pofons qu’il n’y ait point encore de Sociétés
formée? , les hommes auront pû
acquérir une fupériorité fur les autres
de deux manières. i^ .P a r la convention
qu’auront fait quelques hommes réunis de
s’aider les uns les autres ; de fe foutenir
réciproquement lorfque quelqu’un vien-
droit attaquer l’un d’eux, 6c de choifir une
ou plufieurs Perfonnes pour les diriger
dans leur Société,en leur promettant de fe
foumettre à tout ce qu’elles jugeront a
propos de leur prefcrire : première prééminence
établie. 2° . Par le fort des armes,
qui aura rendu efclaves du vainqueur ceux
qui étoient libres auparavant, & qui Sauront
obtenu la vie que par la perte de la
liberté.
Mais lorfque la Société eft formée, il;
eft évident que la diftinétion des états
vient de la conftitution propre de la Société.
C ’eft laPerfonnecivile, qui ayant
le pouvoir de difpofer de chacun des membres
qui la compofent, pour l’avantage
de la Nation, afligne les rangs, & rend
celui-ci maître, & celui-là valet ou fubal-
terne. Un peu d’ignorance ou de méchanceté
achève de produire toutes les inégalités
des conditions entre les Citoyens.
I l eft encore une autre fource de ces inégalités
: c’eft celle qui vient de la nailïan-
ce. I l eft certain que le père 6c la mere
font fupérieurs aux enfans ; & voila d’abord
une fubordination bien naturelle &
bien jufte : de-là une multitude de dif-
tin&ions. Si le Monarque, pour commencer
par la place la plus élevé e, abdique
ou nomme unSucceffeur, celui qui d’entre,
fes enfans monte fur le Thrône, eft fu-
périeur à fes frères 6c à fes-foeurs, lefquels
en deviennent les Sujets. I l en eft de meme
de la prééminence des enfans de chaque
particulier. Dans une famille , l ’un
fera à la tête de l’Etat, tandis que fes frères
feront ferfs. Parmi ces ferfs d’un meme
frè re , il y aura des diftinétions , félon
qu’ils' auront été favorifés de leur père 5
de forte que' fi la famille eft nombreufe,
U pourra y avoir dans elle des perfonnes
qui occuperont les premières places &
d’autres les dernières de l’Etat : ce qui
étant CQnfi4eré.çn général, formel’inéga-
Uté de toutes les condition?.
Vo ilà donc la Société bien établie. I l
eft queftion de favoir comment ceux qui
la conduifent, doivent fe comporter pour
en empêcher la divifion. U faut pour cela
en connoître les eaufes. Ces caufes font
i° .Q ue chaque Particulier peut juger de eç
qui eft bon ou mauvais , jufte ou in jufte,
jugement qui doit être abfolument réfer-
vé à la Perfonne civile. 2 0. Qu’on ne
doit point, obéir aux Lo ix qui en émanent
, lorfqu’elles paroiffent injuftes. 3?^
Qu’on peut alTafïhier un Tyran. 4 0. Que
la Perfonne civile eft fujette. ou foumife
aux Loix. y 0. Que le pouvoir fouverain
doit être partagé. 6°. Que la probité n’eft
pas l’ouvrage de réflexion, mais que c’ell
un don furnaturel. 7°* E t que le bien de
chaque Particulier eft abfolument à lui 6c
non point à la Société. Tous ces fenti-
mens doivent être profcrits , parce qu’ils,
font féditieux. Ceux qui ont la manutention
du Gouvernement ^ doivent aufli être,
attentifs à diftinguer le Peuple de la multitude
; à empêcher que les Particuliers
ne deviennent trop puiflans ; à réprimer
une ambition démefurée, 6c à bannir
l’éloquence que la fagefle n’éclaire point,
C ’eft-là ce qti’ils doivent prefcrire aux
autres ; & voici ce qu’ils font obligés de
fe prefcrire à eux-mêmes , 6c d’avoir fans
celfe devant les yeux.
I . L e falut du Peuple eft la première
L o i 9 la L o i fuprême,.
I I . Envifagez toujours l ’utilité de la
multitude , 6c non celle d’un Particulier,
I I I . N ’entendez pas feulement par falut
la confervation de la v ie , mais encore tou t
ce qui peut contribuer au bonheur.
IV . Souvenez-vous qu’il eft important
d’avoir de bons efpions qui informent)
exactement de ce qui fe. pafle au dedans
6c au dehors de la Société.
V . Songez, pendant la paix, à former ,
des Soldats ; à mettre les armes en état ;
à- amafler de Pargent, & à ménager des,
fecours, afin d’être prêt à vous bien défendre
dans le temps de guerre..
V I . Appliquez-vous à bien difcipliner
les Citoyens , & à conferver, le bon ordre
parmi eux.
V I I . Sachez qu’il eft jufte de diftribuer
également les impofitions publiques, en-
forte que chacun y contribue proportionnellement
à fes facultés. I
V I I I . N ’impofez point a chaque Particulier
une taxe proportionnée à ce qu’il
pofsède, mais à ce qu’il confume.
IX . PunilTez féverement les féditieux,
& détournez les factions en empêchant
les alferablées & les complots.
X. Souvenez - vous que le moyen
d’enrichir le C itoy en, eft de favorifer les
arts utiles.
X I . Ne faites pas plus de Lo ix qu’il
n’en faut pour rendre le Citoyen heureux,
X I I . N ’infligez point de peines plus
rigoureufes que celles que prefcrivent
les Loix.
X I I I . Enfin veillez exactement à ce
que les Perfonnes prépofées à l’exécution
des Loix,ne commettent point d’injuftice ; 6c puniflèz ceux qui auroient oublié leur
devoir en favorifant un coupable.
Idée de H obbes fur la nature de l'homme.
L a raifon 6c les pallions conftituent la
nature de l ’homme. C e font elles qui ont
produit les deux Sciences qui les occupent
, les Mathématiques 6c les Dogmatiques.
Les Mathématiques font exemptes
de controverfè 6c de difputes, parce qu’elles
confiftent uniquement dans la compa-
raifon des figures & du mouvement, qui
font des chofes où la vérité 6c l’intérêt ne
fe trouvent point en oppofition. Dans les
Dogmatiques, au contraire , tout eft fu-
iet à conteftatiôn , parce qu’il s’agit de
comparer les hommes, 6c que leurs droits
& leur intérêt fe trouvent compromis; 6c
toutes les fois, qu’à cet égard la raifon contredit
les pallions, celles-ci combattent à
leur tour la raifon.
Pour prévenir ce défordre, il faut que
la politique 6c la juftice foient établies fur
des fondemens dont la raifon ne fe défie
point, & que les pallions ne cherchent
point à écarter. C ’eft donc une chofe très-
elTentielle que de bien connoître en quoi
confifte la raifon & ce qui forme les pallions,
afin d’y avoir égard. On fait ce
que c ’eft que la raifon , qui eft une &
commune à tous les hommes. Quant aux
pallions, voici comment on peut les diftinguer.
Faire des efforts , c’eft le Défir,
S e relâcher , c’eft Senfualité. Regarder
ceux qui font derrière fo i, c’eft la Vanité*
Regarder ceux qui font devant fo i, c’elï
Humilité. Lâcher le pied pour regarder
derrière fo i, c’eft Orgueil. S’arrêter, c’eft
la Haine. Retourner fur fes pas , c’eft la
Repentance. Se tenir en haleine, c’eft l’Ef-
pérance. Etrê la s , c’ eft le Defefpoir. T a cher
de palier celui qui eft devant nous ,,
c’eft l’Emulation. Vouloir le fupplanter ou
Je renverfer, c’eft l’Envie. Se déterminer
à furmonter un obftacle qu’on a prévu ,
c ’eft la Colère. Vaincre la Colère avec
aifance, c’eft la Magnanimité. Abandonner
une entreprife pour de petits obftacles*
c ’eft la Pujillanimité. Tomber tout d’un
coup, c’eft la difpofition à Pleurer, En
voir tomber un autre, c’eft l’envie de Rire•
V o ir quelqu’un devancé malgré nos
voe u x , c’eft la Pitié. V o ir quelqu’un devancé
comme nous le fouhaitons , c’eft
l’Indignation. Suivre quelqu’un de près,
c’eft l'Amour. Faire avancer celui qui
nous aime , c’eft la Charité. Se heurter
foi-même avec trop de précipitation, c’eft
la Honte. Etre perpétuellement devancé ,
c’eft la Misère. Devancer continuellement
ceux qui nous précèdent, c’eft le Bonheur*
Renoncer à fa courfe, c’eft Mourir,
H