feroit que fervir de Miniftre à la cupidité
des hommes , & il négligeait la fin principale
du gouvernement en laiflant périr
les moeurs, & contribuant même à les
corrompre par les richefles, au lieu de
travailler à les rendre plus innocentes &
plus pures.
Les vertus, dont il eft ici queftion ,
Font celles qui fervent de bafe à un Etat
bien rég lé , dont les Païens ont connu la
nécefîïté, 8c dont les Grecs 8c les Romains
ont donné de grands exemples. Ces
vertus font le confeil , la fagefle , la
confpiration pour le bien public , le dé-
fintéreflèment particulier , l ’obéiflance
aux loix 8c à l’autorité légitime , la patience
dans le travail, la fermeté dans
les réfolutions, le courage & la valeur r
8c plus que tout cela, l’amour de l ’égalité
8c l’éloignement de toute ambition.
Chaque citoyen Romain fe regardoit
comme une partie de la République, qui
devoit fe rapporter au to u t, qui lui de- .voit fes biens , fa liberté , fa vie , qui
devoit être prêt à lui facrifier fes intérêts
les plus chers, 8c qui ne pouvoit
trouver ni fa fûreté, ni fa gloire , que
dans celles de l’Etat.
De-là cette confpiration générale au
bien public ; ee fecours mutuel que tous
les citoyens fe prêtoient ; cette follici-
tude pour le falut de la République ; cet
intérêt que le peuple prenoit aux délibérations
8c aux confeils ; cette application
qu’avoient les {impies particuliers à
découvrir ce qui pouvoit contribuer au
bien de l’Etat ; cet efprit de fagefle 8c de
politique, dont les. artifans même étoient
capables.
. De-là l’amour de chaque citoyen pour
fes freres ;.la joie d’en avoir délivré quelqu’un
dans un combat ; la difpofition à
~ s’entr’aflifter dans un péril commun ; la
fenfibilité pour le bien ou le mal des plus
petits.& des plus foibles d’entre le peuple
; la honte & la douleur de n’àvoir. pû
arracher des mains, de l’ennemi un Citoyen
emmené captif ; le courage 8c la
valeur pour ferviy de bouclier à fes compagnons,
8c avec eux à tout l’Etat.
De-là enfin l ’attention à bien choifir
les Généraux pour la guerre 8c les Ma*
giftrats pour la juftice ; l’intérêt qu’on
prenoit à leur gloire 8c à leurs fuccès ;
la reconnoiflance qu’on avoit de leurs
fervices, l ’honneur qu’on rendoit à leur
perfonne 8c à leurs vertus.
Rien n’eft fans doute plus important
que de rendre aimables ces anciennes vertus
; 8c un Souverain ne doit négliger
aucuns moyens à cette fin. Vo ic i ceux
qu’il peut employer.
1. Louez ces vertus pour en faire
naître l ’amour ; 8c fervez-vous de cet
attrait, pour élever le courage de plusieurs
au-defliis des fentimens bas 8c in»
térefles, qui les tiennent courbés vers la
terre 8c repliés fur eux-mêmes.
2. Témoignez au contraire un grand
mépris de toutes les pallions, qui n’ont
pour objet que les fens.
3. Eloignez de tous les emplois ceux
qui font fans générofité 8c fans noblefle,
.
8c qui ne font occupés que d’eux-memes
8c de leurs familles.
4. Distinguez dans' tous les états 8c
dans toutes les conditions ceux qui ont
donné quelques preuves de leur zele
pour le bien public.
y. Marquez dans toutes les occafions
de la haine pour la dépenfe 8c le lu xe} 8c
de l’amour pour la frugalité 8c la fim-
plicité.
6. N ’ayez aucune confidération pour
les richefies : condamnez l’empreflement.
à Les acquérir, 8c faites connoître que
toutes celles qui font acquifes en peu de
temps vous font fufpeétes.
7. Faites un grand état de la probité y
de l’honneur 8c de la fidélité ; 8c répandez
une grande ignominie fur les vices
oppofés.
8. A y e z une attention perfévérante
à protéger la vertu , à récompenfer le
mérite , 8c à punir le vice.
5?. E t donnez v.ous-même par votre
conduite, un exemple qui foit plus efficace
que les récompenfes 8c les châti-j
mens.
L ’attention à récompenfer le mérite
8c à punir le vice , fuffiroit feule pour
bien régner 3 parce que ce feul devoif
renferme tous les autres ; qu’il fuppofe
dans le Prince toutes les grandes qualités,
8c qu’il eft la fource de toutes les vertus
qui peuvent mettre u n e Nation au- deflus
des autres , 8c qui font la fin du gouvernement.
I l y a fans contredit plufieurs fortes
de mérite ; mais aucun ne doit être plus
précieux à un Souverain, que celui des
Savans 8c des Gens de Lettres. Rien ne
fait tant d’honneur à une Nation que les
Sciences, les Lettres 8c les A r t s , 8c la
réputation d’avoir beaucoup de perfon-
nes qui y excellent. C ’eft même en cela
que confifte fon principal mérite : car
fans cet avantage elle n’en a prefque aucun
fur les peuples barbares , qui peuvent
l’égaler en multitude, en forces 8c
en richefles ; mais qui font autant inferieurs
à un peuple inftruit 8c favant, que
le corps eft inférieur à l ’efprit.
D ’ailleurs la gloire de la Nation rejaillit
fur le Prince qui la conduit. T ou t
ce qu’il y a de lumière 8c de fagefle dans
un Etat lui devient propre, comme fai-
fant partie du bien public qui lui eft con%
fié ; 8c quand il fait connoître 8c eftimer
un tréfor d’un fi grand p rix , il s’attire
l ’admiration 8c l’amour de toutes les per-
fonnes qui aiment les Lettres, 8c qui font
par conféquent les .difpenfateurs de la
gloire 8c de cette efpece d’immortalité,
quejla reconnoiffance 8c les ouvrages
d’efprit peuvent donner.
Cette gloire n’eft pas même bornée
à fes feuls Etats. E lle s’étend aulfi loin
que les fciences : elle pénétre où elles
ont pénétré : elle lui îoumet parmi les
Etrangers tous ceux qui le regardent
comme le protecteur de ce qu’ils aiment :
elle lui conferve parriii les peuples ennemis,
un grand nombre de ferviteurs
z é lé s , capables , quand ils ont du crédit
, de porter leurs citoyens a la paix,
8c de leur infpirer pour ce Prince le
même refpeét dont ils font pénétrés.
On vient de toutes parts dans un
Royaume où l ’on peut apprendre. On y
féjourne avec plaifir & avec fruit. On
rapporte en différens pays ce qu’on y a
vu ; les perfonnes favantes qu’on y a
connues ; les fecours qu’on y a reçus
pour toutes fortes de connoiffances. On
parle dans toutes les Nations du mérite
accompli du Prince , de fon difeerne-
ment, de fon goût exquis pour toutes
les belles chofes ; de la protection qu’il
donne aux Lettres ; de fa bonté pour
tous ceux qui fe diftinguent par le fa-
voir ; du bonheur du peuple qu’il conduit
avec tant de fagefle , 8c qui devient
tous les jours par fes foins plus parfait 8c
plus éclairé.
On pàfle même jufqu’à confidérer le
peuple comme devant fervir de modèle
aux autres. OnUâche d’imiter ce qui s’y
pratique : on le cofrfulte : on le prend
pour juge :on différé dans les occafions
importantes à fe déterminer, qu’on ait
vu le parti qu’il prendra. On étudie fes
maximes, fon .attachement aux anciennes
lo ix , fes fages précautions pour ne point
laiffer établir un nouveau joug fur les
confidences. On regarde, avecraifon, le
grand nombre de perfonnes favantes dont
fon Royaume eft plein, comme le ferme
appui de la vérité 8c de la Religion ; 8c
l’on eft beaucoup plus touché de leurs
fentimens , que de ceux de plufieurs N a tions
, ou l’on fait que l’ignorance domine.
Enfin en s’élevant ainfi par degrés à
une vertu toujours plus pure & plus parfaite
, le Prince fe rend attentif 8c docile
à la raifon, & le devient par-là à la Religion
& à la foi , qui commandent les
mêmes chofes que les vertus purement
humaines, mais en propofant de plus
grands motifs 8c de plus dignes récompenfes,