de fuite les progrès fenfibles de ces
Sciences; les fentimens de chaque
Mé taphyficien , Phyficien, Natü-
ralifte , &c. leurs difputes , leurs
diverfes penfées fur les mêmes objets
, leurs découvertes réciproques
; & ce concours de lumières
répand une clarté viye fur les matières
les plus abftraites. On ne
quitte point un fujet quon ne l’ait
épuifé. L ’efprit ell occupé fans interruption
de la même chofe. Il
s’en nourrit toujours plus à mefure
qu’on avance dans la leéture. Rien
n’interrompt la chaîne de fes idées.
Il la fent s’étendre cette chaîne
d’une manière d’autant plus agréable
, que fes progrès font moins
fenfibles ; & les connoiffances qu’il
acquiert ainfi , ne peuvent qu’être
pleines & complettes.
U y a encore ici un avantage
effentiel : c’eft qu’une perfonne qui
-ne veut favoir que la Métaphyfi-
que & fom Hiftoire, n’eft pas obligé
de lire plufieurs volumes, & de
faire une acquifition confidérable.
Elle a dans un Livre raifonnable
tout ce qu’elle fouhaite. Les Géomètres
, les Phyficiens ,- les Aftro-
nomes , &c. fatisfont de même
leur goût avec une égale facilité
d’attention & une pareille économie
; parce que l’Hiftoire d’une
clalfe de Philofophes ell auffi parfaite
que l’Ecrivain a pu la faire ,
& que cette Hilloire n’a aucun
rapport direft avec celle d’une
autre clalfe. C’ell enfin la fomme
de ces Hiltoires particulières qui
forme l’Hiltoire générale des Philofophes.
Ces raifons ne m’ont pas permis
de balancer fur le choix que j’avois
a faire de ces deux méthodes qu’on
peut fuivre en écrivant l’Hiftoire
des Philofophes. Celle de les ranger
par elalfes ne m’a pas paru feulement
la meilleure, mais la feule
à laquelle je devois me conformer.
Je viens d’expofer l’ordre de la distribution
de ces elalfes d’après
les principes de nos connoiffances,
& c’eft celui auquel je me fuis af-
fujetti. Si le Public fait accueil à
mon entreprife , lorfque ce Volume
aura paru, je mettrai au jour
les Moraliftes & lesLégillateurs, *
& je fuivrai pour la fuite de l’Ouvrage
le fyftême figuré que je donne
à la fin de Cette Préface.
Au relie il ne s’agit ici que des
Philofophes modernes, c’eft-à-dire
de ceux qui ont fleuri depuis la
renaiffance des Lettres > & qui forment
jufqu’à nos jours le quatrième
âge de la Philofophie, dont
il convient de fixer l’époque.
On divife la Philofophie en quatre
âges. Le premier comprend
I * Voici les noms des Philofoghés qui
doivent entrer dans cette claffè : Montagne
> Charron, la Bruyere, la Rochefoucault,
J^uguet, IV'Aajlon, Milord Schaftsburï,
Bolinbrobe, Grotius, Pujfendorf, &c. C e
-Volume fera précédé comme celui-ci
d’un Difcours. fur la Morale ; & il en fera
de même des autres Volumes.
tout ce qui s’eft paffé depuis le
Déluge jufqu’au temps que les
Grecs allèrent en Egypte pour y
puifer le goût des Sciences. On ne
connoît guères les Philofophes de
ces temps. Seulement on fait qu’il
y avoit des hommes en Egypte ,
en Lybie, en Perfe, dans 1 Affyrie
& dans les Indes , qui s’étudioient
à refferrer de plus en plus les
noeuds de la Société , & qui par
leurs moeurs autant que par leurs
lumières, jouiffoient des plus grandes
diftinftions. Le fécond âge eft
mieux connu, ôt c eft fans contredit
celui où la raifon a été le plus
refpeâée. On . doit aux Philofophes
Grecs non-feulement des découvertes
importantes, mais encore
l’exemple des plus grandes vertus.
Auffi étaient-ils fi eftimés, que
ce qui émanoit de leur Tribunal
étoit redoutable aux Souverains
même, ôt aux Généraux d Armée ,
qui fe faifoient un devoir de s y
foumettre. Les Sages de la Grèce
difoient les plus fortes vérités à
Périandre , Roi de Corinthe. Ils lui
repréfentoient fes devoirs ; le repre-
noient de fes vices ; le foulageoient
dans la pénible fonction de gouverner
les hommes ; & Périandre étoit
tout glorieux de fuivre leurs corn
feils. Eh ! de qui les Rois peuvent-
ils en attendre de bons, fi ce n’eft
de ceux qui s’occupent fans ceffe
de la recherche de la vérité ; qui
connoiffent les fources de nos erreurs
&. de nos foibleffes, la caufe
de nos illufions & Je nos préjugés ;
qui s’étudient à ne marcher jamais
qu’avec le flambeau de la raifon 5
& qui plus foigneux d’éclairer leur
efprit que de fatisfaire aux befoins
du corps ,.ont contraêlé Une forte
d’habitude de ne juger des chofes
qu après l’examen le plus rigoureux
& les connoiffances les plus étendues
?
Cette haute confidéràtion à laquelle
les Philofophes étoîent parvenus,
fut nuifible àla Philofophie.
Perfuadé qu’on ne poüvoit rien
ajouter à ce qu’ils avoient publié >
on ne s’occupa plus qu’à les- corn-1
menter. On crut même ne devoir
penfer que d’après eux. On fe para
de leur efprit ; on négligea de cultiver
le fien propre, ôc de lui donner
l’effor. De-là naquirent la pu-
fillanimité & le découragement.
Les . forces de l’efprit humain dépérirent
ainfi infenfiblement , pour
n’être pas exercées. L ’imagination
s’affaiffa , ôc elle perdit jufqu’à la.
faculté d’exprimer ce que le jugement
lui fuggeroit. Dès-lors on der
vint inintelligible , & cette obfcu-
rité fut un tombeau pour le bon
fens.
■ Touslesexcèsontleurterme. On
étoit trop ftupide pour qu’on pût le
devenir davantage. C’étoit véritablement
le temps du triomphe de la
barbarie fit de la déraifon. Les plus
clairvoyans s’en apperçurentôt voulurent
fecouer le joug de cette ef-
pèce d’efclavage. Ils donnèrent le