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W O L F * .
LE mot Philofophe feroît un vain
nom, fi ceux à qui on le donne, en
aimant la juftice & la vérité, biaifoient
pour foutenir l’une Ôc l’autre. Dès qu’on
fie confacre à l’utilité du genre humain, on
ne doit point craindre de mettre au jour
fes découvertes & Tes travaux. Cette dif.
fîmulation , qu’on appelle prudence ,
lorfqu’on cache une vérité importante
qui peut blefle-r des gens en place ou des
perfonnes en c réd it, eft une lâcheté indigne
d’un être jufte Ôc railbnnable. Il
faut s’attendre à toutes fortes de maux
'quand on démafque le vice , ou qu’on
dilîipe l’erreur, & fa voir méprifer hautement
ceux qui les aiment. L ’eftime d’un
public vertueux ôc éclairé doit tenir lieu
de tout. La fatisfaélion qu’on éprouve
en donnant l’eftor à fes penfées, ôc en
jouiftant de fa liberté, eft encore un bien
précieux pour le Sage. I l a fbutenu celui
dont on va lire l ’Hiftoire, dans les études
les plus abftraites , & l’a confolé des
perfécutions violentes que l’envie ne
ceffa de lui fufciter. I l eft vrai que ce
grand homme avoit trop de mérite pour
les perfonnes avec qui il' vivoit. Tout le
monde couroit à fes inftru&ions , &
laiflbit feuls dés Savans qui vouloient ab-
folument qu’on prît leurs rêves pour des
chofes folides. Ils longèrent bien à le
mettre dans fon tort par la voie du rationnement
; mais comment s’y prendre
avec un Philofophe qui , éclairé par
le flambeau d'e l’évidence , n’avançoit
rien fans démonftration f Né dans les
plus beaux jours de la renaifiance de la
Fhilofophie , il fe trouvoit placé dans
les plus heureufes circonftances. Il avoit
fous les yeux les découvertes de Def-
cartes, de Newton ôc de Leibnitz. I l entretenoit
avec ce dernier de fréquentes
conférences, ôc un commerce de Lettres
fuivi. Une fagacité admirable & une pénétration
qui tenoit du prodige, fe loi—
gnoient à ces fecours , ôc le rendoient
invulnérable.
C e fut à Breflaw en Siléfie qu’il naquit
le 24 Janvier 1 6 7 p .'O n l’appela
Chrétien W o l f . On lit dans le Journal
Etranger, que fon père étoit Boulanger ;
ôc l’Auteur de fon éloge a écrit que
» fon père ayant été obligé d’abandonner
» la Littérature, dans laquelle il avoit fait
» des progrès confidérables, avoit pro-
» mis à Dieu de confacrer à l’étude de
» la Théologie le premier enfant qu’il
* auroit a. M. de Fouchi ne dit point
quelle étoit la profeflïon de cet homme;
mais fi c ’étoit celle de Boulanger , il eft
bien étonnant qu’ il ait fait dans la L ittérature
des progrès confidérables. Cela
ne fe concilie guères avec un métier de
cette efpèce. Quoi qu’il en foit, jamais
enfant n’a eu des difpofitions plus précoces
que le jeune W o l F , ôc n’a reçu
une meilleure éducation. I l pouvoit à
peine prononcer quelques mots , qu’il
voulut de lui - même apprendre à lire.
Ses parens lui donnèrent un livre qui
contenoit les premiers élémens de la
Langue Allemande., plutôt pour le contenter,
que dans l’efpérance qu’ il en retirât
quelque fruit : mais l’ enfant s’attacha
avec tant d’ardeur à y comprendre
quelque chofe, foit par fa propre étude ,
foit par les leçons qu’il arrachoit avec
importunité de tous ceux qu’il rencon-
t r o i t , qu’en moins de quatre femaines
i l parvint à le lire. Son père lui apprit
les premiers principes de la Langue L a tine
, Ôc le mit en. état d’entrer de très-,
. ae I siCMemte Koyale des bctençfs, par J ■ touchy, Tome -I. Mémoire hifiorique fur lu vie &
ouvrages de M. WOLF, à ïa tête de l'Abrégé des principes
du droit naturel , par M. Xormey. Et fes ouvrages.