devenoït chagrine & cauftique dès qu’on
le prefloit, & il renvoyoit alors à Tes ouvrages.
Quoiqu’il n’eût pas beaucoup de
liv r e s vers la fin de fçs jours j il lifoit
fort peu ceux qu’il pofTédoit , perfuadé
qu’il ne devoit plus s’occuper qu’à digérer
ce qu’il avoit appris. En général il
avoit"plus médité que lu. I l difoitmême
que s’il avoit donné à la leéture autant de
•temps que les autres Hommes de Lettres,
il feroit aulïï ignorant que la plupart le
fon t; parce qu’en lifant beaucoup de L i vres
, on ne fait que fe répéter , plufieurs
Livres n’étant que des extraits & des copies
des autres.
I l n’aima pas les courtifans , mais il
s’étoit toujours ménagé un ami ou deux à
la C our; parce q ue , difoit-il, il ejlpermis
de fe fervir de mauvais inflrumens pour fe
faire du bien. Si Von me jettoit, ajoutoit-il,
dans quelque puits profond , & que le diable
me préfentâtfon piedfourchu,je lefaijiroïs pour
enfortirpar umoym. I l chérifloit fa Patrie,
& étoit fidSe à fon Roi. Franc, c iv il,
communicatif de ce qu’il favoit, bon ami,
bon parent , charitable envers les pauvres,
grand obfervateur de l ’équité, il ne fe fou-
cioit nullement d’amafTer du bien. C ’étoit
l ’intégrité & la probité même. C ’eft une
juftice que fes ennemis même lui ont rendue.
On lui a feulement reproché d’avoir
aimé un peu dans fa jeunefle le vin & les
femmes, & d’avoir eu la foiblefle de craindre
les fantômes. Ses amis ont toujours
traité cette dernière imputation de fable.
C e qui a pu y donner lieu , c’efl la peur
qu’il eut après la publication du Bill du
Parlement contre l’Athéifme, & dont j’ai
parlé à la fin de fa vie.
Mais l ’accufation la plus g ra v e , & fans
doute la plus importante qu’on a formée
contre lu i , eft qu’il étoit Athée. I l doit
le fondement de cette odieufe réputation
à fon Traité de Cive. Cependant Gajfendi
confeille la lefture de cet ouvrage à tous
ceux qui veulent approfondir la Politique.
E t Puffendorf avoue qu’il eft beaucoup
redevable à H o b b e s , dont l’hypothèfe
eftingériîeufe & faine, quoiqu’elle
fente un peu l’irréligion. Neque parum de~
bere nos profitemur Thomæ Hobbes , cujus
hypothefis in libro de Cive, Gr f i quid profani
fapiat, tamen caetera fatis arguta £r fana.
( Elementa Jurifprudentice univerfalis in
proemio. ) On va juger de la vérité de ce
fentiment par l’expofition de cette hypo-
thèfe ou de ce fyftême de H o b b e s fut;
la Politique. C ’eft un morceau ou brille
une Métaphyfique également fine & bien
liée. I l a pourtant quelques taches , fi
an le décompofe ; mais c’eft un tout fo-
lide & bien conçu, fi on le confîdère dans
toutes fes parties, & qu’on l ’adopte comme
un pur fyftême qui renferme des préceptes
très-fains & très-utiles. A u refte
les erreurs de H obb e s ont été relevées
par Cumberland , (a) Clark , (b),
& Barbeyrac (c).
Syjlême de H o b b e s fur la Politique ou
les fondemens de la Société.
L ’homme eft naturellement méchant;
il n’aime pas fon femblable, & il n’en recherche
la fociété que pour fon utilité
particulière. Car fi les hommes s’aimoient
comme hommes , tous les mortels nous
feroient également chers, par cela même
qu’ils font hommes : au lieu qu’il y a un
choix dans nos amitiés diété par nos be-
foins. Ainfî l’homme n’eft pas porté naturellement
à la Société, & il n’a acquis
ce penchant que par la réflexion ou l ’éducation.
C ’eft donc la crainte de ne pas
fe fuffire à foi-même qui a formé la première
Société , puifque les afiociés ne s’aiment
point. De cette fource impure font
venues les tirannies & les inégali tés parmi
les hommes, chacun voulant dominer &
exiger des autres pour fes propres befoins,
fuivant fa fupériorité, foit en force de
corps ou d’efprit. Car la nature a fait les.
hommes égaux, & l’inégalité eft l ’ouvrage
de la Société ou de la L o i qui en forme
le lien : nouvelle preuve que les
hommes ne s’aiment pas comme hommes.
|(a) Traité Thilofophique des Loix naturelles.
(b) De l'cxiftenee & des attributs de Dieu > Tome X.
(c) EJfaifur l’Hifîoire du Droit naturel,
Cette tirannîe des plus forts eft telle»
qu’elle eût bientôt défuni les Sociétés, fi
l’on ne fe fût hâté à la contenir : de-là
la L o i naturelle. Les hommes aflemblés
ont dit : tout ce qui n’eft pas contraire à
la droite raifon eft bon ; c ’eft-à-dire tout
ce qui eft néceflàire à la confervation de
chaque individu eft bien ; & tout ce qui
tend à fa deftru&ion eft mal : premier fondement
de la L o i naturelle. I l importait
donc, pour que la Société pût fe former ,
que cette L o i fût obfervée.Or comme chacun
avoit le droit de la reclamer en fa faveur
, il falloit choifir quelqu’un qui pût
décider de la contravention : & c’eft ce
qu’on nomme un Juge. Mais ce Juge n’a-'
voit pas plus de droit de juger un autre ,
que celui-ci en avoit de le juger lui-même,
puifque la nature a formé tous les hommes
égaux : d’où il réfultoit que ce droit ,
parce qu’il étoit commun à tout le monde,
ne devenoit utile à perfonne. Chacun vou-
loit s’arroger la décifion de la contefta-
tion ; & de-là la guerre, qui n’eft autre
chofe que le temps ou les raifonnemens
ne font plus écoutés , comme la paix eft
c e temps où l’ on fe paye de raifons. La
caufe du plus fort étoit toujours la meilleure
■ ; & c’étoit une viciflitude continuelle
de domination & d’efdavage : nouvelle
caufe de la deftru&ion de la Société.
On comprit qu’il falloit mettre un frein
à cette efpèce de brigandage, en faifant la
paix, fi elle étoit poffible, ou en établiflant
une défenfe, pour repoufler les efforts de
ceux qui voudroient la troubler. I l étoit.
néceflàire à cette fin qu’on convînt de fe départir
chacun de fon droit envers un tiers.
Sans cela., chacun aufoit voulu reclamer
ce droit, ôc la conteftation auroit fini par
une guerre. Cette convention ou engagement
réciproque devoit être aufli faite
de bonne fo i, & de manière qu’on pût y
déroger lors d’une contravention mani-
fefte de la part de celui à l’égard duquel on
fe feroit dépouillé. C ’eft ici la fécondé
L o i naturelle. L a violation de cette Loi
eft ce qu’on appelle injure ou injujliee,
comme on nomme jujlice ce qui eft conforme
à la Loi. Ainfi celui-là eft jujk »
qui fait les chofes Conformés à la juftice,
ou juftes pour l ’amour de la L o i même, &
les chofes contraires ou injuftes par ignorance.
E t celui-là eft injujïe, qui fait les
chofes juftes pour fe fouftraire aux peines
de la L o i , & les chofes injuftes par pure
méchanceté.
Latroifiéme Loi naturelle eft d’être re-
connoiffant des fervices qu’on re çoit, afin
qu’on puiffe fe prêter dans le befoin de mutuels
fecours. Car c’eft la quatrième L o i naturelle
, que de s’aider les uns les autres. E t
dans le cas où l ’on a obligé quelqu’u n , la
cinquième L o i naturelle veut qu’on fe
prête aux raifons qu’il peut donner, pour
obtenir un délai ou de reftitution ou de
reconnoiflànce ; c’eft-à-dire qu’on foit mi-
féricordieux envers fon prochain. De -là
fe déduit lafîxiéme L o i naturelle, qui eft
de n’infliger des peines à celui qui a enfin
contrevenu à une convention, que pour
le corriger & le rendre plus attentif à l’a venir.
Il y a de la cruauté à agir autrement.
Comme toutes ces Lobe ont pour
but d’entretenir la S ociété , en entretenant
ou en confervant la paix , la fep-
tiéme L o i doit être de ne haïr & de ne-
méprifer perfonne, afin de ne point exciter
la vengeance dans celui qui eft mépri-
fé : d’où naîtroit néceflairement la guerre.
E t conféquemment la huitième L o i naturelle
eft de ne pas fe croire plus que les’
autres : ce qui fignifie de n’être point vain
ou orgueilleux. L a vanité eft un v ic e ,
comme la qualité contraire qu’on appelle
la modeftie , laquelle confifte à exiger
moins que l’on ne peut , eft une vertu :
qualité fi néceflàire pour le bien de la
p a ix , qu’elle forme la neuvième Loi- naturelle.
Mais comme celui qui auroit cette
v e r tu , pourroit être v e x é , fi on en abu-
f o i t , il eft'important que la juftice foit "
également diftribuée à chacun ; & cet
afte de juftice, nommé équité, eft la dixiéme
Loi naturelle, d’où découle une autre
L o i , qui' eft que , lorfque le partage ne •
peut pas avoir lieu , on compenfe tellement
les avantages réciproques, que perfonne
ne foit léfé par cette compenfation.
E t dans, le cas où les Parties ne s’accorde-
roient pas fur le. choix, la douzième L o i i
C i j