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fion de Cicéron , la Philofophie errante
& vagabonde parmi les pla-
nettes & les étoiles fixes. Mais 6’o-
crate , ajoute l’Orateur Romain ,
plus éclairé ou plus heureux, la
fit en quelque forte defcendre du
Ciel ; l’introduifit dans les Villes ;
l’obligea à fe familiarifer avec les
hommes , ôt la rendit maîtreiTe
de leurs fentimens & de leurs
coeurs, (a) Ces raifons le font’ regarder
O U R S
répondoit : Je poflede Lais , mais
elle ne me polfede pas. Cela ne le
juftifioit pas aux yeux des vrais
Sages.
comme l’Inftituteur de la
florale.
Ses difciples étendirent fa doctrine.
Ariftipe crut qu’on pouvoit la
réduire à ces trois points, i ° . A
bien diftinguer le bien & le mal.
2 0. A fe dégager de la fuperilition
ôt de la crainte de la mort. 3 °. A
fe former deS idées juftes du vice
ôt de la vertu. Cette doctrine bien
entendue , n étoit que l’art de parvenir
au bonheur , en fe livrant à
une douce volupté ; ôt la conduite-
d’Ariftipe étoit allez conforme à
cette façon de penfer. Ce P hilofo-
phe portoit des habits fomptueux,
ôt fa table étoit délicate. Il np.rou-
gifibit pas de fon afliduité chez la
fameufe courtifane Lais j ôt lorf-
■ qu’on lui en faifoit un crime, il
30. Aux pafüons du coeur, en le s . fou-
mettant à la raifon. 4°. Aux Séditions des
Villes , en s’attachant aux devoirs d’un
bon citoyen, y®. Enfin aux difcordes des
familles , en évitant les querelles - les
haines & les calomnies. Ses Difciples ap-
portoient tous-ieurs biens à un fond commun.
Iis méprifoient les plailirs des Cens ,
Diogene , qui étudiait la Morale
3 quand Ariftipe la profefToit,
fut choqué de ce fafte ôt de cette
fenfualité. Il penfa que la vertu
pouvoit bien s’acquérir par les en-
feignemens , mais qu’un Philofo-
phe devoit la communiquer par
fes leçons. C’eft pourquoi il mé-
prifa la nobleffe , les richelfes, les
titres ôc les rangs , parce que ces
fortes de biens ne dépendent point
de nous, ôt que nous ne devons efti-
mer que ce qui eft en notre pouvoir
de pofféder. Il n’ambitionna que le
néceffaire. Une fimple tunique ôt
un manteau formèrent tout fon vêtement.
Il endoffa là-deffus une
beface ôt prit un bâton à la main.
Son logement fut un tonneau. Peu
inquiet fur les moyens de fubfifter,
il fe confia entièrement à la Providence
, s’eftimant très - heureux
d’avoir des miettes de pain pour fe
nourrir , ôt de pouvoir fe pafifer de
ces rafinemens de mets, dont fe
: repailfoient lés Athéniens. Sa frugalité
ôt fon mépris pour tout ce
s’abftenoient de tout jurement, ne man-
.geoient rien qui eût été .en vie , de
caroyoient à la Métempfyçpfe.
( a ) S ocrâtes primus 1PUlofophiam ievo-
cavit è coelo Cf in urbibus colloçavit, S ’ in
domos etiain introduxit Cf coegit de yita Cf
moribus rd/ufqitc bonis Cf malis quxrere.
Tulcul. quæft. Li. Ill, N. 8.
qui
P R EL IM
qui s àppelle aprêts dans les repas 3
ctoient portés à ce point de vouloir
manger les mets crus, fans en
excepter la viande. Afin d’accoutumer
fon ame aux maux auxquels,
elle eft fujette par fon union avec
le corps, il fe rouloit pendant l’été
dans le fable brûlant, ôt fe cou-
choit fur la glace en hy ver.
Après s’être ainfi bien éprouvé,
Diogene joignit l’inftrufition à l’exemple.
Il tança les Athéniens
avec hauteur ôt fans ménagement
fur leur mollefle , leur fafte ôt leur
fenfualité ; ôt malgré ce ton dur
ôt. offenfant , il parloit fi bien ,
I N A I RE- h
débitoit des chofes fi folides , ôt
vivoit avec tant de régularité, qu’il
fe concilioit l’eftime ôt le relpect
de fes Auditeurs. Ce n’eft point ,
difoit-il , à vaincre des hommes
inquiets ôt turbulens , que confifte
la véritable gloire ; mais à triompher
de l’horreur de la pauvreté ,
de la crainte, de l’efpérance , de
la concupifcence, ôt de cet animal
dangereux ôt féduifant, qu’on appelle
la volupté. Il recommandoit
après cela l’amour du travail, la
frugalité , ôt une grande attention
a fe veiller foi-même contre l’attrait
des plaifirs. (a ) Toute fa morale
(a) Je fais qu’on a publié que la conduite
de Diogene n’a pas été à cet égard
conforme à ce difeours ; ôc comme on a
depuis peu renouvellé ce reproche , le
Leéteur ne défaprouvera peut-être pas
que je l’examine , fans prendre d’autre
parti que celui que la vérité pourra diéter.
On a accufé ce Philofophe de mener une
vie honteufe Ôc miférable ; de fatisfaire
fans pudeur cette forte de befoin qui naît
de l’aptitude à la génération , Ôc d’aller
palfer les nuits chez la Lais. Quand -on
confidere la vie de Diogene, ôc qu’on rapproche
ces imputations de fes maximes ôc
de fon auftérité , on n’a que deux partis
à prendre : ou de mettre au rang des fables
ce qu’on rapporte de fa Philofophie
& de fa dureté envers lui-même, ou de
taxer de calomniateurs ceux qui ont débité
ces maximes odieufes , ou qui les
ont écrites fans examen. Si on adopte le
premier parti, il faut douter s’il y a jamais
eu de Diogene dans le monde, ôc taxer
effrontément de menteurs les plus
refpeétables Hiftoriens. Si au contraire -
on le rejette, les indécences de ce Philofophe
doivent être miles fur le compte
* De Civitate D t i, Lib. XIV. C. a.
de la calomnie. Auflï les plus favans per-
fonnages ont pris le parti de Diogene ; Ôc
j’avoue que je cite avec joie Saint A u -
gujiin, * dont l’autorité feule doit valoir
en cette occafion une preuve complette
de fon innocence.
En e ffe t, ell-iî vraifemblable qu’ un
homme qui prêchoit des moeurs féveres,
qui vivoit durement ôc qui ën faifoit parade
, eût eu affez peu de jugement pour
expofer en public fes foibleffes, fi un génie
de cette trempe avoit pû en avoir ?
En vérité la méchanceté efl: bien aveugle.
Quoi ! croira-t-on qu’un homme exténué
par le jeune ôc le mal-aife, ôc fur-
tout par l’étude ôc les réflexions, eût autant
de tempérament qu’on lui en fup-
pofe ? Sine Cerere libero friget Venus ,
difoient les Latins ( Terence ) ; & il efl: notoire
que notre Philofophe buvoit de
l’eau & mangeoit très-peu. A l’égard de
Lais , cette courtifane ne recevoit per-
fonne chez elle qu’on ne la payât bien.
Ariftipe même, ce Philofophe galant ôt
aimable, achetoit chèrement fes faveurs.
Comment auroit-elle donc reçu Diogene,
vêtu mal-proprement, fec Ôc décharné,
b