'des 1 nos bijoux n’ont prefque d’autre prix
que l’élégance du Deffein. Les Etrangers
ne tiennent point à la vue de ces contours
gracieux, de ces façons agréables, que le
François formera toujours mieux que
toutes les autres nations, quand il iaura
deffiner. Dès-lors que de reifources pour
ceux qui feront une profeffion ^ouverte
de ce bel Art 1 Les grands Deffinateurs
deviendront Peintres d’Hiftoire. Ceux qui
n’auront point la facilité de bien grouper
des figures pour former un Tableau f e ront
des Portraits. Les perfonnes qui auront
le talent de copier fîdellement la nature,
peindront des marines, des partages
, des animaux , des fleurs-, des fruits ,
&c. Et les uns & les autres en contribuant
à notre inftru&ion & à nos plaifirs, recueilleront
le fruit de leurs veilles. Les perfonnes
même qui n’auront point le goût
ou la volonté d’ajouter la couleur au del-
fein , feront, des ornemens , deffineront
des broderies, & foutiendront nos Fabriques
d’Etoffes. Ce dernier genre vous
paroîtra, Monfieur, le plus petit, & il
eft peut-être le plus utile au commerce, &
le plus lucratif pour celui qui 1 exerce.
Vous nefauriez croire combien^ la feme
Fabrique de Lyon entretient de Defli-
nateurs , l ’accueil qu’on leur fait dans
cette belle Ville , & les aifances qu on
leur procure. C’eft un des états le plus
gracieux & le plus avantageux qu’on-trouv
e d ans la pro fe ffio n des A r t s .
Monfieur, que les enfans ne fiffent pas de
plus grands progrès-, & avec plus de fa-
cilité ? Les çhofes , dit H o ra c e , qui entrent
C’eft donc un Art bien eftiinable.»
Moniteur, que celui du Deffein. La con-
noiffance de cet Art eft , comme vous
voyez , iréceffaire aux Souverains, e c a
ceux qui font dépofitaires de leur autorité.
Il eft utile à toutes les perfonnes bien
nées , & il procure aux ,Àrtiftes qui s y
diftinguent , des fatisfaéfrons & des ri-
cheffes. Le Deffein doit donc entrer dans
toutes les éducations. Les jeunes gens
de condition apprennent ordinairement le
Latin., & enfuite les Sciences. Cela fert
à orner l’efprit & à l’éclairer. Rien n en
mieux affurément. Mais l’entendement
feul fait dans leurs études prefque tous
les frais de leurs travaux.. Et fi on y fai-
foit intervenir les fens , croyez-Vous,
dans l’éfprit par les yeux, pénétrent
bien mieux que celles qui entrent par les
oreilles. Cette vérité établie, le Deflem
ne feroit-il point d’un grand fecours, fur-
tout lorfqu’il s’agit de l’é.tude des Sciences?
Un Ecolier qui fauroit deffiner , aiderait
fon imagination, en peignant les.
différens objets qui l’occupent aânelle-
mënt. Il repréfenteroït, par exemple, les
différens fyftèmes qu’on lui explique :
il s’en faciliterait l’intelligence par les
différentes figures qu’il en ferait ; & cette
occupation qui feroit pour lui un amu-
fement, formerait une inftruâion- auffi lo-
lide qu’agréable. Il y a long-temps qu’on
l’a dit Les Sciences & les Arts fe tiennent
par la main, & fe prêtent des fécoufS
mutuels.
Il réfulteroit de là encore un grand
avantage : c’eft qu’un enfant qui ne fèioit
pas propre à l’étude des Sciences , n au-
roit pas perdu tout fon temps. Comme la
nature a traité tous les hommes en bonne
mère , en refufant à quelques-uns d en-
tr’eux les qualités néceffaires pour devenir
favans , elle' aura bien pu leur donner
les difpofitions convenables pour exceller
dans les Arts. Et alors fi c’eft un enfant
de condition , le Defïèin lui fervira dans
l’Art de la Guerre. Si c’eft le fils d’un
Eourgeois ou d’un Commerçant, il lui
fera utile dans le commerce de toutes
fortes de marchandifes , ou dans lapro-
feflion de l’Art pour lequel il aura le plus
de goût. En un mot, le Deffein eft profitable
à tout le monde, foit pour les plai-
firs, pour la fûreté ou pour la fortuné, il
ne peut produire aucun mal< C’eft toujours
un amufement innocent, quand on
n’auroit que l’occupation en vue. Le beau
fexe fur-tout peut y trouver un grand
fonds d’avantages & de récréations. Premièrement
il n’exige point de fatigues de
corps , ni une grande application d’efprit.
Il fuffit de bien voir & de bien fentir pour
bien peindre. Eh ! qu’eft-ce qui voit mieux
& qui fent plus finement que les Dames .
Les Sages conviennent qu’elles sexpriment
avec plus de chaleur & plus de naturel
que nous. Il fuffit de lire leurs lettres Ôc
de les comparer avec les nôtres pour en
juger. D’ailleurs comme elles n’ont point
en général un tempérament affez fort
pour foutenir la contention vigoureufe
qu’exige l’étude des Sciences, le Deffein
eft le talent le plus noble, le plus aifé, &
le plus profitable qu’elles puiflent acquérir.
Véritablement il a de grandes parties
qui exigent toute la fagacité de l’efprit humain
; mais il en a auffi d’autres dans lesquelles
il eft peu de perfonnes qui ne
Soient capables d’exceller. Ce talent a encore
cet avantage au-deffus des Sciences,
que tout le monde peut l’ambitionner Sans
aucun riSque : au lieu qu’il eft quelquefois
dangereux de vouloir devenir Savant.
Les anciens Philofophes n’admettoient
point dans leurs Ecoles toutes fortes de
peïfonnes, parce qu’ils connoiffoient l’abus
qu’on peut faire des Sciences quand
on n’a pas le coeur bon, & combien peu
de gens font capables d’y réuffir. Il y a
fans doute beaucoup de difficulté à devenir
habile Deffinateur : mais un foible
Deffinateur n’eft pas dangereux dans un
Etat i Ôc un faux Savant & un Littérateur
médiocre peuvent nuire , & font fûre-
ment à charge à la Société.
Ces raifons ôc une infinité d’autres que
je pourrois alléguer, Monfieur, ont toujours
fait regarder l’art du DefTein comme
devant entrer dans l’éducation publique.
Audi trouve-t-on dans toutes les Villes
policées des Ecoles de Deffein. Il y a plusieurs
années qu’un homme d’efprit pro-
pofa d’établir dans cette Capitale des Ecoles
publiques de Deffein. Il compofa a
cet effet un Ecrit judicieux, où il expofoit
fort clairement les avantages de cet éta-
bliffement. Le célèbre Abbé D e s fo n ta in e s
qui goûta cet Ecrit, l’inféra dans ce ju g e m
en t f u r q u elq u es O u v r a g e s n o u v e a u x , ô c il
fut loué de tous les bons Citoyens. Enfin
feu M. L a n g u e t , Curé de Saint Sulpice ,
qui connoiubit fi bien tous les moyens
d’occuper utilement les hommes , avoit
mis des Maîtres à deffiner dans les Ecoles
de charité.
Il me feroit aifé, Monfieur, d’accumuler
ici d’autres exemples ôc d’autres preuves
de l’utilité du Deffein. Mais fi je fuivois
mon inclination, je ferois infenfiblement
le Traité que vous me demandez ; ô c ma
Gravure ne me permet pas de m’occuper
plus long-temps à écrire.
Je ne puis cependant point me difpenfer
de dire deux mots fur l’utilité du Deffein
ô c de la Gravure, pour tranfmettre les
grands Hommes , d’autant plus que ceci
regarde particulièrement l’Hiftoire des
Philofophes dont je grave les Portraits.
Il eft certain que nous ne pouvons
connoître les hommes que par leur image
; ô c en ce fens le Deffein ôc la Gravure
fervent Seuls à les tranfmettre : car le
nom d’un Philofophe ne le défigne pas
affez pour nous en former une idée.
Quand nous difons , par exemple , que
c’eft à E r a fm e ou à M a le b r a n c h e que nous
devons telle découverte ou tels Ecrits,
nous penfons qu’il y a eu un homme qui
s’appelloit E r a fm e ou M a le b r a n c h e , à qui
nous avons beaucoup d’obligation ; ô c
notre hommage ne porte fur aucun être
déterminé.Que l’image de ces Philofophes
Soit fous nos yeux , leurs traits échaufferont
notre imagination ; ô c quand nous
parlerons d’eux , cette imagination nous
représentera ces hommes, ô c fixera par—
là l’objet de notre admiration. Si la mémoire
nous rappelle alors leurs penfées ,
nous lesconnoîtrons entièrement, ôc nous-
diftinguerons par les fens, comme nous le
faifons par l’efprit, E r a fm e de M a le b r a n che
, ô c M a le b r a n c h e d ’ E r a fm e . Cette con-
noiffance fera fur-tout utile aux jeunes
gens qui étudient la doétrine des Philofophes
, parce que leur image leur rappellera
ce- qu’ils auront étudié. Il eft bon ,
dit l’Auteur judicieux des E J fa is d e M o r a l e
( M. N i c o l e ) que les jeunes gens fe diver-
tiffent à regarder les Portraits des Hommes
Illuftres , ÔC à y avoir recours toutes
les fois qu’on en parlera devant eux ; car
tout cela fert à arrêter les idées dans la
mémoire (a).
Ceci regarde la Gravure en général ;
mais fi nous gravons ces Portraits dans le
(« ) Tome I I , page 236.