L E I B N I T Z * .
LE s plaifirs de l ’efprit font les plus
purs 8c les plus utiles pour faire durer
la joie ( æ). Cardan, déjà vieillard ,
étoit fi content de fon état, qu’il pro-
lefia avec ferment qu’il ne le change-
roit pas contre celui d’un jeune homme
très-riche , mais ignorant. L e favoir a
en effet des charmes qui ne fauroient être
connus par ceux qui ne les ont pas goûtés.
La connoiffance de la vérité répand
dans l’ame une fatisfadion d’autant plus
exquife, que l’amour-propre y a beaucoup
de part. Quoi de plus agréable que d’être
content de Dieu 8c de l’Univers , de ne
point craindre ce qui nous eft deftiné., 8c
d’éprouver fans fe plaindre les différens
accidens auxquels nous femmes expofés !
On voit tout fans s’émouvoir, lorfqu’on
a des principes qui donnent une connoiffance
de toutes chofes. Les écarts des
hommes en particulier , 8c de la fociété
en général, les phénomènes finguliers de
la Nature, les événemens les plus extraordinaires,
rien n’étonne celui qui fait un
ufage continuel de fa raifon. I l jouit
d’une tranquillité permanente au milieu
des plus grands troubles; & cette douceur
fait fans doute la plus grande félicité
de la vie : Jifraftus illabatur orbis,
impavidum ferient ruinæ.
C ’effainfï que penlbit le contemporain
du grand Newton. Audi mit-il tout en
ufage pour acquçrir cette perfection fi
néceffaire au bonheur de l ’homme. I l
commença d’abord par rechercher quels
dévoient être les attributs de la Divinité.
De cette connoiffance, il pafia à celle
de l’Univers. Dela.fageffe «Scdelabonté
du Créateur , il conclut que le bien &
le mal moral entroient néceffairement
dans la compofition du meilleur des
mondes. I l apprit par-là à fe foumettre
aux décrets de la Providence, & à voir
d’un oeil fec tous les malheurs qui pou-
voient lui arriver.Délivré de toute crainte,
il ne penfa plus qu’à jouir des plaifirs de
l’efprit, que procure le favoir. Convaincu
que ces plaifirs confiftent en des découvertes
de chofes cachées, dont la con-
noifiance intérefTe, 8c qu’on éprouve dans
cette efpéce de viétoire fur les fecrets de
la Nature , unfentiment très-vif de contentement
& de fatisfaébion , il fe livra
fans réferve à toute étude qui pouvoir
le mettre en état de l’éprouver fouvent.
Son efprit s’éleva dans fes méditations.
I l embraffa également les vérités abstraites
8c les vérités fenfibles, & devine
ainfi le conquérant du monde moral &
phyfique. L ’Univers admira fes conquêtes.
Mais l’envie qui naît prefque toujours
du fein de la gloire , flétriffant par
fon fiel les lauriers dont on le cou-
ronnoit, mêla quelque amertume aux
douceurs de fa vie. Quoique le Philo-
fophe fût homme, il vit fans aigreur ces
injuftices. Les études qu’il avoit faites
dès fa première jeunefie & l’exemple de
fes parens le rendoient prefque invulnérable.
Son frere , Frédéric Leibnit%, Pro-
feffeur de Morale, 8c Greffier de l ’Uni-
verfité de Leipfick, lui avo.it laifle une
Bibliothèque confidérable de Livres bien
choifis , qu’il avoit lus avec ordre ; 8c
fon grand oncle, nommé Paul Leibnit%,
ennobli en 1600 pour fes fervices militaires
par l’Empereur Biodolphe 11, lui
avoit en quelque forte tranfmis une no-
bleiïe d’ame, qui le mettoit fort au-def-
fus de l’envie. I l faut conyenir auflî que
Hißoire du renouvellement de l 'Académie Royale des
Sciences, Eloge de Leibnitz.. A ß a eruditorum 1717. Journal
des Savant , 1717. Europe favante , 1718. La Vie de
M. Leibnitz., par M. le Chevalier de Jaucollrt. Jacobi
fy n lg r i, Hifioria criticn PhilofophU, Toçic IV, Pars
altéra. Diflionnairc hijlorique & critiqt e de M. Chanffc-
pié, art. L e ib n it z . Ses Lettres , & les autres Ouvrages.
{ 0 ) Ejfais de Tbéodic/e, Tome I I , page 21$.