L O K E. *
L ’A r t de penfer , dont je viens de
faire l’analyfe, renferme la partie la
plus importante de la Métaphyfîque , &
doit fervir par conféquent d’introduétion
à la connoiflance entière de cette Science,
dont je vais expofer les grands principes.
Le. SuccefTeur de M. Nicole s’eft propofé
de développer la nature de l’efprit humain
; de prendre, pour àinfî dire, un état
de fes facultés ; d’examiner l’étendue de
fes forces , 8c de déterminer ce qui efl:
proportionné à fa capacité. Cela a été
exécuté avec une méthode, une profondeur
& une fubtilité qui laiffent bien loin
les Métaphysiciens, fes Prédeceffeurs en
ce genre de travail, puifquetous lesPhi-
lofophes, qui avant lui avoient écrit fur la
nature de l’entendement humain , avoient
donné dans des extrémités vicieufes. Lfcs
uns perfuadés que cet entendement ne fau-
roit tout comprendre, 8c qu’il y a évidemment
des connoiffances qui font au-delfus
de fa portée, ont prétendu qu’il ne pouvoit
connoître la vérité par le fecours de
laraifon, avec une parfaite & entière certitude.
Les autres au contraire fe font infatués
que toutes les chofesdecemonde
étoient l’objet naturel de l’efprit humain;
que l’homme pouvoit en acquérir une con-
noiflance certaine, 8c qu’il n’y avoit absolument
rien qui excédât fa portée. Quelques
Sages avoient bien compris qu’il
étoit un milieu entre ces deux extrêmes;
mais perfonne n’avoit déterminé ce milieu.
M. Pafcal confidérant la chofe du côté de
la morale , s’étoit contenté de dire qu’il
étoit également dangereux de faire trop
connoître à l’homme fa puiffance, & de
lui trop expofer fa baflTedè (a). E t M. N icole
avoit remarqué que l’efprit humain
eft foible, borné , étroit , perpétuellement
fujet à s’égarer, & en même temps
lï préfomptueux, qu’il n’y a rien dont il
ne fe puiflTe croire capable (b). Ces fen-
timens étoient très - propres à jetter,
l’homme dans une lâche oifiveté 8c dans
une entière inaétion, ou à renouveller un
dangereux pyrrhonifme. I l falloit donc,
pour prévenir ces .malheurs , examiner
avec foin la capacité de l’Entendement;
découvrir jufqu’où peuvent aller fes con-
noilfances; fixer ce qu’il peut concevoir &
ce qui pafie fon intelligence ; en un mo t ,
faire connoître véritablement fa nature en
confidérant tous les objets, par rapporta
la proportion qu’ils ont avec fes facultés*
V o ilà la tâche que s’impofa & que remplit
le Philofophe dont on va lire l’Hiftoire.
Jean L oice naquit à Wrington, à fept
ou huit milles de Briftol, le 2p Août de
l’année i 632. Son p è re , nommé Jean
Loke j qui étoit Capitaine dans l’Armée
du Parlement pendant les Guerres C iv iles
, eut un foin tout particulier de fon
éducation. I l lui fit faire fos premières
études à Londres ; 8c lorfqu’il eut 1 p ans,
il l ’envoya à l’Académie d’Oxford , où il
obtint pour lui une place d’aggrégé au
Collège de Chrift-Church ( c’efi-à-dire
de l’Eglife du Chrift. ) L e jeune L o k e
s’y diftingua d’abord ; mais comme il ne
pouvoit goûter les chofes qu’on lui appre-
noit, il fe dégoûta de l ’A cadémie, 8c en,
négligea les exercices qui ne lui paroi £
foient d’aucune utilité. Un jour en cherchant
quelque Livre qui contînt une
Doftrine plus fatisfaifante que celle qu’on
profeffoit à l’Académie , il parcourut la
Philqfophie de Defcartes. Cette leéture
lui fit un plaifir infini ; 8c il en retira tant
de fruit, qu il n’attribua point comme auparavant
, le peu de progrès qu’il avoit
■ e-iogc ae Loke dans le vie. Tome de la Biblio
y ƒ ƒ Leclerc. Eloge de Loke dans les nouvelles <
. République des Lettres, mois de Février 1705. D i
tt onn turc Hiftorique & Critique de M. Chauffe pie, artici
Loke. Jacobi B ruiter i Hifloria critica Philofophia Tom*
IV , Pars altera. Er fes Ouvrages.
(a) P en fées de Pafcal.
(k) Ejfais de 'Morale , Tom. I , pag. 31,