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rétablir. Auflî jugerent-ils qu’uft climat
plus chaud pourroic feul contribuer à ranimer
la chaleur naturelle. Ils lui conseillèrent
d’aller en Italie. L e Comte de
S h a f t e s b u r y fe détermina avec
peine à fuivre leur confeil ; mais il fallut
fe rendre à leurs raifons. Ce ne fut point
fans douleur qu’il quitta fa chere époufe,
fon fils , qui étoit le feul enfant qu’il en
avait eu , de fes bons amis. Trop fenfi-
ble pour foutenir leurs adieux, il prit
congé d’eux par lettres. I l écrivit auflî
aux Miniftres d’Etat pour les remercier
de la paru qu’ils avoient prifeà fa fanté ,
dont ils s^étoient plufieurs fois informés ;
& après avoir rempli tous les devoirs
que l’amitié de la reconnoiflance pou-
voient lui prefcrire , il partit pour Naples
au mois de Juillet 1 7 1 1 .
I l prit fa route par la France : ce qui
l ’obligea de paffer dans l’armée du Duc
de Benrick. C e Seigneur l’accueillit de la
maniéré la plus obligeante, & lui donna
une efcorte, pour le conduire furement
fur les terres du Duc de Savoie. I l arriva
heureufement à Naples, de fé mit en
devoir de fuivre le régime que les Médecins
lui avoient prefcrit. I l commença
par s’abftenir de toute étude abftraite.
Le s beaux Arts prirent place de la Phi-
lolbphie. I l s’occupa du Deflein de de la
Peinture. Il écrivit une lettre fur le Def-
fein, de ébaucha un Traité fur la Peinture
& la Sculpture. Il s’amufa auflî a
defltner de petits fujets, pour orner une
nouvelle édition de fes oeuvres qu’il mé-
ditoit. Toutes ces occupations étoient
bien moins des travaux que des délaflè-
mens. Malgré ces attentions & fa maniéré
de vivre , fà fanté s’affoiblifïoit de
jour en jour. L e coup mortel étoit porté.
Quoiqu’à peine parvenu au milieu de fa
carrière, il fallut payer le tribut à la nature.
Le 7 Mars 1 713 , il tomba en foi-
bleffe, de il expira le même jour, âgé de
q.2 ans.
On trouva parmi fes papiers des lettres
fur des matières phîloïbphiques de theo-
logiques, de on en fit un recueil , qui a
été imprimé à Londres fous ce titre : Se-
veral Letters , dcc. c’efl-à-dire , Lettres
d’un Seigneur à un jeune homme à VAcdr
démie. On y lit plufieurs réflexions utiles
fur des fujets les plus importans , telles
que celles-ci. » L a meilleure voie de s’é-
» lever à la plus excellente difpofition ,
» qui eft l’amour de Dieu , n’eft pas celle
» des fpéculations ténébreufes , de d’une
» philofophie fcholaftique , mais la pra-
30 tique de la morale & l’amour du pro-
30 chain. C et amour doit s’étendre fur fes
»intérêts , & principalement fur la li-
» berté de penfer de fur un bon gouver-
» nement . . . . Quand une fois on a ré-
» duit un peuple à l’efclavage, il efl bien-
» tôt réduit auflî à une lâche fervitude
» par rapport à fes fentimens de à fes
» moeurs. L e vrai zèle pour Dieu de pour
» la Religion doit être foutenu d’un
» amour réel des hommes. O r l’amour
» des hommes ne peut fubfifler fans la
» vraie connoiffance de leurs plus grands
» intérêts, parmi lefquels la liberté tient
» le premier rang. Ceux qui ne fuivent
» point ces principes, trahiflent la Reli-
» gion de telle maniéré, qu’ils la font fer*
» vir d’inftrument contre elle-même. . . ;
» Nous n’avons jamais plus befoin d’une
» honnête gayeté , de bonne humeur ou
» de vigueur d’efprit, que lorfque nous
» nous occupons de Dieu de de la vertu s
» mais ce qui eft très-efïentiel de de la
s» derniere conféquence pour notre efprit
» de pour notre coeur, c’efl de les munir
» contre la contagion des plaifîrs. . . . L a
»récompenfe de la vertu doit être de
» même ordre que la vertu même, à la -
» quelle on ne peut rien ajouter. L a féli-
» cité d’une autre vie ne peut confifter
» que dans une augmentation de grâces,
» de vertu de de lumières, qui nous met-
» tront en état de comprendre de plus
» en plus la vertu par excellence, elle qui
» efl la fource de la diflributrice de tous
» les biens. . . . Tout ce que nous appel-
» ions perfectionner l’efprit par des occu-
» parions abftraites , tout favoir quel
» qu’il fo it , qui ne tend pas directement à
» nous rendre plus vertueux, plusjuftes
» de meilleurs , ne mérite que du mé-
» pris. »
Tous les Ouvrages de Sjîàftesbury
font imprimés en trois volumes, avec le
titre de Charafleriflicks,
•QÆoraleouDoStrinede S h a f t e s b u r y
fu r le mérite Cr la vertu.
L a vertu eft la pratique des aCtions
moralement bonnes, fans la vue d’aucun
intérêt. Nous fommes d’autant plus vertueux
, que notre bien particulier n’entre
pour rien dans les fervices que nous rendons.
A u contraire nous le fommes d’autant
moins, que notre propre avantage
fè trouve lié avec les aCtes d’humanité
que nous exerçons. L e tempérament
peut beaucoup influer ici. Chaque homme
a un intérêt p r iv é , un bien être qui
lui eft propre de auquel il tend de toute
fa puiffance. C ’eft un penchant raifonna-
b le , qui a fon origine dans les avantages
de la conformation naturelle. Si ce penchant
s’accorde avec celui du prochain
eh général , celui qui en eft doué, eft
naturellement bon. Si au contraire fes fentimens
, fes affeClions & fes palfions croi-
fent ceux des autres hommes, ce mortel
eft naturellement méchant. En un mot ,un
homme eft naturellement bon ou méchant
, félon que l’avantage ou le défa-
vantage de fon bien être eft l’objet immédiat
de la paflïon qui le meut.
C e n’eft pas feulement pour nous procurer
les befoins néceffaires à la confer-
vation du corps , que la nature nous
donne des inclinations. Dans un homme
capable de fe former des notions exactes
des chofes, les Etres fenfibles ne font
pas l ’unique objet de fes affections. Les
aétions elles-mêmes, les pallions qui les
ont produites , la commifêration , d’affabilité
, la reconnoiflance de leurs antago-
niftes , s’offrent bientôt à fon efprit, de
y excitent des fentimens ou d’amour ou
de haine. Les fujets intellectuels de moraux
agiffent fur l’efprit, à peu près de
la même maniéré que les Etres organifés
fur les fens. Les figures, les mouvemens
de les couleurs de ceux-ci, n’ont pas plutôt
frappé nos y e u x , que nous y trouvons
une beauté ou une difformité, félon.
la. mefure , l ’arrangement de la. difpofition
différente de leurs parties. D e
même lorfque les aCtions humaines font
préfentées à l’entendement, elles offrent
une différence, foit dans la régularité ou
dans le défordre, qui eft également fenfî-
ble. L ’efprit a , en quelque forte, fes yeux
de fes oreilles, avec lefquels il diftingue
dans les caraCteres la douceur de la dureté
, les fentimens, les inclinations, les
affeétîons de les difpofitions ; de par con-
féquent toute la conduite des hommes
dans les différens états de la vie, forme des
fujets d’une infinité de tableaux exécutés
par l’efprit, qui faifît avec promptitude,
de rend avec vivacité le bien de le mal.
De-là il fuit , qu’il n’y a point de
vertu , point de mérite, fans quelques-
notions claires de diftinCtes du bien général
, de fans une connoiffance réfléchie
de ce qui eft moralement bien ou mal ,
jufte ou injufte , digne d’amour ou de
haine. Qu’un homme foit généreux ,
doux , affable de compatifîant, s^l n’a
jamais réfléchi fur ce qu’il pratique &
voit pratiquer aux autres, s’il ne s’efl jamais
formé aucune idée précife du bien
de du mal moral , fi les charmes de la
vertu ne font pas les objets de fon affection
, cet homme n’efl pas véritablement"
vertueux. I l ne peut l’être que lorfqu’il
a acquis cette connoiffance aCtive de la-
droiture , qui doit le déterminer , cet
amour défintéreffé de la v e r tu , qui feul
peut donner tout le prix à fes aCtions.
L ’efïènce de la vertu confifte donc
dans une affeCtion pour les objets intellectuels
de moraux de la juftice ; de forte-
qü’on accroît de on fortifie le penchant à
la vertu’ , en nourrifïant, de pour ainfî
dire en éguifànt le fentiment de la juflice,
ou en l’entretenant dans toute fa pureté,
ou enfin en lui foumettant toute autre
affeClion. E t on le foutient par la crainte
des peines à venir de l’efpoir des biens-
futurs. I l eft vrai que ces motifs ne font
guères du genre des affeCtions libérales-
de généreufes , ni de la nature de ces;
mouvemens, qui complètent le mérite-
moral des aCtions* S’ils ont une influence'
prédominante dans là-conduite d’um
homme que l’amour défintéreffé devxoitx
O i j