XÎV D I S C
plus grands Orateurs de ce fié-
cle (a) ,-.) il regarde ces vertus romaines
, qui ne veulent rien devoir
qu’à la probité, à l’honneur &
aux fervices , comme des vertus
de roman êt de théâtre , êt croit
que l’élévation des fentimens pou-
voit faire autrefois les héros de la
gloire, mais que e’eft la balfefTe &
l ’aviliffement qui font aujourd’hui
ceux de la fortune. » Le crime qui
» l’éleve eft pour lui ( l’orgueilleux
•> ou l’ambitieux |1 une vertu qui
.> l’annoblit. Ami infidèle , l’amitié
» n’ell plus rien pour lui, dès quelle
» intéreflfe fa fortune : mauvais ci-
» toyen , la vérité ne lui paroît ef-
» timable qu’autant quelle lui eft
» utile : le mérite qui entre en con-
» currence avec lui, eft un ennemi
» auquel il ne pardonne point : l’in-
» térêt public cède toujours à fon
» intérêt propre : il éloigne des fu-
» jets capables , & fe fubftitue à
»• leur place : il facrifie à fes jalou-
»> fies le falut de l’Etat ; & il ver-
» roit avec moins de regret les af-
» faires publiques périr entre fes
■> mains, que fauvées par les foins
» êt les lumières d’un autre, (b) »
On fent la fuite de ce défordre :
mais ceux qui pourroient y apporter
du remede , le tiennent ordinairement
pour chimérique. Ils regardent
toutes ces vérités comme de
belles paroles , qui ne méritent
O U R S
qu’une attention momentanée. Ils
ne s’occupent que de pourvoir à la
fubfiftance de l’homme ; êt ils n’appellent
utiles que les fciences qui
ont cette fubfiftance pour objet.
Quant à l’art de le rendre fage êt
vertueux, il leur paroît abfolument
fuperflu. De forte que l’Etre rai-
fonnable , qui fait parade de fon
efprit & de fes lumières , ne parle
plus que de ce corps matériel, qui
l’identifie avec les plus vils animaux.
Richeffes êt population, voilà
l’objet de fes voeux. Cependant
qu’importe à l’humanité que la
terre foit moins peuplée quelle ne
l’eft, pourvu que les mortels qui
relieront foient plus parfaits, c’eft-
à-dire, ayent plus d’élévation dans
le génie , plus de vertus dans le
coeur, plus de fenfibilité dans les
organes ? Le grand malheur, quand
on comptera dans le monde un
tiers de moins d’hommes qu’on n’en
compte aujourd’hui ! L ’elfentiel eft
que ceux qui exiftent, s'unifient, fe
chérififent réciproquement, & concourent
tous à leur fouverain bien.
Nous ne fommes pas nés pour ne
fonger qu'à notre nourriture ; mais
pour acquérir des perfections, qui
npus mettent en état de nous rapprocher
de l’Etre fuprême, à qui
nous devons tout ce que nous fqm-.
mes, êt dont la connoiflance peut
feule faire notre véritable félicité.
(a) L e P . Majîllon. V . dans le petit Carême le Sermon fur la tentation des Grands.
( b ) Vbi fuprà.
P R E L I M I N A I R E - xv
À l’égard de notre entretien, c’eft
l’ambition êt l’avarice qui caufent
la mifere & la pauvreté ; car quand
on vivra Amplement & qu’on fe
contentera du nécelfaire, on verra
par-tout l’abondance & la paix.
C’eft ce dont jugèrent les Egyptiens
êt les Afiatiques, lorfque
les Philofophes leur eurent enfei-
gné la Morale. Avant qu’ils euffent
paru, on n'étoit occupé que de l’agriculture
&du commerce, êt cette
unique occupation avoit caufé les
plus grands défordresv Voici ce que
l’Hiftoire nous apprend à ce fujet.
» En Egypte , la fainéantife- avoit
» pris la' place du travail : la fuper-
» ftition celle de la Morale : leluxe
» avoit étouffé la vertu. L ’Afîen’é-
» toit pas moins gâtée- L ’Empire
» des Afifyriens , des Caldéens ou
»des Babyloniens, celui des Me-
des & de tous les moindres Royau-
=*mes qui leur étoient tributaires ,
» ne faifoient paroître que de l’or-
» gueil & de la volupté : les vices
» n’y étoient pas feulement fouf-
» forts ; ils y étoient même adorés : •
» les Rois n’étoient occupés que
» de leur pouvoir defpotique ; &
»•les peuples , qui vivoient dans la
»‘fervitude, n’avoient ni élévation
»pour les fciences , ni goût pour
» autre chofe que pour ce qui pou-
»■ voit flatter leurs fens, & leurpro-
» curer' une funefte félicité dans
» l’oubli de leurs miferes. » (a)
Les Sages parlèrent : on les écouta
; & voila tout-à-coup une réforme
générale dans les moeurs. On
chérit la paix : on fe prêta des fe-
cours mutuels ; & chacun fe regarda
comme frere. Dès-lors il y
eut une parfaite harmonie entre les
Particuliers ôt le Corps de l’Etat.
On ne connut plus de biens & de
maux que ceux de la Patrie. Les
peres nourriflbient les enfans dans
cet efprit ; & les enfans apprenoient
dès le berceau à regarder la Patrie
comme une mere commune, à qui
ils, appartenoient encore plus qu’à
leurs parens. Ce n’étoit plus pour
1 homme riche & puiffant qu’on
avoit de la confidération ou du ref-
pe£l ; mais pour le bon citoyen ,
pour celui qui fe regarde toujours
comme membre de l’E tat, qui fe
gouverne par les loix, dont la probité
êt la juftice règlent toutes les
a étions , êt qui rapporte tout au
bien public, (b) .
Ce ne fut pas feulement en en-
feignant la Morale que les Philofophes
produifirent ce changement,
mais én perfectionnant aufli la Lé -
giflation. Lycurgue, célébré Légif-
lateur de Lacédémone, commença
par blâmer le luxe. Il tâcha d’éloigner
les Lacédémoniens de la volupté
, en leur en faifant perdre la
penfée, êt en leur ôtântles moyens
,(i?) ffifloire des fipt Sages , par M. de (b) Ubi Btorà, 0'. ig i & igX-
JLarrey, fécondé partie, page ^