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S P I N O S A. *
J’A i dit au commencement de cet
Ouvrage, que la Métaphyfique n’eft
pas une Science limple, de même que la
Géométrie ou l’Aftronomie ; qu’on ne
voit point dans fon Hiftoire les travaux
des Métaphyficiens enchaînés en quelque
Ibrte les uns aux autres ; 8c qu’on n’y ap-
perçoit nullement les progrès qu’on y a
faits à mefure qu’on l’a plus étudiée. Comme
elle a pour objet tout l’Univers moral
ou intellectuel, chaque’Métaphyficien a
été en droit de s’attacher à la partie de cet
Univers qui l’a affeCté davantage, ou à
laquelle il étoit plus propre, fans être tenu
de s’aftujettir à un ordre particulier. Voilà
pourquoi il n’y a point de liaifon intime
entre les découvertes ou'les fÿftêmes mé-
taphyfiques. Je viens d’expofer l’anatomie
entière de l’Efprit humain ; & il va être
queftion de la nature de Dieu 8c de celle
des Etres, quoique tout ce qu’on a publié
jufqu’ici fur l’Homme n’ait point épuifé la
matière, comme on le verra dans la fuite.
Mais telle eft la marche des Métaphyficiens
que leur génie leur a fait faire, 8c que
je dois par conféquent fuivre. Que le Lecteur
foit donc prévenu que la fcene actuelle
de cette Hiftoire a changé, 8c que
la vie du Philofophe qui doit nous occuper
, 8c fes découvertes, forment un des
plus hardis , je dirois prefque des plus
téméraires tableaux qui ayent paru.
Ce Philofophe eft B e n o ît S pinosa , né à
Amfterdam au mois de Novembre de l’année
1632 , de parens Juifs Portugais. On le
nomma B a r u c h e , lorfqu’on le circoncit ; 8c
il changea lui-même ce nom dans la fuite
en celui de B e n o ît . S pinosa montra
dès fon enfance beaucoup d’ardeur pour
l’étude. Il apprit d’abord l’Hébreu , fui-
vant l’ufage des Juifs. Les Rabins qui
l’inftruifoient, s’attachèrent davantage à
lui enfeigner cette Langue par mémoire,
qu’à la lui montrer par principes. Cette
inftruCtion de pure routine donnoit fans
ceffe lieu à des objections de la part du
jeune Ecolier, qu’on réfolvoit d’une manière
plus propre à augmenter fes doutes
qu’à les éclaircir. Il avoit 1 y ans, lorfqu’il
comprit que l’autorité de fes Maîtres n’é-
toit pas des raifons, & qu’il falloit fe
fervir de fes propres lumières, 's’il vouloit
apprendre comme ilfautlaLangueHébraï-
que. Dans cette vue, il fe livra à l’étude de
l’Ecriture Sainte & de la collection du
droit des Juifs, que ces Peuples appellent
T a lm u d . Il y fit tant de progrès, qu’il acquit
l’eftime d’un Juif très-confideré par
fon fa voir, nommé N L o rte ira . Il ne difbit
pas cependant tout ce qu’il penfoit fur le
Judaïfme : mais ayant eu une converfa-
tion avec deux amis fur la nature de Dieu,
fur celle des Anges , fur l’Ame , 8c c . il
leur fit part de fes doutes. Ce fut là une
imprudence ; car il devint dès-lors fuf-
pe& de pyrrhonifme, & on foupçonna même
fa Religion. Pour s’en mieux éclaircir,
on l’émanda devant les Juges, pour faire fa
profeffion de foi, 8c pour répondre à l’accu-
fation d’avoir méprifé la Religion de fa
Patrie. Il nia cette accufation. On lui répondit
, en produifant les faux amis à qui
il avoit communiqué fes fentimens, lesquels
foutinrent qu’il avoit dit des blaf-
phêmes fur la Religion 8c la foi des Juifs :
ce qui excita une indignation fi univerfel-
le , quon cria tout haut anathème fur
S p in o s a . Cette affaire fit grand bruit ;
& M o r t e i r a qui aimoit notre Philofophe,
voulut en prévenir les fuites. Il tâcha d’obtenir
de lui un défaveu de fes fentimens :
à quoi il ne putréuffir. Quoique jeune,
* Vie de Spinofa par J . Colems , féconde Edition. Spinofa. Jac. Brukeri, Hijïoria critita, FhilofophU. TOJU.
Eloge de Spinofa par Lucas, dans les Nouvelles Littéraires IV, pars altéra. Et fes O images,
de Dufauxet ) pag. 40. DiHiçnnaire de M*jle , ait.