B A Y L E .
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illujlte. M. Jurieu en fut nommé Profef-
feur de Théologie, & B ayle Profeffeur
de Philofophie <5c d’Hiftoire , avec cinquante
florins de penfion annuelle. Il prononça
fa harangue d’entrée le $ Novembre
, «5c donna fa première leçon le 8.
Quelque temps après fon inftallation,
B a y l e publia fa Lettre fur les Comètes
, fans fe faire connoître ; mais le fuccès
qu’elle eut ne put contenir le Libraire : il le
décela. Cela auroit procuré à notre Phi-
lofophe une douce fatisfaélion, fi elle n eut
été mêlée du chagrin qu’il eut de perdre
Madame Paets. Cette Dame, qui l’efti-
moit lingulierement, lui légua à fa mort
deux mille florins pour acheter des Livres ;
& il a confervé toute fa vie le fouvenir de
fa générofité.
I l eût été à defirer pour le repos de
B a y l e qu’il eût joui tranquillement de
l ’honneur que lui faifoit fa Lettre fur les
Cometes, ou qu’il eut écrit fans attaquer
perfonne. Quelqu’intéreffé qu’il pût être
à le faire , il auroit évité des perfécutions
qui empoifonnèrent le refte de fes jours.
Mais il fe trouvoit maltraité dans un Ouvrage
intitulé 1 ’Hiftoire du Calvinifme, par
M. Maimbourg, où les Réformés de F rance
étoient tancés durement ; & il crut qu’il
devoit réfuter cette Hiftoire. C ’eft auffi ce
qu’il fit par un Ecrit qui n’étoit qu’un badinage
ingénieux, plus triomphant qu’une
réfutation folide.Cette Critique plut beaucoup
, mais on la trouva repréhenfible
pour le fond ; «5c M. Maimbourg en fut fi
irrité , qu’il follicita vivement M. de la
Reynie à la condamner. N ’ayant pu réuffir,
il s’adreffa au R o i , qui lui accorda un
ordre à ce Magiftrat de faire brûler la
Critique de VHiftoire du Calvinifme par la
main du Bourreau, <5c d’en défendre la publication
, fous des peines très-févères. M.
de la Reynie ob éit, quoiqu’avec d’autant
plus de regret, qu’il avoit lu cette Critique
avec plaifir. I l laiffa la liberté à M.
Maimbourg de mettre dans la Sentence
ce qu’il jugeroit à propos ; <5c celui - ci
aveuglé par fapaffion, y employa le flyle
d’un Auteur irrité. I l peignoit fa colère fi
vivement , qu’on ne pouvoit le mécon-
noître. Pour répandre davantage le ridicule
qu’il fe donnoit ainfï, M. delà Reynie
fit imprimer plus de trois mille exemplaires
de cette Sentence, ôc ordonna qu’on
l ’affichât partout Paris : ce qui excita tellement
la curiofité du Public, que la première
Edition de cette Critique fut enlevée
dans peu de jours, ôc qu’il fallut pour
la fatisfaire en publier une fécondé, laquelle
parut bientôt augmentée de moitié'*
On ignoroit cependant le nom de fon A u teur
, ôc on l’attribuoit fauffement à M.
Claude. Ce ne fut que par hafard qu’on
découvrit que c’étoit B a y l e . En répondant
à une lettre qu’on lui avoir écrite fur
cet Ouvrage , il avoir oublié de retirer
fon manufcrit, ôc fon écriture le démaf-
qua. M. Jurieu fit auffi une Critique de
l’Hiftoire de M. Maimbourg , qu’on mé-
prifa autant qu’on avoit loué l ’autre. L ’amour
propre de ce Profeffeur en fut cruellement
bleffé. Il regarda dès-lors notre
Philofophe comme fon concurrent, ôc il
ne put lui pardonner d’avoir plus d’efprit
que lui. De -là naquirent une jaloufie <5Z
une haine qui n’ont que trop éclaté depuis.
Sur la fin de 1682 , on follicita fortement
B A Y l e de fe marier. On lui pro-
pofoit une Demoifelle jeune , jo lie , de
très-bon fens, maîtrefTe de fes volontés,
ôc qui avoit au moins quinze mille écus de
dot : mais quelqu’avantageux que fût ce
parti, il le refufa. Les foins <5c les embarras
d’une famille ne conviennent p oint,
difoit-il, à un Philofophe , qui fait con-
fifter fon bonheur dans l’étude «5c dans la
méditation. .
I l publia en 1 683 une nouvelle E d ition
de fes Penfées diverfes fur les Cometes.
Et il mit au jour l’année iuivante un Recueil
de quelques Pièces■ eurieufes fur la Philofopkie
de M. Defcartes , précédé d’une Préface ,
dans laquelle il fait l ’hifloire de ces Pièces.
A u milieu de fes occupations, il avoit
formé le projet de faire imprimer en H ollande
un Journal femblable au Journal
des Savans. I l étoit furpris que dans
un endroit où l’on avoit une fi grande
liberté d’imprimer, ôc dans lequel il y
avoit tant de Gens de L e ttres , on ne fe
fût pas avifé de compofer un Journal. Il
B A Y L E.
fut tenté plufieùrs fois de le faire : mais
confidérant qu’ un pareil ouvrage deman-
doit beaucoup de temps ôc d’application,
il s’en abftint. Cependant un Chirurgien
ayant publié une efpèce de Journal très-
mal-fait , cette entreprife réveilla fon proj
jet. I l en parla àM .Jurieu, quilepreiïà
fortement de le mettre à exécution, parce
qu’il étoit bien-aife d’avoir une plume
affurée qui fît l’éloge de fes Ouvrages.
Ses raifons le déterminèrent. I l publia
fon Journal fous le titre de Nouvelles de la
République des Lettres, le 2 Mars 1684.
Cette nouvelle produftion fut reçue comme
elle méritoit de l’être , c’eft-à-dire
avec un applaudiflèment univerfel. C ’efl
en effet un des meilleurs Journaux qui ait
paru. B ayle fait renfermer dans de courts
extraits l’idée la plus précife d’un L iv r e ,
fans y rien mettre d’ennuyeux. Les matières
les plus abftraites y font égayées
par des traits v if s , piquans , ingénieux.
Audi ces Nouvelles lui procurèrent-elles
toutes fortes de fatisfaétions , qui ne furent
troublées que par une petite aventure.
Notre Philofophe inféra dans fon Journal
une lettre entière de Chriftine, Reine
de Suède, contre la conduite de la France
envers les Huguenots, après la révocation
de l’Edit de Nantes. E t il y joignit
des réflexions qui déplurent à la R eine,
fur-tout celle-ci : Cette lettre efl un rejte
de Proteflantifme. L a colère de Chriftine
éclata d’abord par une lettre très-vive ,
pleine de hauteur Ôc de menaces , qu’écrivit
à B a y l e un Officier de la Reine.
Pour fe difculper , notre Philofophe publia
des Réflexions apologétiques ; mais
elles ne calmèrent pas l’efprit irrité de
Chriftine. Une fécondé lettre part auffi
vive ôc auffi menaçante que la première.
B a Y L e y répondit par une lettre
également fpirituelle & refpeéhieufe ,
adreffée à la Reine même. I l fe juftifîa fi
bien, que Sa Majeffé lui fit une réponfe
tres-obligeante. Elle l’engagea en même
temps à publier que Chriftine renonça à la
Religion de fa naïJJ'ance, dès qu’elle eut l’âge
de rai fon. E t comme les mots refte de.Proteftantifme
la choquoient toujours, elle
■ ■ 7 7 exigea auffi une rétractation de la part de
B a y l e a x e t égard. Enfin elle lui im-
pofà pour penitence de lui envoyer déformais
tout ce qu’il y auroit de nouveau en
France, ôc fur-tout fbn Journal»
Enfaifant l ’analyfe des L ivre s , notre
Journalifte fe trouva engagé dans une dif-
pute avec M. Arnaud, à l ’occafion d’un
Ouvrage que ce DoCteur publia contre ce
fentiment du P.Malebranche : Que tout plai-
j ï t efl un bien, &* rend usuellement heureux
celui qui ^ le goûte. B a y l e adopta cette
proposition, & Soutint j que tout plaifir rend
heureux celui qui en jouit, pour le temps qu’il
en jouit, & que néanmoins il faut fuir lec
plàifirs qui nous attachent au corps. M. A r naud.
lui répondit par un Ecri t intitulé: Avis
à l’Auteur des Nouvelles, &c. Notre Philofophe
répliqua. E t quoique M. Arnaud
nnt au jour un fécond Ecrit pour répondre
à cette réplique, la difpute fe termina là.-
L e mérite de B a y l e faifoit tant de
bruit dans le inonde favant, que les- Etats
de la Province de Frife jettèrent les y eu *
fur lui pour remplir la Chaire de Profef-
feur de Philofophie dans l’Académie dtf
Francker, avec p o o florins d’ appointe-
mens, ce qui formoit une fomme prefque
deux fois plus coniiderable que celle
qu’il recevoit à Rotterdam. Mais B a y l
e penfoit trop noblement pour pré- llfrer ^on avantage à ce qu’il devoit à
fes Bienfaiteurs. I l remercia donc poliment
les Etats de Frife. I l perdit dans
ce temps-là fon frère , mort au Château
Trompette, où il étoit détenu pourcaufe
de Religion • ôc ion père , qui décéda
peu de mois apres. Cette double perte le
jètta dans la plus grande conllernation.
Accablé de douleur &de trifteife, il chercha
un ioulagement à fon chagrin. Comme
iiattribuoit la mort de fes parens à la manière
dure dont on traitoit en France les
Proteilans, il voulut faire voir que cette'
conduite n’étoit pas conforme à la douceur
de l’Evangile. A cette fin, il compofa
un Ouvrage qui parut ibus ce titre : Commentaire
Philojophique fur ces paroles de S.
lMc:compellemtrare(contra.insled’esitrer.j
L ’Auteur y établit d’abord pour principe
fondamental, que la lumière naturelle ou les