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fait dans la fcîence de la Philofophie, à fon
défaut de pénétration , mais aux Auteurs
qu’il avoit lus & confultés. I l fe livra
donc de nouveau à l’étude, & principalement
à celle de la Médecine. 11 y devint
ii habile , qu’il acquit l’eftime des plus
favans Médecins. Il fit même un petit
Ouvrage que le fameux M»Sydenham approuva
beaucoup. I l ne voulut cependant
pas prendre des grades dans la Faculté :
il fe contenta du titre de Maître-ès-Arts.
L o k e avoit alors 32 ans. C ’étoit un
âge allez avancé pour qu’il dût fonger à
prendre un parti : mais l’amour de la Philofophie
l’abforboit entièrement, Ôç il fen-
toit le prix d’une vie libre. Il fe laifTa
pourtant gagner par l ’Envoyé du Roi
d’Angleterre en Allemagne , qui étoit
bien aife d’avoir pour compagnon de
voyage un homme aufii éclairé que notre
Philofophe. L o k e partit avec lui pour
P Allemagne & la Prulfe ; & il s’attacha
pendant cette courfe à étudier les hommes
& à les connoître. De retour a O x ford
, après un an d’abfence, il reprit le
çours de fes études. Cette vie retirée
qu’il rnenoit dans cette Y ille > n’çtoit fu-
rement pas propre à lui procurer un état
pu une fortune beaucoup plus ai fée que
celle dont il jouifloit,: il le favoit, ôç ne s’en
embarrafloit pas beaucoup. H y a même
apparence qu’il eût toujours vécu dans
la retraite , fi on ne l’eût contraint d’en
fortir. Milord Ashley ayant eu occa-
fion de connoître ce qu’il valoit dans une
feule converfation, l’engagea à venir chez
lui ; & afin de l’obliger à s’y fi*er, c’eft-
à-dire à profiter des avantages qu’il vou-
lôitrlui procurer,il le chargea du foin de
fà fanté. C e fut une raifon pour L o k e
de fe tenir auprès de lui. C e Comte étoit
naturellement fort haut 5 mais ce n’étoit
point avec L o k e qu’ il prenoit ce ton de
fupériorité qui lui étoit ordinaire. Il l’é-
coutoit toujours favorablement & avec
beaucoup de déférence. Il le gratifia même
d’une penfion confîdérable. Notre Philofophe
n’avoit cependant encore rien publié
qui pût annoncer ce qu’il devoit
être un jour. Mais ce Milord fe connoif-
foit en mérite ; de quelque ruodefte que fût
L o k e , fa profonde fagacité perçoit a
travers fa modeftie. Ces deux qualités
d’autant plus eftimables qu’elles font rarement
réunies, accompagnées d’une extrême
candeur , lui concilièrent l’amitié
des perfonnes de la première diftinétion ,
parmi lefquelles on nomme le D uc de Buckingham
ôc Milord Halifax, qui avoient
de l’efprit & de la leéture, & qui fe plai-
foient beaucoup à fa converfation. Quoi-'
qu’il eût l ’air férieux , & qu’il leur parlât
toujours avec des égards, il mêloit cependant
dans fes difeours mille traits agréables
& affez libres. Un jour ces Seigneurs, au
lieu de converfer comme à leur ordinaire,
demandèrent des cartes & jouèrent. L o k e
les regarda jouer pendant quelque temps :
après quoi ayant tiré des tablettes de fa
poche , il fe mit à écrire avec beaucoup
d’attention. Un de ces Seigneurs y prit
garde , & lui demanda ce qu’il écrivoit.
Milord , d it- il, je tâche de profiter autant
que je puis en votre compagnie ,* car ayant attendu
avec impatience Vhonneur d'être préfent
à une affemblée des plus fages des plusfpi-
rituels hommes de notre temps , Û ayant
eu enfin ce bonheur, j ’ai cru que je ne pouvois
mieux faire que d'écrire votre converfation ; &
en effet j yai mis ici en fubjiance ce qui s'efi dit
depuis une heure ou deux. On comprit par
cette réponfe le ridicule qu’il y avoit à
s’occuper de la forte. On quitta le je u ,
ôc on pafia le refte du jour à s’entretenir
de chofes également agréables & utiles.
C e fut par cette manière de fe comporter
que notre Philofophe devint fî
ami de Milord Ashley, que celui-ci ne
pouvoit fe palfer de lui ; de forte qu’étant
tombé malade à fa maifon de campagne,
L o k e ne fut pas feulement chargé de
lui adminiftrer les remèdes qui lui étqient;
nécelfaires : il eut aufli foin dç mettre ordre
à fes affaires tant civiles qu’Ecclé-
fiaftiques.
Dans ce temps-là le Comte de Northum?
berland ÔÇ fon ,époufe lui proposèrent
jde faire avec eux le voyage de France &
d’Italie. Cette propofition étoit trop attrayante
, par l’envie que notre Philofo-
phe avoit de voir ces deux Etats , pour
qu’i l ne l’acceptât point. Les Mémoires
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fur fa vie ne nous ont point ïnftruit de fes
occupations dans des Pays peuplés d’il-
luftres Savans, & où il dût feire une ample
moiffon de connoiffances. Nous layons
feulement qu’il y perdit le Comte;
& que de retour à Londres, il logea comme
auparavant chez Milord Ashley, qui
étoit Chancelier de l’Echiquier, ôc qui le
pria de fe charger de perfectionner l’éducation
de fon fils unique âgé de 15* à 1 6
ans. L o k e s’acquitta de cette fonction
avec tant de fageffe & de prudence, que
les parens de fon élève lui laifsèrent le
foin de le marier. C e fut ici la dernière
complaifance qu’eut notre Philofophe.
Dégagé de tout foin, il fe retira dans un
endroit folitaire, & y forma le projet de
fon EJfai fur l'Entendement humain. I l avoit
trente-huit ans. I l fut reçu alors de la S ociété
Royale de Londres. Sa retraite ne
fut pas longue : on l’en tira malgré lui.
Milord Ashley , qui étoit devenu Comte
de Schaftfbury , & Grand Chancelier
d’Angleterre en 16 7 2 , eut la préférence.
L o k e confentit à accepter un appartement
dans fon Hôtel ; & en reconnoif-
fance de cette faveur , cfe Seigneur lui
donna la Charge de Sécrétaire de laPré-
fentation des Bénéfices. L ’année fuivante
il encourut la difgrace du R o i , & L oke
fut enveloppé dans cete difgrace. Cela fuf-
pendit les fonctions & les émolumens de
fa Charge. Pour le dédommager , on le
fit Sécrétaire d’une Commiflion quiregar-
doit le Commerce , ôc dont le revenu
étoit de j o o livres fterlings ; mais cette
place ayant été fupprimée au mois de
Décembre 1 6 7 4 , il demeura fans emploi.
Par furcroît de malheur, il fe fentit attaqué
d’étifie. On lui confeilla de changer
d’air ; & quoiqu’il prît alors des grades
dans la Faculté de Médecine , où il ve-
noit d’être reçu Bachelier, il quitta Londres
pour fe rendre à Paris. I l y lia amitié
avec les perfonnes les plus diftinguées.
Dans cet intervalle, le Comte ayant regagné
les bonnes grâces de fon Souverain,
L ok e retourna en Angleterre ( en 1675? )
ôc il fe retira à la campagne pour y refpi-
rer un air plus pur que celui de la Ville.
A peine fut-il arrivé, que fon Bienfaiteur
le Chancelier perdit encore les bonnes
grâces du Roi. Cette nouvelle difgrace
l ’allarma encore plus que la première. I l
en craignit les fuites. Pour fe mettre en
fureté, il alla à Amfterdam, fous prétexte
de fa fanté. C ’eft-là qu’il perfectionna fpn
Ouvrage de l’Entendement humain. Cette
fuite indifpofa le Roi. Sa Majefté mani-
fefta fon relfentiment par un ordre qu’elle
donna au Collège de Chrift-Church à
O x fo rd , de rayer le nom de L oke , malgré
les prières de l’Evêque de cette V i lle ,
Jean Fel. C e fut là un fujet à notre Philofophe
de s’affermir en quelque forte à Amf-
terdam.Dans cette vue,il forma une Société
compofée de MM. Limborch, Leclerc, ÔC
quelques autresSavans.Cette nouvelle parvint
à fes amis, qui en furent affligés. L ’un
d’eux ( M. Guill. Penn) employa fon crédit
auprès du R o i , pour obtenir le pardon de
L oke ;& il eût été exaucé, fi celui- ci n’eût
répondu à la lettre que cet ami lui écrivit
à ce fujet, qu’il n’avoit pas befoin de pardon,
puifqu’il n’avoit commis aucun crime.
L e Roi fut fans doute informé de cette réponfe
; car il le fit demander comme un
mauvais Sujet aux Etats Généraux, par
fon Envoyé à la H aye, avec quatre-vingt-
quatre perfonnes , qui mécontentes du
Gouvernement,s’étoient attachées auDuc
de Monmouth, lequel avoit formé une en-
treprife contre fa Patrie auflï téméraire que
mal concertée. Notre Philolophe pafla
ainfi pour un des adjoints au Duc de Monmouth.
C ’étoit une injuftice bien grande
qu’on lui faifoit. Non-feulement il n’avoit
aucune liaifon avec ce Duc : il en faifoit
encore peu de cas. Afin de détruire ce
foupçon , il quitta Amfterdam où étoit
M. de Monmouth,ôc le réfugia à Utrecht. A
la recommandation de M. Limborch ôc de
M. Guenelon, chez lequel il logeoit, il fut
très-bien reçu dans cette V ille de M. Veeny
qui n’oublia rien pour lui rendre fervice,
& qui obtint même des Magiftrats qu’ils
le feroient avertir, i i le Roi continuoit à le
demander. Cela tranquillifaLoKE. Cependant
quelqu’un lui ayant perfuadé qu’il fe-
roit plus en fureté à C léves, il s’y rendit, &
s’y tint caché. Enfin en i6 8 p il obtint la
permifiîon de retourner chez lui, ôç repartit