» mieux, ajoute cet excellent homme, de
» dire, notre Livre , notre Ouvrage, rire. vu
» que d’ordinaire il y a en cela plus du bien
» d’autrui que du leur ». En effet, c’eff une
méchante coutume que de parler de foi-
même, & de fe citer par-tout, lorfqu’il
n’eft queftion que de fon fentiment. Cela
donne lieu à ceux qui nous écoutent de
foupçonner que ce regard fi fréquent vers
foi même, ne nailfe d’une fecrette com-
plaifance, qui nous porte fouvent vers cet
objet de notre amour, 8c excite en eux
une averfion pour nous & pour tout ce
quenousdifons(a). Pascal vouloit qu'on
fe défignât par la particule on (b). '
La Philofophie proprement dite de ce
grand homme confiftoit en cette maxime :
renoncer à tout plaifir 8c à toute fuper-
fluité, & il l’a réduite conffaniment en
pratique. Non-feulement il refufoit à fes
fens tout ce qui pouvoit leur être agréable;
mais il prenoit encore fans peine, fans dégoût
, & même avec joie , tout ce qui pouvoit
leur déplaire, foit pour la nourriture,
foit pour les remedes ; & il retranchoit
tous les jours tout ce qu’il ne jugeoit pas
lui être abfolument néeeffaire, tarit pour le
vêtement, que pour la nourriture, pour les
meubles, 8c pour toutes les autres chofes.'
I l ne s’occupa fur la fin de fes jours que de
penfées morales 8c chrétiennes, 8c il les
mettoit par écrit félon qu il les jugeoit
bonnes. C ’étoit fur le premier morceau de
papier qu’il trouvoit fous fa main, & c’étoit
fouvent à demi mot ; car il ne les écri-
voit que pour lui. Audi fe contentoit-il
fort légèrement, pour ne pas fe fariguer
l ’efprit. I l mettoit feulement les chofes
qui étoient néceffaires , pour lui faire ref-
fbuvenir des vues & des idées qu’ii avoit.
On trouva après fa mort tous les morceaux
de papier fur lefquels ces penfées
étoient écrites, enfilées en diverfes liafies,
fans aucun ordre & fans fuite. On les fit
copier d’abord telles qu’elles étoient, 8c
dans la même confufion où on les avoit
trouvées; 8c on les mit enfuite dans l’ordre
où elles font imprimées aujourd’hui,
fous le titre de Penfées de M. Pafcaîfur la
Religion, & fur quelques autres fujets, qui ont
été trouvées après fa mort parmi fes papiers•
On trouve dans ces Penfees , i° . Une peinture
exaéle de l’homme, c’eft-à-dire, tout
ce qui fe pafte au-dedans & au-dehors de
lui-même. 2°. Le tableau de l’homme qui,
après avoir vécu dans l’ignorance, fe con-
fidere lui-même, fa grandeur, fabaftefle,
fes avantages. Tes foiblefies, les lumières
qu’il a , les ténèbres qui l ’environnent ,
enfin les contrariétés qui fe trouvent dans
fa nature. 30. L a preuve de la vérité de la
Religion Chrétienne par l ’accompliife-
ment des Prophéties.
Tôute cette compofition eft belle, fu-
blime, édifiante. Mais fur ce dernier article
, fa vie vaut encore mieux que fes
écrits. Cent volumes de fermons , dit
Bayle , ne valent pas l’expofition de fa
vie. Son humilité 8c fa dévotion mortifient
plus les libertins, que fi on lâchoit fur
eux une douzaine de Millionnaires. On
voit allez de gens qui difent qu’il faut fe
mortifier, mais on en voit bien peu qui le
fartent; 8c perfon> e n’appréhende de guérir
quand il eft malade, commefaifoitP a s c
a l (c). En un mot. Bayle avoit une idée
fi grande de ce Philofophe, qu’il le nomme
un individu paradoxe, de lrejpéce humaine.
I l mérite, d it- il, qu’on doute s’il eft né de
femme, comme cet homme de Lucrèce :
Ut vix humanâ videatur Jlirpe creatus (d)i
Morale deP a s c a l . ou connoijfance générale
de l’Homme.
L a première chofe qui s’offre à l’homme
, quand il fe regarde , c’en Ion corps ,
qu’il ne peut connoître qu’en le comparant
avec tout ce qui eft au-delfns de lu i,
8c tout ce qui eft au-delfous, afin de voir
fes juftes bornes. Il faut donc qu’il nes’ar-
rête pas feulement à regarder les objets
0 0 Voyez la Logique, ou l’A r t de (enfer, troifiéme
e'dîr. pag. 307.
( O M* de Saint-Evremont fe moque un peu de
J’ufage dit mot On , dans fes QLnvrcs mêlées, tom. IV.
A -t-il raifon ? c'cft ce que ie lai fie à décider.
(c) Nouvelles de la République des Lettres, année 16S4^
mois de Décembre.
(d) T , Lucrecii Cari de rerum naturâ» Lib. I . Vers 730«
qui l’environnent, mais qu’il contemple la
nature entière dans fa haute & pleine ma-
jefté ; 8c il trouvera alors que la terre qu’il
habite n’eft qu’un point à l’égàrd de cet
efpace immenfe que fa foible vue lui fait
découvrir, 8c qu’il conçoit encore mieux.
Confidérant ce qu’il eft au prix de ce qui
e ft, il fe reconnoît comme égaré dans ce
canton détourné de la nature, dans ce
petit cachot où il fe trouve logé. Utile
connoilfance qui lui apprend à eftimer
la terre, les Royaumes, les V ille s , 8c foi-
même fon jufle prix. Que font en effet toutes
ces chofes" là dans l’infini ? Qui peut le
comprendre? L ’hommjs eft dans la nature
un néant à l’égard de l’infini, un tout à
l’égàrd du néant, un milieu entre rien 8c
tout.
Son intelligence tient dans l’ordre des
chofes intelligibles le même ordre que fon
corps dans l’étendue de la nature ; 8c tout
ce qu’elle peut faire eft d’appercevoir quel-
qu’apparence du milieu des chofes, dans
un défefpoir éternel d’en connoître ni le
principe, ni la fin,
Ses fens n’apperçoivent rien d’extrême.
Trop de bruit l’alfourdit ; trop de lumière
l’éblouit ; trop de diftance 8c de proximité
empêchent fa vue ; trop de longueur &
trop de brièveté obfcurciuent fon dif-
cours : trop de plaifir 1 incommode ; trop
de confonnances lui deplaifent. Il ne fent
ni l’extrême chaud, ni l’extrême froid : les
qualités exceflîves font fes ennemis, & ne
lui font point fenfibles : il ne les fent pas :
il les fouffre. Trop de jeunelfe 8c trop de
vieilleffe énervent l ’efprit ; trop & trop
peu de nourriture troublent fes aérions ;
trop 8c trop peu d’inftruélions abétiftent.
Les chofes extrêmes font pour lui comme
fi elles n’étoient pas, 8c il n’eft pointa
leur égard: elles lui échappent, ou lui à
elles.
L ’homme n’eft qu’un rofeau le plus
foible de la nature ; mais c’eft un rofeau
penfant. Il ne faut pas que l’Univers entier
s’arme pour l’écrafer. Une vapeur ,
une goutte d’eau fuffit pour lé tuer. Son ef-
prit eft même fi peu de chofe, que le moindre
tintamarre qui fe fait autour de lui le dérange,
I l ne faut pas le bruit d’un canon
pour déranger fes penfées, il ne faut que le
bruit d’une girouette d\i d’une poulie. Une
mouche bourdonne t-elle à fon oreille ? il
celfe de raifonner; & afin qu’il puifte trouver
la vérité, il eft obligé de charter cet in-
feéte qui tient fa raifon en échec, 8c trouble
cette puiftante intelligence qui gouverne
les Villes 8c les Royaumes.
L a juftice 8c la vérité font deux pointes
fi fubtiles, que fes inftrumens font trop
émoufles pour les toucher exactement: s’ils
y arrivent, ils en écachent la pointe, 8c appuient
tout autour, plus fur le faux que fur
le vrai. Ces inftrumens font la raifon 8c
les fens : deux principes qui manquent fouvent
de fincérité, ou s’abufent réciproquement
les uns 8c les autres Les fens abufent
la raifon par defauftes apparences ; & cette
même piperie qu’ils lui apportent, ils la
reçoivent d’elle à leur tour : elle s’en revanche.
Les paffions de l’ame troublent les
fens, 8c leur font desimpreflîons fâcheufes.
Ils mentent 8c fe trompent à l’envi.
Qu’eft-ce en effet que nos principes,
finon des principes accoutumés ? Dans les
enfans, ce font ceux qu’ils ont reçus de la
coutume de leurs peres. Une différente coutume
donnera d’autres principes naturels.
Et s’il )^en a d’ineffaçables à la coutume, il
y en a auflï de la coutume ineffaçables à la
nature. Qu’efLce donc que cette nature
fujette à être effacée ? La coutume eft une
fécondé nature qui détruit la première*
Pourquoi la coutume n’eft-elle pas naturelle?
Cette nature ne feroit-elle qu’une
première coutume, comme la coutume
eft une fécondé nature ?
Quoi qu’il en foit, les néceflités de la
nature raviftent à l’homme une grande
partie du temps qu’il a à vivre. I l ne lui en
refte que très-peu dont il puiffe difpofer.
Mais ce peu l’incommode fi fort 8c l’em-
barrafle fi étrangement, qu’il ne fonge
qu’à le perdre. Rien ne lui eft plus infup-
portable que d être obligé de vivre avec
foi, 8c de penfer à foi. Ainfi tout fon foin
eft de s’oublier foi-même, 8c de Lifter
couler ce temps fi court 8c fi précieux fans
réflexion , en s’occupant des chofes qui
l’empêchent d’y penfer. Voilà l’origine
de toutes les occupations tumultuaires des