pofaune Chaire clans l’Univerfité deLou-
vain , qu’il refufa. A la follicitation du
Comte de Monjoye, le Cardinal d'York, lui
donna un Canonicat,qu’il ne poffeda point.
L e Chancelier Sauvage , qui vouloit le
fixer dans les Pays-Bas, lui fît avoir un
Canonicat à Courtrai, qu’il ne garda pas
long-temps, l’ayant réfigné pour une pen-
fîon qui ne lui fut point payée. Enfin le
R oi d’Efpagne, à la recommandation du
même Chancelier, voulut lui procurer un
Evêché confidérable en S ic ile , qu’il n’obtint
point. Tout ce qu’il put avoir, ce fut
le titre de Confeiller du Roi , fans fonctions
& fans revenus.
Ces altercations firent à la fin ouvrir les
yeux à E R A s M Ê. I l comprit que le mérite
fêui étoit un foible avantage, & qu’il
falloit pour réuflîr plus de force Ôc de crédit
, que de talens & de vertus. Prefque
dégoûté du commerce des hommes, il
refufa des offres très-avantageufes que lui
fit l’Evêque de Bayeux pour l’attirer auprès
de lu i, & réfifta aux follicitations de
François I . qui le préférant au fameux
Budée, vouloit lui donner une Chaire de
Frofeffeur au Collège r o y a l, qu’il venoit
de fonder. E r a s m e favoittjue les Rois
ne font pas toujours obéis, & que les ennemis
qu’on a , vous ont écrafé avant
qu’ils avent la moindre '■ connoifîance de
leurs vexations. Malgré cela, Erneft de
Bavière fouhaita l’attirer à Ingolff ad; mais
E r a s m e le remercia.
C e n’étpit pas feulement les ouvrages
dont j’ai parlé , qui lui avoient acquis la
réputation brillante dont il jouiffoit : c’é-
toit fon Eloge de la Folie, fon Traité des
Etudes ( defiudio bonarum Litterarum ) fon
Injlitution d?un Prince. Chrétien , & fon
Manuel du Chrétien. I l compofa fon Eloge
de la Folie à Londres, à fon retour d’Italie.
I l étoit logé chez Thomas Morus ,
Chancelier d’Angleterre. Forcé de garder
la chambre , à caufe d’un violent
mal de reins, provenant des fatigues du
voy ag e , fes travaux théologiques étoient
fufpehdus. Pour amuler fon loifir <Sc faire
diverfion à fon mal, il imagina de corriger
les vices & les illufîons aufquelje.ç prefquç
tous les hommes font en proie, en faifànt
faire à la Folie l’éloge de leurs pallions ôc
de leurs travers. C ’eft la Folie qui parle
dans cette ingénieufe compofition, & qui
fe loue elle-même. Les foux font fes favoris
: elle n’en veut qu’aux fages. E t avec
cette très-fpirituelle idé e, il dit de la manière
la plus agréable les plus fortes vérités.
Quoique fon imagination également
v ive & enjouée y foit toujours en haleine
, E r a s m e n’employa que fept jours
à la compofition de cet ouvrage. 11 le dédia
au Chancelier Thomas Morus, en re-
connoilïance des bienfaits qu’il en rece-
voit ; & ce fut fous fes aulpices qu’il le
mit au jour.
Si les livres changeoient les hommes,'
c e lui-c i auroit infiniment contribué au
progrès de la raifon. Mais la théorie n’eft
utile qu’autant qu’on la réduit en pratique ;
& pour cela il faudroit, fuivant le mot de
Platon , ou que les Philofophes gôuver-
nafient, ou que ceux qui gouvernent fuf-
fent Philofophes. I l ne dépendoit donc pas
d’E R A s M e que VEloge de la Folie produisît
les fruits qu’il devoit fe promettre :
au contraire ce livre lui procura des ennemis
dangereux fur lefquels il ne comptoit
pas : ce furent les ignorant, les faux dévots
& les Moines qui le firent plusieurs fois repentir
d’avoir hafardé cette légère inftruc-
tion. C ’eft ce que fit connoître notre Phi-
lofophe dans un écrit adrefle à tous les
amateurs de la vérité.
Son Traité de l’étude des Lettres ne
lui produifit que des fatisfaétions, parce
que dans cet ouvrage il ne touchoit point
aux pallions des hommes. C ’efl: un livre
qui contient uniquement des préceptes
pour apprendre la littérature grecque &
latine. E r a s m e veut qu’on commencé
l’étude des Auteurs Grecs par Lucien, Ôc
qu’on life enfuite Démojlhène ôc Hérodote ;
Ôc pour les Poètes, Arijlophane, Homère ôc
Euripide. Quant au Latin, Térence eft le
premier Auteur qu’on doit lir e , & en-
fuite Plaute, Virgile, Horace, Cicéron, Ce-
far ôcSallufte. Notre Auteur recommande
aulfi Laurent-Vaile, Donat ôc Diomede.
A l’égard de fon Traité de l’éducation
d’un Prince Chrétien, il fut encore fi efti-
mé, qu’on en publia un extrait fous le titre
de Codicile ÆOr, ou petit recueil tiré de Vinf-
titution du Prince Chrétien.
Les ennemis d’E R A s M E applaudirent
bien à ces ouvrages ; * mais ils n’ou-
blioient pas VEloge de la Folie, contre lequel
ils s’étoient déjà déchaînés. Pour fe venger
fans doute , ils attaquèrent la traduftion
que notre Philofophe avoit faite du Nouveau
Teftament& fon Commentaire. Cette
attaque dégénéra en difputes fort v ive s ,
qui durèrent long-temps. E r a s m e fut
obligé de fe défendre contre des écrits d’autant
plus dangereux, qu’ils y intéreffent
toujours la religion des perfonnes qui y
font attaquées. Fatigué par des perfécu-
tions continuelles, ôc las de fe juftifier, il
prit le parti de fe retirer à Confiance, où
il étoit fort fouhaité. I l y fut reçu avec
la plus grande diftinétion. Les Magiftrats
lui firent un préfent de la part de la ville.
Les perfonnes les plus notables lui en envoyèrent
aulïi. Les Muficiens vinrent lui
donner une férénade , conformément à
l ’ufage établi de régaler ainfi les étrangers
de la plus haute confidération. Malgré ces
honneurs, E R A s M e s’ennuya à Confiance
, ôc quitta cette ville pour aller à
Bâle.
Dans ce temps-là vivoit Luther. Son
héréfie commençoit à avoir des partifans.
Un des amis d’E r a s m e s’y étantmal-
heureufement engagé, voulut l’y entraîner
: mais notre Philofophe non-feulement
refufa d’entendre parler de Luther,
mais encore il fe brouilla avec fon
ami. Cela n’empêcha pas que fes ennemis
ne faififfent cette occafion pour lui nuire
à la Cour de Rome. Ils l’accuferent d’être
d’intelligence avec Luther. Un Carme
prêcha même contre lui , ôc l’apoftropha
dans un de fes Sermons où il étoit ; ôc il
fallut que notre Philofophe mît tout en
oeuvre pour fe laver de cette accufation.
A peine forti de cet embarras, il s’en procura
volontairement un autre en publiant
fes Colloques. Dans cet ouvrage, il parle en
termes peu décens des habits desReligieux,
des voeux que. l’on fait aux Saints , des
Pèlerinages, de la Confeflion, des Ordonnances
de l’Eglife , de la préférence du
mariage fur le célibat, de la prière pour
les morts. T ou t cela procura aux C olloques
de jufles ôc vives cenfures de la part
des Théologiens. Elles chagrinèrent d’abord
E r a s m e ; mais il fe confola par
les honneurs qu’on lui rendoit d’ailleurs.
Tous les jours il recevoir des témoignages
d’eftime des Têtes couronnées,
qui le combloient de préfens. En i f2Ç ,
les Luthériens ayant caufé une révolution
à B â le , E R a s m E , pour fe difpen-
ferd’y avoir p a r t, en partit fecretement,
ôc fe retira à Fribourg. A peine approcha-
t-il des portes de la v ille , que les Magistrats
, la Nobleffe ôc l’Univerfité allèrent
au-devant de lu i , ôc lui firent les compis-'
mens les plus flateurs, l ’appellant l’appui
ôc le proteéleur des Etudes. Les Magif-
trats le gratifièrent d’un gobelet de vermeil
travaillé avec beaucoup d’art. L e
C ollège lui donna une ceinture dorée ,
qui ne cédoit en rien au gobelet. On
le défraya pendant fon féjour. E t lorfqu’il
quitta cette v i lle , quelques Gentilshommes
l’accompagnerent julqu’aux portes
de Bâle. On faifoit affurément beaucoup
d’honneur à E R A s M E : mais l’hommage
qu’on rendoit à cette occafion au mérite.,
n efl pas moins honorable aux habitans de
Fribourg.
Notre Philofophe employa le refte de
fa vie à compofer des ouvrages fur laReli-
gion, parmi lefquels on diftingue fur-tout
fon Traité de Vinflitution du Mariage, Ôc celui
de la Veuve Chrétienne. I l s’occupa
auffi à traduire ôc à commenter la plupart
des Pères de l’E g life , tels que faint Jean
Chryfojiôme, faint Ambroife , ôcc. II cou-
loi t ainfi fes jours aflez paifiblement. C e pendant
le Pape Clément V I I étant mort,
E rasme crut devoir écrire à Paul I I , qui
lui fuccéda , pour prévenir les mauvais
* J’excepte ici Jules Scaliger, qui a vomi toutes fortes
d’injures fur E r a s m e , parce que ce Philofophe
avoit blâmé la prévention exceflive dans laquelle
on» étoit alors en faveur de Cicéron, & qu’il avoir
remarqué en même temps quelques taches dans les
écrits de ce Prince de l’Eloquence. Scaliger qui
croyoit qu’il n’ y avoit point'de laluc pour le Latin
ho-rs des écrits de Ciiervn , crie au meurtre , au parricide.
Bayle, article Era sme , a parlé fort agréablement
de cette controverfe.