roitle maître d’accepter ou de refufer la
Royauté , & à qui la Providence n’im-
poferoit pas la néceffité, Toit par la naif*
Tance ou par une voie auffi certaine que
la naiffance, de monter fur le trône, feroit
fort fage de mettre en délibération s’il y
monteroit. I l feroit paraître un efprit
plus grand & plus élevé que la grandeur
même * ou pour parler plus jufte , que
l’ambition qui la délire.
On peut bien faire ces réflexions lorf-
qu’on n’eft encore que deftiné à la fou-
veraineté , Sc reconnoître alors combien
il ell difficile de gouverner une Nation.
Mais on change de langage lorfqu’on
tient les rênes du gouvernement. Les
honneurs qu’on rend à cette place éminente,
enivrent aifément celui qui l’occupe.
L a tête tourne, & les flatteurs Sc
les courtifans achèvent de lui faire perdre
l’efprit. Cependant c ’eft une erreur
très-groffiere que de s'attribuer à foi-
même un honneur qui n’eft dû qu’à l’autorité
, & croire mériter tout ce que mérite
fa place. C e font deux chofes fort
différentes que Ton caraétere & fa per-
fônne. Tous les refpects s’adreffent au
premier, & aucun n’eft direétement pour
le fécond. Car il y a des grandeurs naturelles
, & il y en a d’autres d’inftitution.
Les unes font des qualités réelles de Tef-
prit ou du coeur , telles que la prudence
& la bonté. Les autres font des diftinc-
tions d’autorité Sc de rang, telles que^ la
qualité de Roi & de Prince. Il eft dû à
toutes de l’honneur ; mais il n’eft pas du
à toutes de l’eftime. L ’honneur & l’eftime
s’uniffent quand il s ’agit des grandeurs
naturelles ; mais l’honneur demeure
Téparé de l’eftime , quand il ne s’agit que
des grandeurs d’inftitution. I l eft jufte
d’honorer l ’autorité Sc d’y être fournis ;
mais il n’eft pas jufte qu’un Prince exige
l ’eftime par le titre feul de l’autorité.
Quand le Souverain aura des vertus efti-
mables , il méritera d’être eftimé : mais
lorfqu’ii fe contentera d’avoir de 'Pautorité,
il ne lui fera dû que du refpeét à
fon pouvoir, & non de l’eftime.
I . I l eft donc néceffaire qu’un Prince qui
a de la jufteffe d’efprit ôc du difcernè-
ment, fépare bien l’honneur qu’on lui
doit toujours , de celui qu’on peut lui refufer
fans être in jufte ; Ôc qu’il diftingue
bien auffi les moyens de fè faire rendre
l ’un& ceux de mériter Pautie. 11 eft vrai
qu’il eft plus aifé d’éblouir par une mà-
gnificence qui ne coûte rien au Prince,
mais feulement à fes fujets , que de
foutenir par un mérite univerfel la ma-
jefté de la fouveraine puiffance. On
met à la place de l’intérieur, qui eft pauvre
Sc miférable , un dehors charge de
clinquant, qu’on efpere qui le couvrira 5
& l’on fubftitue à la réalité une décoration
qui trompe le Prince, mais qui ne
trompe gueres que lui. Quiconque eft
véritablement digne de conduire les peuples
, doit avoir honte de devoir fon autorité
à ces foibles reffources ; & il doit
avoir toujours préfente à l’efprit cette
maxime d’un des plus grands Empereurs
qu’ayent eu les Romains : c’eft la vertu
& le courage Sc non la magnificence
extérieure , qui donne du poids ôc de la
dignité aux Souverains. (<z)
I I . Après s’être bien convaincu de
l’étendue de fon autorité & de fes bornes
, un Prince doit tâcher de connoître
les hommes qui lui font fournis ,afin qu’il
ne gouverne pas au hazard ; qu’il n’employé
à leur égard que la raifon Sc l’in-
‘ telligence ; qu’il entre dans leurs véritables
befoins ; qu’il fatisfaffe leurs juftes
inclinations •; qu’il conferve ce qu’ils ont
de bon, & qu’ il s’oppofe à ce qu’ils ont
d’injufte. I l eft encore obligé d’en faire
une étude particulière , pour connoître
leurs talens, leur mérite , leur capacité
par rapport aux emplois. A la vérité
rien ffeli plus difficile à acquérir que cette
connoiffance. I l arrive fouvent que
l’homme de bien conferve quelque chofe
qui bieffe, Sc qui ne donne pas de lui
(a) N o» oeultîtm infignibus aut ad apparatxm regium mtri & ferici deputabar iicens : IMPERIUM IN VIRTUTE ESSE ,
itou in ue cæ r e . AJex. Sep.-
une
une idée avantageufe. Un excellent efprit
n’a pas toujours l’air auffi humble Ôc
auffi modefte qu’il le faudroit. Une vertu
fincere eft quelquefois plus négligée Sc
plus fimple , que celle qui n’en a que
l ’apparence. A u contraire un mérite fu-
perficiel peut être relevé par des maniérés
très-prévenantes ; & un homme
ambitieux, intéreffé, entreprenant, peut
cacheftre mauvais fonds fous des dehors,
qui feraient une partie du caraétere contraire.
Comment découvrir donc le mérite
fous les apparences qui le cachent,
ôc le vice fous une parure qui l ’embellit ?
Rien n’eft plus capable de produire cet
effet qu’une étude férieufe de la Morale ,
qui doit être comme la bafe de la fcience
des Rois , Ôc qui leur apprend ce que
c ’eft que l’homme. C ’eft par elle qu’ils
découvriront les motifs de leurs actions
jufques dans leur principe ; prévoiront
ce qu’ils feront auffi fûrement, que s’ils
avoient affifté à leurs Confeils ; fauront
ménager avec une merveilleufe dextérité
leurs efprits ; les conduiront plus fûrement
parleurs inclinations que par tous
les autres moyens, Sc les prépareront par
des vertus moins parfaites à d’autres plus
éminentes.
De cette connoiffance générale de
l’homme, qui fait la première partie de
la Morale , le Prince doit paffer à la
connoiffance de lui-même, qui en eft la
fécondé. I l doit defcendre dans fon propre
coeur, pour en étudier tous lesmou-
vemens , Sc pour connoître par cette
étude tout ce qui eft capable de remuer
les autres hommes ; car ils conviennent
tous dans certaines chofes, qui les inté-
reffent également , quoiqu’ils en faffent
différens ufages , Sc qu’ils fe partagent
entr’eux par mille diverfîtés , qui ne
viennent point des principes, mais de
l’application qu’ils en font.
I l peut juger par fa propre expérience
que tous les hommes veulent être heureux
; que tous n’ont que ce deffein dans
tout ce qu’ils font; que tous ne s’uniffent
que pour y réuffir plus facilement par le
mutuel fecours qu’ils fe prêtent ; que
c’eft par l’efpérance d’être plus fûrement
Sc plus long-temps heuFêutf ; qu’ils fe
foumettent à un R o i , qui leur en procurera
les moyens, Sc qui fera en état de
lever tous les obftacles, que les parti-*
culiers ne fauroient furmonter.
L e Prince voit tout d’un coup les fuîtes
de ces vérités fécondes. I l doit étudier
enfuite ce qu’il défire lui-même pour
être heureux ; ce qui eft jufte dans fes
défirs Sc ce qui ne l’eft pas ; ce qui eft
poffible en cette vie Sc ce qui eft réfervé
pour l’autre ; Sc ce qu’il découvre en lui-
même, il peut le conclure de fes fujets ;
même des plus petits , fans craindre defe
tromper.
I l eft encore un moyen de connoître
les hommes, c ’eft d’être attentif à tout
ce qu’on voit Sc qu’on entend , Sc à y
faire réflexion. Car tous les hommes ne
peuvent pas toujours fe déguifèr ni vivre
dans la gêne. L ’artifice eft moins perfé-
vérant que le naturel ; ôc quand un Prince
a des yeux attentifs, il découvre enfin
ce qui eft fimple & vrai , ôc le diftingue
de ce qui étoit affeété. Les paffions changent,
Sc en changeant elles fe trahiffent.
I l n’y a que le vrai qui foit égal. L a vertu
n’a qu’un vifage. L e mérite n’a point d’autre
intérêt que d’être ce q uil e ft, foit
qu’on le connoiffe ou qu’il demeure inconnu
; mais tout ce qui s’efforce de lui
reflembler, eft trop inquiet pour lui ref-
fembler long-temps.
I I I . L e premier fruit qu’un Prince
tire de la connoiffance des hommes, eft
de fe'précautionner contre les flatteurs.
C e font des hommes faux , qui donnent
de grandes louanges à des aérions ou à
des qualités qui n’en méritent aucunes ,
ou qui en méritent de plus modérées, Sc
cela pour ufurper les bonnes grâces du
Souverain. Quoiqu’il y ait des flatteurs:
de toute efpece, ils fe réuni fient pour tant
tous à ce point : c’eft de n’être jamais
naturels. L ’étude ôc l ’affeétation préfî-
dent dans tout ce qu’ils difent Sc dans
tout ce qu’ils font. L e deffein de perfua-
der qu’ils font pleins des fentimens qu’ils
témoignent, prouve tout le contraire-a
quiconque connoît le fond de l ’homme.
L a fincérité s’exprime plus Amplement* M