B A Y L E.
que fon élève n’avoit aucune difpofmon à
l ’étude. il en avertit fes parens & le quitta.
A van t que de partir , il Ce
pour fatisfaire aux defirs de fa mere I & il
lui envoya fon portrait avec une lettre
qui fait honneur a fon coeur. I
L a paffion que B A V L E avoit pour les
Lettres , lui faifoit fouhaiter ardemment
de venir à Paris, oh il devoit trouver tout
ce qui pouvoit fatisfaire fon inclination.
Dans cette vue , il pria un de fes amis
de lui faciliter les moyens de refter dans
cette grande Ville. Celui-ci découvrit une
place auprès d’un jeune Gentilhomme
dui y était attendu ; & B A Y L E partit de
Rouen pour s’y rendre. Il n’y trouva pas
le jeune homme qu’on lui deftinoit ; mais
à la recommandation du Marquis deR «-
vigny, il fut fait Gouverneur de MM. de
Berinehem. ■
L e féjour de Paris mit B a y l e au
comble de fes defirs. I l jouiffoit du commerce
des Gens de Lettres, & fe trouvoit
à portée de confulter toutes fortes de L i vres.
M. Bafnage étoit alors à Sedan, ou
il achevoit fes études de Théologie. Bayle
lui faifoit part de ce qu’il y avoit de
venir inceffamment. à Sedan. Notre Phi-
lofophe refufa d’abord de partir , parce
qu’il craignoit d’être reconnu Sc inquiété
comme relaps , Sc d’être puni en cônfé-
quence fuivant la rigueur des Ordonnances.
nouveau dans la Littérature ; Sc
nage lifoit fes lettres à M. Jurieu , Mimf-
tre & Profeffeur de Théologie dans 1 U-
niverfité de Sedan. C e M. Jurieu avoit
l’efpritpénétrant, l’imagination féconde ;
il écrivoit bien & facilement ; mais il étoit
préfomptueux & vain à l’exces. Efpnt
impérieux & turbulent, il vouloit dominer
par tout. T e l étoit l’homme à qui M.
Bafnage fit connoître B a y l e .
fefTeur charmé des lettres de notre Philo-
fophe, s’intéreffa en fa faveur. I l s’employa
d’abord avec feu pour lui rendre
fervice, & il devint dans la fuite fon plus
cruel ennemi.
Dans ce temps-là une Chaire dé Philo-
fophie vint à vaquer a Sedan. M. Bafnage,
toujours ami zélé de B A Y L e , le propofa
à M. Jurieu pour la remplir. Celui-ci promit
qu’il le ferviroit de tout fon pouvoir ;
& il y étoit d’autant mieux difpofé, qu’on
travailloit à y placer un homme qu’il
, n’aimoit pas. Pour être plus sûr de réuflïr,
il pria M. Bafnage d’écrire à B A V ï- E de
Mais M. Bafnage l ’ayant raffuré par
une fécondé lettre , il partit de Paris le
22 Août. I l trouva ungrand nombre de-
concurrens, dont chacun avoit un parti
confidérable. Cela formoit une brigue
qui inquiétoit ceux qui dévoient difpo.er
de la Chaire vacante. Pour fortir d’embarras
fans defobliger perfonne, on convint
de nommer à la place vacante celui
qui la remporteroit par la difpute. On
donna aux Prétendans pour fujet Le Temps.
B a y l e s’enferma donc avec fes concurrens
, & il compofe dans ce recueillement
ces Thèfes fameufes, où l’on voit tous les
principes qu’il a publiés depuis. L a difpute
dura deux après-dînées entières , & la
viétoire fe rangea du côté de B a y l e .
On lui adjugea la palme. Il fut reçu le 2
Novembre, prêta ferment le 4 j & fit l’ouverture
de fes leçons publiques le 1 1 .
Pendant les vacances , notre Philolb-
phe, pour fe délafier de fes travaux , vint
faire un tour à Paris , & de-là il palfa à
Rouen, afin de voir M. Bafnage. I l apprit
dans ce voyage l’affaire de M. de Luxembourg
, qui étoit détenu dans les priions |
comme coupable de maléfices, d’impiete
& d’empoifonnement, crimes fiéfcices dont
il fut déchargé dans la fuite. Cette affaire
faifoit alors beaucoup de bruit, à caufe dé
certaines particularités, qui la rendoier.t
fingulière. B a y l e voulut s’en amufer ôc
en réjouir le Public. Il compofa à cet effet
une Harangue, où M. de Luxembourg plai-
doit fa caufe devant fes Juges, & fe jufti-
fioit d’avoir fait un paéte avec le Diable ;
i ° . pour jouir de toutes les femmes; 20.
pour être toujours heureux à la Guerre ;
30. pour gagner tous les Procès ; 4.0. pour
avoir les bonnes grâces du Roi* Ces quatre
points faifoient la divifion de la Haran-
gue.C’étoitune fatire très-ingénieufe,mais
très-vive , & par cela même très-blâmable.
B A y l E ne fe fit point connoître, &
cette pièce ne fournit qu’un amufement
paffager.
b a :
Dans ce v o y a g e , on procura à notre
Philofophe un L ivre qui venoit de paroî-
tr e , compofé par le P. Valois, Jéfuite de
C a en , fous le nom de Louis de la Ville, Sc
intitulé : Sentimens de M. Defcartes fur Vef
fence £r la propriété des corps, oppojés à la
Doblrine de VEglife, Sec. B a y l e lut ce L ivre
, qu’il trouva bien écrit. Il jugea qu’on
y prouvoit invinciblement ce qu’on vouloit
établir; c’ell-à-dire que les principes
de D efcar tes étoicnt contraires à la foi de
l ’Ë giife Romaine. Mais il n’en eftima pas
moins les principes de ce grand Homme. Il
fit foutenir à ce fujet des Thèfes à fes E coliers,
ôc compofa fur la même matière une
difièrtation, ou en défendant les principes
deDefcartes, il rétablit les raifons de MM.
Clercelïer, Rohault Sc le P. Malebranche,
en faveur de ce Philofophe, Sc que le P.
Valois avoit attaquées ; Sc ruine entièrement
toutes les fubtilités de ce Jéfuite. I l
s’attache fur-tout, dans cette dilfertation,
à prouver que l’impénétrabilité de la matière
eft impoffible.
I l parut à la fin de 1680 cette fameufe
Comete, dont on a tant parlé, Sc qui al-
larmoitalors tout le Peuple. B a y l e ,
en qualité de Profelfeur, étoit continuellement
expofé aux quefiions de plufieurs
perfonnes allarmées de ce prétendu mauvais
préfàge ■; il les ralfuroit autant qu’il
pouvoit ; mais il gagnoit peu avec des rai-
fonnemens philofophiques. On lui répon-
doit toujours, que Dieu montre ces grands
phénomènes, afin d’avertir de faire pénitence.
I l falioit donc oppofer à .cette ré-
ponfe quelque raifon théoiogique. Après
avoir rêyé à cela, B a y l e trouva celle-
ci. Si les Cometes étoient un préfage de malheur
, Dieu auro’u fait des miracles pour confirmer
Vidolâtrie dans le monde. Cette raifon
lui parut fi triomphapte, qu’il crut devoir
la rendre publique. A cette fin, il envoya
une Lettre à l’Auteur du Mercure Galant,
en forme d’Ouvrage , en le priant de le
donner à fon Imprimeur, pour en obtenir
la permiffion du Lieutenant de Police.
Notre Philofophe garda l'incognito ; Sc
comme il ne v it pas paroître fa L e ttre , il
demanda fon manuferit, que l’Auteur du
Mercure ( M, de Vifé ) lui rendit, en lui
■ f l . . m
difant que M .de la Reynie, Lieutenant de
Police, ne pouvoit permettre l’impreffion
de cet O uvrage, Sc qu’il falioit avoir l’approbation
des Do&eurs. Mais notre Phi-
lolbphe ne jugea pas à propos de prendre
cette voie.
I l pofféda paifîblement fa Chaire juf-
qu’en 16 8 1 , qu’elle fut fupprimée par
un Arrêt du Confeil. I l fe trouva ainfi fans
emploi. Tous les gens de bien prirent
part à fa fituation , Sc nommément M.
van Zoelen , qui avoit logé à Sedan avec
lu i, Sc qui avoit beaucoup profité de les
converfations. C e Monfieur en parla à un
de fes parens , nommé M. Paets, l’un des
Confeillers de la Ville de Rotterdam, lequel
favorifoit les Gens de Lettres , Sc
dont le mérite lui avoit acquis une grande
autorité. Ce Magiftrat écrivit à Bayle ,
pour lui offrir fes fervices ; & celui-ci, eh
le remerciant, lui demanda la continuation
de fa bienveillance.
Notre Philofophe refia encore fix ou
fept femaines à Sedan, fans entendre parler
de M. Paets. Ennuyé de ne pas recevoir
de fes nouvelles, il quitta cette V ille
Sc partit pour Paris. Il demeura quelque
temps-dans cette Capitale , fans favoir
s’il deyoit y fixer fon féjour. Pendant ce
temps, le Comte de Guïfchard fit tous fes
efforts pour le porter à embrafier la Religion
Romaine : mais quelque grands que
fiiiïènt les avantages qu’il lui offrit, il ne
put le convertir. Enfin il étoit prêt à
pafier en Angleterre , lorfqu’il reçut une
lettre de M. Paets, qui lui marquoit que la
Ville de Rotterdam lui donnoit une Chaire
de Philofophie Sc une penfion. I l ajou-
toit qu’on placeroit aufîi M. Jurieu, que
l’Arrêt du Confeil avoit dépouillé de là
Chaire de Sedan, Sc pour lequel Bayle
s’étoit interefle. Ainfi B a y l e quitta
Paris le 8 d’O&obre, Sc il arriva le 30
à Rotterdam, où il fut reçu très^gracieu-
fement par la famille de M. van Zoelen Sc
par M. Paets. M. Jurieu fuivit de près ; Sc
à peine fut-il arrivé, qu’il lui échappa
quelques brufqueries , qu’on ne lui pardonna
qu’en confidération de fon ami.
L a V ille de Rotterdam érigea en leur faveur
une Ecole , qu’on appella 1fEcole
K ij