m S H A F T E
Jiécle fpirituel & éclairé ; & cependant ils
ne veulent pas qu’on emploie de remede
propre à guérir le m al............ Ils ont détruit
toute moralité , tout fondement de
l’honnête, défiguré toute la doctrine de
notre Sauveur , fous prétexte de révéler le
prix de fa révélation. En philofophie, ils
abandonnent tout ce qu’ il y a de fondamental
, tous principes de fociété , & les
meilleurs argumens , pour établir Vexifience
d’un Dieu ; cette brochure qui les choque
tant ( la lettre fur l’Enthoulïafme ) efiji
forte fur cet article , que l’Auteur établit
Vexifience de Dieu fur Vidée même d’une
Divinité, fur le pouvoir qu’elle a avec les
Athées même , & par l’aveu TEpicure &
de fa fefte. (a)
M. Leibnitz fit auffï des remarques
fur cette lettre ; & il s’attacha principalement
à ces deux propofitions : Il faut
faire tous nos efforts pour avoir la foi &*
croire fans exception tout ce qu’on nous en-
feigne , parce que s’ il ' n’efi rien de ce que
nous croyons , il ne nous arrivera aucun
mal de nous être ainfi trompés : mais f i ce
qu’on nous enfeigne efi effeËivement comme
on nous le dit, nous courons grand rifque ,
& nous avons tout à appréhender fe notre
manque de foi. L e fond de ce raifonne-
ment efi de M. Pafcal. (b) M. Leibnitz ,
qui ne l ’ignoroit pas fans doute , lui re-
fufe cependant fon approbation. I l prétend
» que la maxime n’eft pas bien con-
» ç u e , & qu’il ne s’agit pas tant de la foi
» que de la pratique. »
Voici la fécondé propofition : Rien que
ce qui eft moralement excellent, ne peut
avoir lieu dans la Divinité: donc Dieu fur-
paffe tous les hommes en bonté. Cela étant,
il ne nous doit plus refer aucune frayeur
ni aucun doute qui puiffe nous inquiéter,
puifque nous n’avons rien à craindre de ce
qui efi B O N , mais uniquement de ce qui efi
méchant. M. Leibnit^ obferve là-deffus
» qu’il y a des peines, qui fervent à cor-
» riger ou ceux qui pèchent, ou au moins
5 BU R Y.
» quelques autres ; 8c dans toutes ces pei-
» nés ou dans tous ces maux infligés au
» péché , il n’y a rien de contraire à la
»bonté de Dieu : au contraire c’eft la
» bonté ou la fageffe, qui les demandent
» pour un plus grand bien, (c) »
On peut répondre encore que fi Dieu
eft infiniment bon, il eft aufîi infiniment
jufte ; 8c que cette juftice demande qu’il
châtie les méchans, & qu’il récompenfe les
hommes vertueux. Cette propofition ,
ainfi que plufieurs autres, qui font dans
la lettre fur l ’Enthoufiafine , n’eft point
du tout orthodoxe. I l faut pourtant tenir
compte à S h a f t e s ï u r y de la
pureté de Tes intentions. Avant que de
faire imprimer cette lettre, il l’envoya
au Lord Sommersf Préfident du C on fe il,
6 il ne la publia que fur fon approbation ,
8c fur celle de plufieurs Seigneurs que ce
Lord avoit confultés.
Toutes ces critiques firent bien quelque
impreflîon fur notre Philofophe, mais
elle ne le dégoûtèrent point d’écrire.
Quand on eft véritablement homme de
Lettres , on ne quitte pas aifément la
plume. L ’elprit, qui eft toujours plein
de chofes, eft fouvent furchargé ; 8c ce
n’eft qu’en dépofant fes productions fur
le papier , qu’on peut le foulager. T e l
étoit celui du Comte de Shaftesbury.
I l ne cefloit d’avoir des idées nouvelles
fur la morale dont il étoit nourri. Elles
formèrent enfin un petit O uvrage, qu’il
mit au jour en 1705?, fous ce titre : Les
Moraliftes , rapfodie philofophique, contenant
le récit de quelques entretiens 3 fur des
fujets naturels moraux. C ’eft un dialogue
entre un Pyrrhonien 8c un Enthou-
fiafte raifonnable. L e but de l’Auteur eft'
de convertir le Pyrrhonien. I l déployé à
cet effet une logique très-fubtile, énoncée
en ftyle poétique, à peu près comme
celui de Telemaque. (d) E t après avoir
établi qu’il y a un Dieu qui gouverne le
monde, 8c qui eft la caufe de tout l’or-;
(a) Several Letters , pag. 36.
■ (b) r .n f a d ' f . f i . L
' (c) Recueil de diverfes pieces fur la Philofophie , la Reli-
jion naturelle , l’Hifloire , les Mathémat icjues, 8tc. par
MM. Leibnitz., Clarine, Newton, (me. Tom. II> pag.
2$ 3 & fuiy.
(d) M. Leclerc dit même que ce ftyle eft » d’un
» Anglois , ii pur & li e'nergique, que la Langue
33 Françoife ne fait que languir en coniparaifon. »
Bibliothèque choifie , Tpm. XIX. pag. 43 2,
S H A F T E S B U R Y .
dre qu’on y voit f i l parle de l’excellence
de la1 nature divine , de la beauté de l’U nivers
, 8c de la beauté en général.
Pendant que notre Philofophe étoit
abforbé dans fes études fur la Morale,
on lui parla de mariage. Il étoit fans doute
bien éloigné de penfer à contracter un engagement
; mais il y a apparence que des
raifons de famille l ’obligerent de condef-
• cendre à la propofition qu’on lui fit : ce
fut d’époufer Mademoifelle Jeanne Eurer,
"fille puînée de Thomas Eirer fon parent.
C e mariage ne forma pas un événement
dans la vie de notre Philofophe. I l reprit
fa maniéré ordinaire de vivre avec tant
de facilité, qu’il publia la même année de
Tes noces un Ouvrage intitulé : Senfus
commuais , ou Effai fur l’ufage de la rail-
lerie & de l’enjoument. Shaftesbury
n’étoit pas naturellement railleur ; mais il
penfoit que la raillerie étoit très-utile dans
le commerce de la vie. Elle fe r t, dit-il
dans fon Effai.,contre la raillerie même,
quand elle eft fauffe 8c mal appliquée, 8c
contre l’impofture, qui fe couvre d’un air
-grave 8c impofant. On entend ici la raillerie
permife, 8c non la baffe plaifante-
rie. Prendre, par exemple, un ton myfté-
rieux 8c réfervé, confondre les gens 8c
tirer avantage de l’embarras où on les
jette par ce langage douteux & incertain,
ou y prendre plaifir, voilà une fauffe ou
une mauvaife raillerie. L a véritable co.n-
fifte à tempérer la plaifanterie, cette difi-
pofition naturelle que nous avons à rire,
de maniéré qu elle ferve de remede contre
le v ice , 8c de fpécifique contre la fuper-
ftitio.n 8c les illufîons d’un efprit mélancolique.
I l y a une grande différence entre
chercher à s’exciter à rire de tou t, &
entre chercher dans chaque chofe ce qui
mérite qu’on en rie. On ne fauroit affuré-
ment trop honorer & refpeéter une choie
en tant que grave , fi on eft affuré qu’elle
l ’eft réellement de la maniéré dont on la
conçoit. L e grand, point eft de diftinguer
i i 3
toujours la vraie gravité .de la fauffe, &
de découvrir ce qui eft véritablement fé-
rieux ôc ridicule, en examinant la' nature
des chofes. O r rien n’eft plus propre pour
faire cet examen , que l’ufage de la raillerie
, qui démafque merveilleufement la
fauffe gravité & la vertu fîmulée.
• I l reftoit au Comte de S h a ft e s eu k y
une autre matière à traiter . pour compléter
en quelque forte cet Ouvrage &
le rendre plus utile: c’é toit, après avoir
éclairé l’efprit pour.'connaître les v ic e s ,
de réformer le coeur, en corrigeant les
opinions, qui font le principe de nos actions.
I l fallait donc apprendre à l’homme
à converfer avec lui-même & à s ’e--
xaminer, je veux dire, à tourner les-yeu*
fur fon: intérieur , & reconnoître & démêler
au-dedans de lui-même l’ordre' &
■ le défordre, l’économie & la confufion
de fes pallions, de fes délire , de fes imaginations
& de fes fentimens, afin qu’il
fut qui il eft, ce qu’il e ft, d’où il a tiré
fon exiftence , quelle eft fa fin,1 à quel
•genre de vie fa propre nature & fa conf-
titution le deftinent. Car :à.i proportion
que nous avons plus ou moins de cette
•connoiffance de nous-mêmes i nous fom-
mes plus ou moins véritablement hommes
; & on peut compter plus ou moins
fur nous par rapport à l’amitié dans la-
fociété & dans> le commerce de la vie.
T e lle eft la tâche que s’impofa & que
remplit notre Philofophe. L e fruit de fes-
veilles parut en 1 7 1 0 , fous le titre de:
Soliloque ou Avis d’un Auteur.
Cet Ouvrage n’étoit . pas exempt de
reproches. On le lui dit ; les ré--
flexions qui naquirent de-là, jointes à lès
profondes & continuelles- méditations y
cauferent un fi grand dommage à-fen foi-
ble tempérament, que fa fàntéfe trouva-
très-affoiblie l’année fuivante. Son épui-
fement étoit t e l , que ni le meilleur régime
, ni le plus grand repos, nlétoient
pas capables, félon ies Médecins, de le-
(à) Plufieurs Savans ont-écrit contre S h a f -t e s-
8-u r y . MM. Jean Balguy , ( Lettre à un ^Déifie fur
l’excellence & la beauté de la vertu morale , ) Mosheim ,
CSÿntoÿna Dijfert. ad fanftiorcs difeiplinas pertinenttim,.)
Smith < ( The cure of Deifin , &c; ) Brown , ( EJfays>
on the caraEleriflickS', ),.& Warburton, ( Dédicace-au*-
Vcißes. ) .