G R O T I U S .
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l’amitié des autres Âiribalftdeuts,& la génération
dé Tes ennemis. L e Cardinal de
Richelieu fat peut-être le feui qui ne lui
rendit point juilice. L’A mbaltitdeur de
Suede ceHa -de le voit. I l n’en .fit pas
moins fa cour au Roi , qui l’écouta toujours
avec bonté. Notre Philofophe eut
plufieurs occafions de dévoiler aux yeux
.des Courtifans toute l’étendue de fon génie.
Il fit voir.combien un homme d e-
tud'e eft fupérieur dans le maniment des
affaires , à des hommes diffipés. L e Cardinal
fut forcé d’en convenir publiquement.
I l l’engagea à être médiateur de
quelques démêlés entré les. Rois de
France & d’ Angleterre; & G r o t i u s
s’acquitta de cette commiffiôn à l’avantage
des François, & au gré de la Nation
Angloife. Il s’âttértdoit à quflque
marqué de reconnoiffance de la part eu
Card inal, mais il fut payé d’ingratitude.
bSB conduite la plus fage, les lumieres les
plus étendues, & les fervices les pluisli-
gnalés , ne purent lui concilier l’affeftiori
de fon Eminence , & fermer la bouche, à
fies ennemis. On lui fuicita encore de
nouvelles. tracafferies-, qui le fatiguèrent.
I l auroit fort fouhâité d’être debarraffé de
l ’honorable fardeau de 1 Ambaffade. Je
fuis rajfaflé d’honneurs , écrivok-il à fon
p e re ______J ’aime la Hit tranquille ; b je
ferois fort aife de ne m’occuper le rifle de ma
vk que de Dieu & de ce qui pourrait être
avantageux et la Pofléiité. (a)
Mais les intérêts de la Suede deman-
doient qu’il ne quittât pas la France ; &
i l les avoir pris trop à coeur pour lesaban-
donner. Malgré c e la , la Reine Chrifline
ayant envoyé à Paris une forte d’avan-
tutier, nommé Cirijante, qui avoit eu
affez de crédit pour fe faire nommer
A g e n t , & enfuite affez de vanité & d’é tourderie
pour défobliger tout le monde,
G R O T i u s fe dégoûta entièrement.
Sa patience fe trouva épuifée. I l écrivit a
la Reine pour la fupplier de lèrappéller.
L a Reine lui accorda fadeffiande. Il quitta
ainfî Paris pour fe rendre en Suede. Il
paffà en H ollande, où il fut três-accuèilli;
& lorfqu’ilfut arrivé à Stokolm, la Reine,
qui étoit alors à U p fa l, vint exprès dans
cette V ille pour le voir. Sa Majefté le fit
manger avec elle , 6c lui donna de fréquentes
audiences. Ces d:f;irâior,s & fo n
grand favoir firent des jaloux. Notre Phi?,
lofophe fentit leurs éguillons ; & comme
il étoit excédé de cette engeance-là i l
prit le parti dequitter la partie. A cet effet
, il demanda plufieursfois fon congé à
la R eine-, qui le lui refufa, Pour l’engager
à demeurer auprès d’elle, elleiuiollrit la
qualité de Confeiller d’Etat, & un établit
fement pour lui & pour fa famille. G rot
ius s’exeufa fur fa fauté & fur celle de là
femme, à laquelle Pair froid de Suede ne
pouvoit convenir. I l perfifta à fe retirer ,
& continua à prier la Reine de lui faire
délivrer un paffeport, qu’on ne lui expédia
point. Ennuyé d’attendre, il ré-
folut de quitter Stokolm. I l s’en alla à uni
port , qui en eft éloigné de deux lieues,
afin de s’embarquer pour Lubec. L a
Reine fut touchée de ce départ imprévu.
Elle lui envoya un Gentilhpmme, pour
lui dire qu’elle.vouloit le voir encore
une fois. G r o t i u s revint donc à
Stokolm; où il s ’expliqua avec la Reine.
Chrifline parut contente de Tes taifons.
Elle lui fit préfent de dix mille écus & de
quelques vaiflelles d’argent. On lui expédia
enfuite fon paffeport ; & Sa Majefté
lui donna un bâtiment fur lequel il s’em-
barqua pour Lubec.
En fortant du port, le vaiffeau éprouva
une tempête confidérabie , qui tourmenta
beaucoup notre voyageur. I l fut porté le
1 7 Août à quatre mille de Danfzic, & y
débarqua. I l fe mit dans un chariot cou-
' vert pour aller à Lubec ; mais il fe trouva
fi mal à Roftocdans le Mekelbourg , qu’il
fut obligé de s’y arrêter. 11 fit appellèr un
Médecin , qui crut d’abord que fôn;incommodité
venoit de foibleffe & de laiïï-
-tude ; d’où il conclut qu’avec du repos &
:des reftauraiis , il-ne tard’eroit pas-à fe
rétablir. Mais ce Médecin.voyant le len-
S'-o.
demain la fôîblefle augmentée,. une Tueur
froide & d’autres indices d’une nature
défaillante , il jugea qu’il n’avoit pas encore
long-temps à vivre. Alors le malade
demanda un Minière. I l en vint un, qui ne
le connoiflant pas, lui tint de ces propos
communs, dont on ufe avec les gens peu
inflruits. G r o t i u s , pour abréger ces
difeours inutiles, lui dit : Sum Grotius.
( J e fuis G r o t i u s . ) Tu mcignus ille
Grotius ! (Quoi ! vous êtes le grand Grotius
) répondit le Miniftre : éloge magnifique
, qu’on ne peut guéres rendre en
François. C ’eft M. Ménage qui nous a
rapporté ce beau trait de la vie de notre
Philofophe. (a) M. de Burigni le tient
cependant pour fu(pêâ.'(£).Ce qu’il y a de
certain , c’efl: que le Miniftre Jean Guiftor-
pius lui ferma les yeux. I l vint le voir
à neuf heures du foir ; & l’ayant trouvé à
l’agonie, il récita une priere convenable
à^fon état. I l lui demandoit de temps en
temps s’il entendoit; & G r o t i u s ,
après avoir dit plufieurs fois o u i, fit cette
réponfe : Je vous entends bien ,* mais fa i de
la peine à comprendre ce que vous me dites.
Ce furent fes dernieres paroles. I l expira
à minuit précis le 2$ Août 16 4 6 , âgé
de 62 ans. Son corps fut mis entre les
mains des Médecins, qui en tirèrent les
entrailles. On le dépofa enfuite dans la
principale V ille de Rofloc ; & il fut
porté à Delft dans le tombeau de fes
ancêtres.
G r o t i u s avoit une figure très-
agréable , de belles couleurs , un nez-
aquilain , des yeux brillans , le vifàge
ferain & riant. Sa taille n’étoit pas avan-
tageufe, mais il étoit fort & vigoureux.
On trouve à la fin de fa vie , écrite par
M. de Burigni, le Catalogue de tous les.
Ouvrages qu’il a compofés. j ’ai rendu
compte, des principaux ; mais je n’ai pas
cru-devoir m’arrêter à ceux de contro-
verfé & de Religion, qu’il a écrit en différons
temps , & qui n’ont pas formé des
événemens confidérables dans fa vie. On
les a recueillis en quatre volumes in-folio, ■
qui ont été imprimes èii 1 6 7 5 .Parmi ces
O uv rages , il en eft cependant un trop
important, pour r.e le pas diftirguer par- .
tieuHerement. C ’eft le Traité de là Vé--
rité de la Religion Chrétienne, ( Devc~
rltate Religionis Chriftiaw ) livre traduit
dans jiputes les langues , & eftimé chez •
tous les Peuples. Trois qualités excellentes
le çaraftérifent, clarté, folidité &
brièveté. Tout y eft intelligible , précis.’
& bien déduit. M. Leclerc a di t , que c’ eft
le {ivre le plus parfàit qui ait paru fur
la matière qui y eft t r a i té e | | S E t M.-
de Saint Epremont l ’appelle le V^ade tnecuiit ■ '
de tous les Chrétiens, (Éj Cet Ouvrage
6-ike Traité du Droit de la Guerre & de
la Paix, font les deux plus- belles productions
de G h o r i u s. J ’ai déjà parlé
dp ; ce dernier ; mais je dois Cn expqfer
les grands principes, qui earaâêrifent
bien le génie de ce grand Homme , & ie-
genredans lequel i l s ’eft particulière® eut;
diftingué : je veux dire celui de laLégjlIa-
tion.
Principes de là Lègijlation de G R o T i ü s ;-
fur le Droit de la Ûuerre b de la Paix.
On appelle Droit le pouvoir d’exiger*
ce qui eft jufte. On. entend par le mot '-
Jufle tout ce qui eft utile à une fociété'
formée, d’hommes raifomvahres. E t on-
donne le nom de Loi à la réglé des'aétes
. moraux, par laquelle nous femmes obligés
de faire ce qui eft jufte.
L e Droit eft humain ou divin. L e pre-
rnier eft celui qui émane de la Puiffance-'.
civile. La Puijfknce,civile eft le gouverne--
ment d’une fociété; & l^focièté.eû une:
compagnie formée d’homntes-libres, qui,
fe font reunis pour leur avantage-réciproque.
A l ’égard du Droit divin , ’c’eft'
ce^ qui nOiis’ eft recommandé par Dieua
même dans fes Ecritures;
Enfin là Guerre eft l’état dè deux-Puif-
: lances ennemies^qui veulent, terminer■’
leur différend par fes-armes.
Tout cela pofé , il s’agit.dèfâvôif s’i l ’
B I H B •«*»*,T »m .a .« . 7sj. (.»!> Mtlattf.. pur,. Tom.' I. •