& celle de Pâme avec Dieu. Il travailla
enfui té à découvrir la nature de Pâme & à
évaluer les forces. Et il forma, le projet de
fon grand Ouvrage , d e la R e ch e r ch e d e la
J f è r i t é , dans lequel il prétend que les lumières
de l’entendement viennent immédiatement
de Dieu. L’ame, dit-il, ne peut
avoir aucune influence fur le corps ; &
lorfque la matière , comme caufe occa-
fionjielle , fait impreflïon fur nos fens ,
Dieu produit une idée dans notre ame ; Sc
réciproquement quand nous produirons
un atte de volonté , Dieu agit immédiatement
fur le corps en conféquence de cette
volonté. Ainfi l’homme n’agit de nepenfe
qu’en Dieu : ce qui fignifieroit que Dieu
feulagit de penfepour nous. Développons
mieux cette idée qui forme le grand principe
du P. Ma l e b r a n c h e .
Les corps ne font vifibles que par le
moyen de l’étendue. Cette étendue cft
infinie , fpirituélle, néceffaire, immuable :
ce font des attributs de Dieu. Or tout ce
.qui eft en Dieu eft Dieu. C’eft donc en
Dieu que nous voyons les corps. Donc
l’idée de Dieu ne fe préfente à notre ame
que par fon union intime avec elle. Donc
il n’y a que Dieu qu’on connoiffe par lui-
même, comme on ne connoît tout que par
lui.
Des idées auflï fubtiles ne pouvoient for-
tir que de la tête d’un grand Métaphysicien.
Il paroît même que la nature l’avoit formé
tel : car la Recherche de la Vérité, qui
meilleurs efprits remarquèrent qu’il y
régnoit une métaphyfique très-fubtile
& très-lumineufe,. de très-belles pen-‘
fées , des raifonnemens judicieux , des
réflexions extrêmement fines , de avec
cela, fuivant la remarque de M. d e F o n -
te n e lle , un grand art de mettre des idées
abftraites dans leur véritable jour , de
les lier enfemble , de de les fortifier par
leur liaifon , le tout foutenu par une
diétion pure & châtiée, de qui a toute la
dignité que les matières demandent , de
toute la grâce qu’elles peuvent fouffrir.
Mais il y eut des gens difficiles qui ne virent
eft un des plus beaux Ouvrages qu’on ait
publiés fur la Métaphyfique , étoit fon
coup d’effai. Ma l e b r a n c h e n’a-
voit que 32 ans quand il l’eut fini. En
homme fage «Sc prudent , il voulut favoir
ce que les Savans en penfoient avant que
de le donner au Public. Il communiqua
d’abord à différentes perfonnes le manuf-
crit du premier volume. On le fit lire a
M. l’Abbé de S a in t - J a c q u e s , qui difpofoit
de la Librairie fous M. le Chancelier d ’A -
l ïg r e fon père ; «Sc il en fut fi content, qu’il
en fit expédier le privilège g r a t is .
Ce fuffrage détermina notre Philofophe
à faire imprimer fon Livre, qui eut le fort
dé toutes les belles productions, c eft-a-
dire des approbations «Sc des critiques. Les
point ces beautés, ou qui en récusèrent
quelques-unes. M. l’Abbé F o u c h e r ,
Chanoine de Dijon, fut un de ceux-là. Il
attaqua la R e ch e r ch e de la V é r i t é ; 6c le P ère
G a b e t s , grand partifan de cet Ouvrage,
répondit. C’étoit-là une critique prématurée
; car Ma l eb ranche , qui fe
joignit au P. G a b e t s , fit voir que M. F o u che
r ou n’avoit pas entendu fes principes,
ou les avoit déguifés.
Le Public parut en convenir , de fou-
haita que notre Philofophe méprifât toutes
ces obje&ions , & ne s’occupât que de la
perfection de fon Livre. Il y avoit fur-tout
un point qui l’affeétoit extrêmement : c’é-
toit la promeffe qu’il faifoit de former un
fyftêmede Religion qui devoit s’accorder
avec la Philofophie. M. le Duc de C h e r
v r e u f e , qui cultivoit les Sciences par goût,
& qui les protégeoit avec fuccès, exhorta
le PTMa l e b r a n c h e , à ne pas biffer
ce projet imparfait. Senfible a cette exhortation
, notre Philofophe compofa ua
Ouvrage intitulé : C o n v e r fa t io n s C h r é t ie n n
es , où il traite de l’cxiftence de Dieu,
de la corruption de la nature humaine
par le péché originel, Sc de la neceffite
d’un Médiateur de de celle de la Grâce.
Sur ce dernier article, le P. Malebranche
avoit un fentiment particulier , qui
étoit oppofé à celui du fameux P. Q u e f n e l ,
Prêtre de l’Oratoire , «Sc Difciple de M.
A r n a u d . Cet Oratorien en fit part à fon
Maître, «Sc lia entre lui «Sc notre Philofophe
une partie chez un ami commun. Il
s’agiffoit de favoir fi l’ordre de la Gra«:e
avoit la même défeéhiofité que celui de la
Nature. LeP.M a l e b r a n c h e foute-
noit l’affirmative , Sc M. A r n a u d étoit de
l ’avis contraire. On difputa beaucoup dans
cette entrevue ; on ne s’entendit guères,
& on fe fépara fans rien conclure. Seulement
on convint de mettre leurs fentimens
par écrit, c’eft-à-dire de donner au Public
le fpeétacle d’un combat,dont il devoit fans
doute retirer peu de fruit. Notre Philofophe
entra le premier en lice. Il publia un
T r a i t é d e la N a t u r e Gr d e la G r â c e . Cet
Ouvrage s’imprima en Hollande ; de comme
M. A r n a u d s’y étoit retiré, il apprit de
l ’Imprimeur que fon adverfaire lui tenoit
la parole qu’il lui avoit donnée. Soit par
zèle pour fon opinion , ou pour le Père
M a l e b r a n c h e , il voulut empêcher
la publication de cet Ouvrage ;
mais n’ayant pu en venir à bout, il ne
fongea plus qu’à répondre.
Dans cet intervalle, notre Philofophe
compofa des M é d ita t io n s C h r é t ie n n e s
M é ta p h y f iq u e s , dans lefquelles il met fes
principes <ians un nouveau jour, de les fortifie
de nouvelles preuves. Ces Méditations
parurent en 1683 ; de cette même
année M. A r n a u d publia un Ouvrage
contre le P. M a l e b r a n c h e , fous ce
titre : D e s v ra ie s G f a u t e s Id é e s . Ce n’étoit
point une réponfe au Traité de la Nature
de de la Grâce, mais.une nouvelle querelle
que le DoCteur faifoit à l’Oratorien fur
une matière bien différente. Il étoit question
de cette opinion fi chère au P. Malebranche
, de expofée avec tant de foin
dans fa Recherche de la Vérité : Que
nous voyons toutes chofes en Dieu. M.
A r n a u d avoit vanté autrefois ce fentiment
, de il le cenfuroit fans ménagement
dans fon Traité des vraies de fauf-
fes Idées. Son intention étoit de mortifier
le P. M a l e b r a n c h e , en détruifant
fes plus chères fpéculations métaphyfiques
; de lui infpirer moins de confiance
pour les autres ; «Sc de le préparer ainfi
à recevoir avec plus de docilité la critique
qu’il méditoit du Traité de la Nature de
de la Grâce. M. A r n a u d réuffit en partie
dans fon deffein. Notre Philofophe fut
très-fenfible à cette diverfion. Il fe plaignit
de ce que fon adverfaire, au lieu de
répondre à fes objeélions cherchoit a
détourner l’attention du Public, en attaquant
une opinion métaphyfique de d’autant
plus fufceptible de mauvaifes inter-,
prétations , qu’elle n’étoit à la portée
que d’un très-petit nombre de perfonnes.
Le P. Ma l e b r a n c h e répondit ;
de comme M. A r n a u d le traitoïtfort durement
, de qu’il fufpeétoit même îa Religion
, fa Philofophie fut ébranlée. Dans
cette perplexité il s’adreffe à Dieu, de le
prie de retenir fa plume de les mouvemens
de fon coeur.
Pendant cette vive conteftation, notre
Philofophe mit au jour un Traité de Morale
, qu’il avoit compofé depuis longtemps
, de dans lequel il tire tous nos devoirs,
même ceux du Chriftianifme, de
principes purement philofophiques. L’intention
du P. Ma l e b r a n c h e , en
publiant cet Ouvrage, étoit peut-être de
rompre fa difpute avec M. A r n a u d : mais
celui-ci ne perdoitpas fon projet de vue*
Après avoir ainfi inquiété notre Philofophe
, de difpofé les efprits à fe défier de fes
fyftêmes, il attaqua directement le Traité
de la Nature de delà Grâce. Malebranche
répondit, de enfin ramaffa toutes les
matières conteftées dans des E n t r e t ie n s J u r
la M é ta p h y f iq u e G* f u r la R e lig io n , qui furent
imprimés en 1 6 8 8 .
Les idées des hommes de génie ne font
pas ordinairement à la portée de tous les
efprits. Toujours fines & fubtiles, il eft
difficile d’en bien faifir le fens , quelqu’é-
videntes qu’elles foient par elles-mêmes.
Telles étoient la plupart de celles du P.
M a l e b r a n c h e ; de comme elles
étoient auflï nouvelles , il étoit naturel
ou qu’ori ne les entendît pas, ou qu’on les
combattît. Parmi ces idées, ondiftinguoit
fur-tout celles-ci. La première eft que nous
jugeons fouvent de la grandeur des objets,
non par les fens, mais par l’imagination ;
de forte que quoique la Lune nous pa-
roiffe plus grande à l’horifon qu’au méridien,
nos fens ne nous la repréfentent
pas cependant de différente grandeur.
C’eft notre imagination qui la fuppofe
plus grande là qu’ailleurs, parce qu’elle la
juge plus éloignée à l’horifon qu’au méri