D E S C A R T E S . *
MA lg RÉ-les efforts que les premiers
Reftaurateurs des Sciences avoient
faits pour fecouer le joug de la barbarie,
l ’ignorance <5c les préjugés régnoient encore
avec une forte de tirannie. On fàvoit
tien que la Philofophie de l’école étoit dé-
fedueufe, qu'Ariftote n’étoit point infaillib
le , & que le feul moyen déclairer la
raifon «5c d’en faire un digne ufage, c ’étoit
de joindre l’expérience au raifonnement :
on avoit même vu des. eflais heureux de
cette réforme , mais on n’étoit point encore
aflez inftruit pour fùivre une route
fûre qui conduisît à des progrès, réels. Il
falloit un guide dans fa marche , une
règle dans fa conduite, un Maître en
un mot qui ouvrît la carrière , «5c qui
montrât le chemin qu’on devoit tenir
pour ne pas s’égarer. Les Scholaftiques
privés de ce fecours , revenoient toujours
à la dodrine d’Ariftote , & s’y for-
tifioientde plus en plus. Il y avoit lieu de
craindre que ce nouvel attachement à ce
Philofbphe ne replongeât le genre humain
dans cette nuit obfcure, qui avant
Ramus enveloppoit toute l’Europe,lorfque
la Providence fufcita-, comme par miracle,
un homme extraordinaire , qui de même
qu’un aflre nouveau vint éclairer conftam-
ment l’Univers. Cet homme, doué d’une
imagination prodigieufe , d’un jugement
à la fois profond <5c folide , & d’une faga-
cité prefque furnaturelle, ou du moins juf-
qu’ici inconnue , porta une vue perçante
fur tous les objets des eonnoiffarfces humaines,
<5c les fournit fans exception à des
règles & à des loix. Génie univerfel, il ne
fut point Métaphyficien,pour avoir étudié
la Métaphyfique ; Moralifte, pour s’être
particulièrement appliqué' à la Morale;
Mathématicien, pour avoir appris les Mathématiques
; Phyficien, Anatomifte <5c
Naturalise, pour avoir fait pendant longtemps
des observations & des expériences;
mais il pofTéda toutes ces fciences, parce
que toutes ces fciences font du reffort de
l’entendement humain. E t ce qu’il y a encore
de plus admirable, c ’efl que d’aprè*
fes propres réflexions, il les approfondît
toutes avec une égale facilité. Rien ne fut
au-defTus de fes forces. .La fîmple perception
d’un objet fuffifoit pour qu’il eh développât
toute l’étendue. Auflî étoit-iî
parvenu à ce point d’élévation & de fupé-
riorité, qu’il a paru au milieu des hommes
comme une divinité. Donnez- moi de la
matière & du. mouvement, difoit-il, «5c je
ferai un monde. PromefTe faflueufe qu’il a
effectuée par un nombre confidérable de
découvertes <5c par des vues fublimes.
Afin d’embralfer tout fans confufion, 6c
de marcher avec affurance, ce vafle génie
commence par établir un doute méthodique
pour acquérir des connoiflances certaines.
L a première vérité qu’il reconnoît,
efl: la certitude de notre propre exiftence.
Il paffe de-là à celle de nos idées. De l’idée
que nous avons d’un être infiniment parfait,
il en conclud fon exiflence. Fondant
fur ces principes plufieurs propofitions évidentes
par elles - mêmes, il déduit toutes Ies
autres véritésnéceffaires. L a câufe établie
de cette maniéré, il forme une progreflîon
conféquente de fes effets. Par la véracité
de D ieu, il prouve la réalité des objets matériels.
I l examine enfuite ces objets, &
lès lie à un principe univerfel. Comme
un nouveau créateur, il lès tire en quelque
forte du néant, & les fait éclore avec toutes
leurs propriétés. De conféquences nér
* De Vita & Pbilefophiii Carteßand : Autiore Joanne
Tepclio. CompcnJium Vita Garteßarut ejufque Operum■
omnium: Antiare Petro Borei. Danielis Liftorpii Speci-
»un. Philofophix Carteßanx. Dißertatio deCarttßo & Cat-
te-ßanifpso.qttx. extat philößopßia eclciiica. La Vie-de-M. Deß~-
eartts, par' Baillet'. Memoires pour ßervir à I'H i flaire dis
Hommeslllu ftm , par ie P. Niceron, Tom. XXXI. Jacobi’
Brukeri Hifloria critica PHilofophix , Totli. IV. pars altera- Sa-Méthode.- Ses Lettrée, Et fes autres OttVtages*