neur. Elle en accordoit même plu-
fieurs à la même perfonne fuivant le
•mérite. Pour reconnoître celui de
Richard Midleton, elle lui en donna,
quatre : favoir, le Docteur folide, le
Douleur abondant & recherché, le
Docteur très-fondé, & le Docteur mis
:à P enchère & au plus haut prix, fans
qu’on fâche les raifons qui ont donné
lieu à toutes ces qualités (a).
Tout cela entretenoit l’ignorance
des Scholaftiques , & forti-
fîoit leurs préjugés ôc leurs travers.
Plulieurs d’entr’eux croyoient
que Schot, qui avoit fi fort combattu
pour le parti des Nominaux ,
étoit une efpèce de divinité. Ils
trouvoient tant de profondeur & de
fubtîlité dans fes écrits, qu’ils fou-
tenoient que neuf années ne fuffi-
foient pas pour entendre ce que ce
Docteur avoit écrit feulement fur
la Préface de Pierre Lombard. D’autres
vouloient que tous les Sa-
vans fulfent par coeur fa Métaphy-
fique (b). On penfe bien que les
Réaliftes n’étoient pas abfolumept
de cèt avis. Mais une queftion importante
qui les occupoit alors, ne
leur permit pas de rompre là-delfus
leurs antagoniftes en vifiere.
Il s’agiflbit de favoir fi les futurs
contingens font vrais ou faux. Un
certain Docteur nommé Pierre Thomas,
avoit avancé fans doute témérairement
qu’ils n’étoient ni vrais
ni faux. Cette propofitîon caufa unfi
conteftation très-vive. On s’atten-
doit à voir les Scholaftiques aux-
prifes comme dans leur derniere difi
pute. Mais une des premières attentions
de Sixte I V , après fon
‘exaltation au fouverain Pontificat ,
fut de décider cette queftion, afin
de prévenir les voies de fait. Il convoqua
à cette fin tous les Prélats &
tous les Théologiens qui étoient à
Rome ; & le fentiment de Pierre
Thomas fut condamné (c).
Ces difputes produifirent cependant
un avantage : ce fut d’exciter
une louable émulation dans les études..
On ne connoiffoit point de
cours de Philofophie auffi complet
que celui d'Ariftote, & on fit les plus
grands efforts de tête pour l’entendre
parfaitement. C’étoit affurément
une très-forte entreprife, ; car la plupart
des traités de ce Philofophe
font incompréhenfibles. Mais ce
qu’on ne put comprendre, on l’adopta
fur la foi de fon Auteur. Par
ce qu’on entendoit, on conçut une
fi grande idée de lui , qu’on le
croyoit infaillible. Son nom feul
décidoit les plus grandes difficulr
tés ; & dès qu’AriJlote l’avoit dit, il
falloit que les propofitions les plus
fauffes en apparence & en réalité ,
fulfent des vérités démontrées. La
prévention & l’aveuglement furent
portés au point de mettre les livres
[a] Jugement des Savons, par M. B aille t,
^Qm. I. pag. 185,
[b] Jac. Brukeri Iiiftor. critica Philof. T. IIL
fcj Rainaldus3 1473. N°
de
de ce Philofophe en parallèle avec
les divines Ecritures. Son opinion
étoit regardée comme la raifon
même, & les Ecoliers dans leurs
exercices académiques, étoient obligés
de faire voir que leurs conclurions
n’étoient pas moins conformes
à fa doctrine qu’à la vérité. Enfin
aucun Philofophe n’avoit jamais été
dans une eftime fi haute & fi uni-
verfelle.
On croyoit donc fermement d’après
lu i, que la matière , la forme
& la privation étoient les principes
de toutes chofes , quoique
ces principes ne fulfent d’aucun
ufage pour expliquer les effets ou
les phénomènes de la nature, Auffi
la raifon qu‘Ariftote donne de ces
effets eft tout-à-fait ridicule. Cherchez,
par exemple, dans fa Phyfi-
que ce que c’eft que la lumière, &
vous trouverez ,> c’eft l ’atte du transparent
en tant que. tranfparent. De-
mandez-lui enfuite ce que c’eft que
la couleur, & vous aurez cette ré-
ponfe : La couleur eft ce qui meut le
corps , qui eft actuellement tranfparent,
La chaleur eft, félon lui, ce qui af-
femble les chofes homogènes ou de même
nature, & qui dijftpe les chofes hétérogènes
ou de diverfe nature. Et la froideur
eft ce qui ajfemble indifféremment
les chofes homogènes <& les chofes hétè-
rogènes. Le fon n’eft, dit-il, autre
chofe que le mouvement ..local de certains
corps,& du milieu qui s'applique
à nos preilles. Lapefanteur des corps
efl un appétit particulier que les corps
ont d'arriver au centre de là terre ; &
les corps ne font légers, que parce
qu’ils ont un appétit tout contraire,
qui eft de s'éloigner du centre de la
terre, &c.
Voilà comment avec des mots
vuides de fens, Ariftote rend raifon
de tout ; & voilà quel étoit la maniéré
de philofopher au commencement
du feiziéme fiécle. Les per-
fonnes éclairées en étoient fcanda-
lifées ; mais aucune d’entr’elles n’é-
toit ni affez hardie, ni affez habile,
pour pouvoir la réformer. Elles fe
contentoient d’en gémir lorfque la
Providence produifit un homme ardent
, doué d’une grande fagaoité ,
qui ofa contredire hautement les
Scholaftiques, & qui voulut les ramener
à la raifon & à l’expérience.
Ce fut Pierre Ramus. Son entreprife
paffa pour téméraire. On le bafoua,
il tint ferme, & la glace fut rompue.
Il eut un grand nombre de
difciples qui abandonnèrent Arif-
tote. Le Chancelier Bacon confirma
par de nouvelles raifons le fentiment
de Ramus. Gajf mdi les fortifia,
& compofa une nouvelle Philofophie.
Les Ariftotéliciens ouPéripa-
téticiens fe roidîrent contre ces attaques
, parce qu’ils ne voyoiènt
point qu’en détruifant les erreurs de
leur Maître, on donnât un cours de
Philofophié affez étendu pour fup-
pléer à celui qu’ils fuivoient. Arif.
me étoit fans contredit un grand
génie, & fes connoiflances étoient
infimes. Aucun de çeux qui le dé-
c