premiers élémens : Tes progrès furent
même fi rapides , qu’en peu de temps il
entendit non-feulement Euclide, mais il
fut encore en état d’en donner une nouvelle
édition.
I l retourna chez lui en 16 3 1 ; & la
ÇomtefTe de Devonshire, qui étoit veuve,
l ’ayant prié de fe charger de l’éducation
de fon fécond fils , âgé de 13 ans , il fut
obligé de l’accompagner en France & en
Italie. I l fe lia dans fon voyage avec
Gajfendi, le P. Merfenne, & Galilée, tous
favans du premier ordre. I l s’appliqua
pendant fon féjour à Paris à l’étude de
la Phyfique, & à la recherche de la caufe
de fenfibilité des animaux. I l en partit en
16 37 pour retourner chez la ÇomtefTe
de Devonshire ; & il entretint un commerce
de Lettres avec lesSavans qu’il y avoit
connus.
Bien différent des Gens de Le ttres , il
ne travailloit que l ’après-midi. I l confa-
eroit fa matinée à fa fanté -, ôc fon après-
dîné à l’étude. Dès qu’il étoit levé , il
alloit fe promener , lorfque le temps le
permettoit , ou il faifoit quelqu’exer-
cice violent dans la maifon, jufqu’à ce
qu’il fut en fueur. I l prétendoit que cela
étoit fort fain, quand on eft dans la maturité
de l’âge, parce qu’alors on a , félon
lu i, plus d’humidité que de chaleur, & que
l’exercice donne de la chaleur, & expulfe
l’humidité ou le trop d’humeurs. I l déjeu-
noit fort bien , & alloit après cela faire
une courte vifite chez la ÇomtefTe ou
ailleurs. Ces vifîtes l ’occupoient jufqu’à
midi. II rentroit alors dans fa chambre,
oh on lui fervoit un petit dîné préparé
pour lui feul. Peu de temps après il fe
retiroit dans fon cabinet. I l trouvoitdix
ou douze pipes pleines de tabac , avec
une chandelle pour les allumer. I l fer-
moit fa porte , & il fumoit , méditoit &
écrivoit pendant plufieurs heures.
Tandis qu’il jouiffoit ainfî du plaifir
d’une vie douce & tranquille , il fe for-
moit dans fon Pays & comme autour de
lui des troubles qui annonçoient une
guerre civile. Deux fa&ions formidables,
Une pour le Roi , l ’autre pour le Parlement
, divifoient toute l ’Angleterre.
H o b b e s craignit les fuites de cette di-
vifion. I l voulut l’appaifer& en faire con-
noître les malheurs.Dans cette vue,il com-
pofa un ouvrage intitulé : De C ive, c’eft-à-
dire, Elémens Philofophiques du Citoyen, ou
les fondement delà fociété civile découverts:Cet
ouvrage lui lit une grande réputation ,■
& parce qu’il méritoit d’être admiré , &
parce qu’il lui fufcita beaucoup d’ennemis.
Premièrement, le principe fur lequel
il efl établi, indifpofa tous les bonsefprits.
C e principe , très-répréhenfible en effet,
eft que tous les hommes font naturellement
méchans, & que par conféquent ils
ne font point portés à la concorde, mais
à la guerre. En fécond lieu, la profondeur
des idées métaphyfiques qui en forment
le fond, frappèrent tous les Savans.
E t enfin il indifpofa le parti du Parlement
qu’il ne favorifoit point. On y trouve au
contraire que l’autorité royale ne doit pas
avoir de bornes, & qu’en particulier l’extérieur
de la Religion, comme la caufe la
plus féconde des guerres civiles, doit dépendre
de cette autorité. Ce fyftême révolta
fi fort les Parlementaires , qu’ils
voulurent fe défaire de notre Philofophe :
ce qui l ’obligea à prendre la fuite. I l fe
réfugia à Paris , où le plaifir d’y voir le
P. Merfenne & Gajfendi l’attiroit. I l y
gagna auffi l’eflime du Cardinal de Richelieu
, qui lui fit quelques préfens. Ses occupations
journalières avoient pour objet
quelque difficulté , foit mathématique ,
foit phyfique. I l faifoit auffi des expériences
, & travailloit particulièrement fur
l’Optique avec le P. Merfenne. C e fameux
Minime lui procura l’occafion de connoî-
tre l’illuftre Defcartes. Ce grand Homme
ayant envoyé au P. Merfenne fes Méditations
Philofophiques fur la nature de
Dieu & fur celle de l’Efprit humain, afin
de les communiquer aux Savans, celui-ci
les fit voir à H o B b e s. Notre Philofophe
les lut avec attention , & en les rendant
au P. Merfenne , il lui avoua qu’il
ne comprenoit point le fentiment de D e f
cartes. Comme il croyoit qu’on ne pou-
voit pas imaginer une fubftance incorporelle,
de ce premier axiome que
Defcartes a établi, je penfç donc je fuis>
il Concluoit que ‘la fubflance qui penfe
étoit corporelle ; parce que les fujets de
tous fes aftes ne pouvoient être compris
que fous une raifon corporelle, ou fous
une raifon matérielle. E t cela occafionna
une grande difpute.
H o b b e s en eut une autre, à peu près
dans ce temps - là , avec le Doéteur
Bramhal Evêque de D é r r y , fur la liberté
, la néceffité & le hafard, qui a formé
un ouvrage imprimé fous ce titre: Queflions
fur la nécejfté & le hafard, entre le Douleur
Bramhal Evêque de Derry , Gr Thomas
Hobbes de Malmesburi.
L e fentiment de H o b b e s fur ces
grands objets e ft, que Dieu n’eft pas plus
la caufe des bonnes allions que des mau^
vaifes , & qu’il ne peut y avoir une néceffité
phyfique , parce qu’elle eft contraire
à la liberté. Ces queftions ne furent
imprimées que dix ans après cette contro-
verfe , c’eft-à-dire en 1 6 f 6. H o b b e s
publia avant ce temps plufieurs autres
ouvrages; & i l y travailloit à Paris ,lorf-
qu il fut attaqué d’une fièvre fi violente,
qu’on la jugea mortelle. On inftruifit le
P. Merfenne de fon é ta t, qui accourut fur
le champ chez lu i , tant pour le confoler,
que pour lui faire recevoir les Sacremens
fuivant les rites de l’Eglife Romaine. I l
lui parla d’abord de la part qu’il prenoit à
fa maladie,& ramena infenfiblement lacon?
Vçrfation fur la vérité de la Religion R o maine.
MaisHoBBES peu difpofé à l’entendre
, lui répondit : MonPere, j ’ai examiné
depuis long-temps tout ce que vous me dites,
il me fâcher oit d’en difputer maintenant.
Vous pouvez m’entretenir de chofes plus agréables,
. . . Quand avez-vous vu M. Gajfendi ?
Le P. Merfenne comprit par cette réponte,
qu’il n’étoit pas temps de lui parler là-
defTus , & détourna la converfation fur
d’autres matières. Cependant un de fes
amis,nommé M. Cofin, étant venu le voir
peu de jours après, s’offrit à prier Dieu
avec lui. H o b b e s y confentit, pourvu
qu’on fît les prières de l’Eglife Anglicane.
E t après les prières il reçut le Viatique.
Les foins qu’on eut de notre Philofophe
furent fi efficaces, que fa fanté fe rétablit.
I l reprit alors Tes études philofophiques,&
compofa un ouvrage furie
C orp s , intitulé : Elementorum Philofophiæ
feflio prima de Corpore. I l publia enfuite
une nouvelle G éométrie, dans laquelle il
blâme la méthode des Géomètres, Sc prétend
qu’il y a bien des chofes à fouhaiter
dans Euclide. D ’après des idées fauflès
qu’il s’était formées de la nature de la
quantité, dp la ligne & des proportions,
il quarre le cercle, double le cube, di vife
un arc de cercle félon une raifon donnée,
égale la parabole à une ligne -droite, & c.
en un mot en accumulant les paralogif-
mes, il croit réfoudre les problèmes les
plus difficiles de la Géométrie.
S’il n’eût fallu que du génie pour être
Mathématicien, H ob b e s eût été un
des plus habiles. Mais les Mathématiques
exigent encore une grande foupleffe ou
docilité d’efprït ; & celui de notre Philofophe
étoit trop formé lorfqu’il commença
à les apprendre , pour être fufceptible
de cette modification. I l ne fe donna pas le
temps de faifir les objets. Entraîné par le
feu de fon génie, il paffa par-deftus la difficulté.
Sa Géométrie eft pourtant tu*
ouvrage captieux , fur-tout pour les petits
Mathématiciens, & c’eft ce qui fît qu’il
lui fufcita une querelle qui ne fut terminée
qu’après fa mort. Les Géomètres
lui répondirent qu’il n’étoit point aflez
habile en Géométrie pour décider de
tout cela ; que fes raifonnemens étoient
des paralogifmes, & qu’il blâmoit des
chofes qu’il n’entendoit pas. LeDoéteur
Wallis , grand Mathématicien , publia
même en i é y y une critique de cette
Géométrie de H o b b e s , fous' ce titre
Elenchus Geometrice Hobbiance, où les termes
font peu ménagés. H ob b e s ne répondit
point à cette critique. I l étoit oc-,
cupé d’un autre objet, dont il ne vouloir
pas fe diflraire : c’étoit un Traité de
l ’H omme, ( De Homine ) dans lequel il
examina les facultés de l’Efprit humain ,
l ’imagination, la mémoire, le jugement,
leraifonnement, &c. I l y a dans cet ouvrage
une L o giqu e , un Traité d’Optique ,
& uneefpèce de differration fur la Politique:
ce qui forme un fyftême de Philo-
fophie.