auflï de ce fentiment. I l difoit
que l’ame ne feroit rien , fi elle n’étoit
corps ;•& que tout ce qui eft ou exifte, eft:
corps à fa maniéré. Ce qui a fait avancer à
Saint Auguflin, que Tcrtullien a cru que
l ’ame étoit corps*, parce qu’il n’a pu la
concevoir incorporelle, & qu’il craignoit
que fi elle n’étoit pas corps.elle ne fût rien. 14 eft décidé aujourd’hui que l’ame eft
un efprit. Mais en raifonnant là-deffus
fuiv.ant le3 lumières naturelles, on peut
dire que l’âme eft une. chofe qui étant
dans le corps,.fait que l’animal eft dit
Afivre & exifter , comme il eft dit mourir
îorfqu’elle celle d’y être. Car. la vie eft
comme lapréfence de Pâme dans le corps,.
& la mort en eft comme l’abfence.
Mais qu’eft:ce que cette chofé qui forme
l’ame ?' C ’éft un Etre q u i, quoiqu’îm-
perceptible à la vue , peut néanmoins être
apperçu par l ’entendement , en faifànt
réflexion fur la chaleur, la nutrition, le
fentiment , le mouvement ôc les autres
fondions de l’animal, qui ne peuvent avoir
lieu fans un principe réel & effedif.
Ce fera une efpéce de feu très-atténué,
ou une forte de petite flamme, qui, tant
qu’elle eft en vigueur- , ou. qu’elle eft allumée
, fait là- vie de l’animal , lequel-
me&a lorfqu’elle. déteint.. Afin que cette
E N D L
flamme puifle a g ir , il faut qu’il y ait dans*
le corps de petites cavités 8c de petits paf-
fages. libres & ouverts, dans lefquels elle
s’infinue 8c fe meuve librement. I l doit
y avoir aufli dans cette petite flamme de
petits efpaces , pour qu’elle puifle toujours
garder fà mobilité.
Cette fuppofition que l ’ame eft une petite
flamme n’eft pas abfolument gratuite.
On la foutient par plufieurs preuves. Premièrement,
la chaleur qui eft fort fenfible
dans l’animal, demeure autant dans le
corps que l’ame y demeure, & périt lorfi»
qu’elle celle d’y être. En fécond lieu, cette
flamme exige une nourriture comme celle-
d’une lampe , £>ns quoi elle s’éteint : ce
qui oblige l’animal à lui fournir des ali—
mens pour- l’empêcher de s’éteindre, c’eft-
à-dire, pour ne'pas mourir. L e mouvement
continuel du coeur 8c des. artères
qui lui font adhérentes, fournit la troifié-
me preuve. Car cette matière grafle ôc
inflammable étant contenue dans le fang,
il faut que le fang foit continuellement
agité pour- ne pasfe refroidir 8c fe cailler,
foit au dedans du coeur, qui eft comme
le foyer de la chaleur naturelle , foit dans,
les artères, qui, comme autant de canaux^,
diftribuent par tout le corps le feu qu’elles
ont tiré du coeur. On prouve en quatrième
lie u , par l’adion des poumons & la
néceflïté de refpirer , l’exiftence de cette
petite flamme. En effet, les poumons ne
fervent pas feulement au coeur de fouf—
flets qui entretiennent fon mouvement, par:
lequel cette flamme eft excitée 8c ertre-
tenue , mais encore la temperent par le
mélange de quelque portion d’àir , afin
que les vapeurs fuligineufes qui s'exhalent
du fang,. foient chaflees au dehors
par l’expiration, & n’étouffent pas
ce petit feu. Cinquièmement,la force qu’a,
l ’ame de mouvoir le corps, ne peut venir
que du feu, cet élément étant feul capable
par fa -grande agilité de produire de
grands effets. Enfin une derniere mais
forte preuve de l’exiftence de ce feu ,
c ’eft 1 agitation- continuelle de la fautai—
fie, qui empqche que les images des cho-
fes ne s’y repofent jamais. Auflï l’animal-
penfe fans ceflè. en. veillant. & en doi-r
G A S S E N D I .
•mant, comme on en peut juger par les
fonges. C ’eft-là une marque que l’ame eft
dans un mouvement continuel comme le
feu ; 8c on ne peut concevoir que cette
grande activité puifle convenir à l’ame,
fans qu’elle ne foit elle-même quelque
petite flamme ou une efpéce de petit feu
qui ne foit jamais en repos.
L ’ame fent ; & pour avoir le fentiment,
il faut qu’elle ne foit pas une fubftance
fimple 8c uniforme , mais une tiflure de
plufleurs tiffures différentes, dont il y en
a quelques-unes qui peuvent manquer ou
être épuifées comme dans un animal ufé
de vieilleffe. Cela ne fuffit pas encore
pour produire le fentiment. I l faut auflï
quéTorgane dans lequel elle eft comme
enfermée , agifle lorfqu’elle fait impref-
fion fur lui. I l paroît que cet organe eft
ainfi compofé. Entre des efpéces de tuniques
très-déliées, qu’on appelle membranes
, font une infinité de petites veines
8c d’artères , & principalement de petits
nerfs infenfibles, qui fe répandent comme
une efpéce de trame ou de tiflu très-fin
8c très-délié. L a tiffure extérieure des
nerfs eft compofée d’une double tunique.
L a première de ces tuniques, qui eft l’antérieure
, ne montre aucune cavité fenfî-
ble , mais feulement une fubftance moel-
leufe 8c fort molle. Cette fubftance n’eft
qu’un amas & une fuite de petits fila-
mens très-déliés qui fe diftribuent dans
toutes les petites branches des nerfs, &.
qui ont tous une très - petite cavité. Les
efprits animaux qui fe forment en la partie
du cerveau, de laquelle les nerfs tirent
leur origine, entrent comme une efpéce de
fouffle continu dans ces petits nerfs ou
petits canaux, 8c les rempliffent, les enflent
8c les tiennent tendus.
Les chofes ainfi arrangées, voici comment
fe forme le fentiment. Un nerf ne
peut être touché qu’il ne foit en quelque
façon preffé, 8c il ne peut être preffé que
l’efprit qui y eft contenu ne foit auflï
preffé, ni que l’efprit qui eft ainfi prefïe
ne repouffe le voifin qui vient comme lui
du cerveau : ce qui forme une continuité
de mouvement , jufqu’à ce que l’efprit
qui eft à l’origine du nerf retourne ôc rebondiffe
pour ainfi dire contre le cerveau.
Cela fait que la faculté de fentir, qui réfi-
de dans le cerveau, eft mue par cette efpéce
de retour ou de rebondiffement ,
8c qu’elle apperçoit, appréhende, connoît,
fent le contad.
Maintenant lorfque les fens externes
perçoivent les objets, il fe fait un certain
ébranlement tant dans l’organe extérieur,
qui eft frappé par l ’efpéce ou la qualité de
la chofe fenfible , que dans la partie th*
cerv eau, à l’endroit d’où les nerfs tirent
leur origine ; 8c cela par une certaine
impreffion qui fe continue le long des
nerfs : car les nerfs enflés 8c remplis d’ef-
prits , font comme de petites poignées
de rayons fpiritueux ; de forte que chaque
rayon étant tendu depuis le cerveau juf-
qu’à l ’organe extérieur, il ne peut être tant
foit peu poufle ou preffé dans l’organe, que
le cerveau ne foit en même temps ébranlé
par une efpéce de rebondiffement. E t alors
il arrive deux chofes : l’une, que la faculté
de fentir, qui réfide en cet endroit, perço
it ou connoît aufli-tôt la chofe fenfible,
d’où lui vient le coup : l’autre, qu’il demeure
dans le cerveau un certain vefti-
ge , une efpéce de figure & de caradere
imprimé. Or la faculté de fentir ayant été
une foisaffedée, elle ne peut véritablement
connoître une fécondé fois la chofe
fenfible, fi de la part dé cette même chofe
il ne lui arrive un fécond ébranlement,
par lequel elle foit de nouveau excitée ;
"mais, la faculté fupérieure au fens p eu t, à
eaufe du veftige, reprendre fa même chofe
quoiqu’abfente, 8c la connoître de nouveau.
C ’eft cette faculté qu’on appelle
Fantaifie , Vzrtu imaginative.
L a première 8c principale fondion de
cette faculté , à qui appartient proprement
le nom d’imagination, eft la fimple
appréhenfion , c’eft-à-dire, l’imagination
fimple 8c nue d’une chofe , fans rien affirmer
ou nier. L a fécondé fondion eft
la compofîtion 8c la divifion, ou le con-
fentemènt 8c le refus, qu’on appelle aufli
affirmation 8c négation , propofition ,
énonciation ou jugement. Cette fondion
dépend de la propriété que la fantaifie a
de pouvoir être attentive 8c tournée à