comme étant la fource de tout bien, Sc
partant ainfî fa vie doucement, tranquillement
& agréablement.
2 e . Ne pas craindre la mort, 6* s’y fou-
mettre. L a mort étant la privation de la
v ie , nous mourons autant que nous v ivons
, Sc cela par une mort qui ne vient
pas tout enfemble, mais par parties que
nous accumulons les unes fur les autres,
quoiqu’il n’y ait que celle qui vient de la
derniere à qui l ’on donne le nom de mort.
I l faut donc modérer le défir de la nature,
félon la règle même que la nature a pref-
crite; Sc puifque nous ne pouvons l’éviter,
adoucilïbns-en du moins la rigueur en nous
y biffant aller volontairement. L e feul&
unique remède pour paffer la vie doucement
Sc fans inquiétude, c’eft de nous accoutumer
a la nature; de ne vouloir que ce
qu’elle veut ; de mettre au nombre de fes
préfens le dernier moment de la vie* Sc de
nous difpofer Sc préparer de maniéré que
lorfque la mort arrivera nous puiflïons
dire : j’ai vécu Sc j ’ai achevé la carrière
que la nature m’avoit donnée à parcourir.
Elle demande Ion repos ; je le lui rends
volontiers. Elle me commande de mourir,
Sc je meurs fans regret. V ïx i , Or quem de-
deras curfum natura peregi.
3 ° . N i trop efpérer, ni trop défefpérer.
Accoutumez-vous à être indifferens fur
les choies futures, a ne vous point repaître
de vaines efpérances, & à ne pas dépendre
de ce qui n’eft point, Sc ne fera peut-
etre jamais. Car la fortune étant changeante
, rien de ce qui dépend de la puif-
fance n’eft prévu Sc attendu avec tant de
certitude qu’il ne trompe fouvent celui qui
prévoit Sc qui attend. De forte qu’on doit
ne pas abfolument défefpérer de ce que l ’on
prévoit, mais ne point fe le permettre aulîi
comme une choie certaine, Sc cependant
fe préparer de telle maniéré à tout événement,
que quoiqu’il en arrive autrement
qu’on efpere, on ne fe croit pas pour cela
privé d’une chofe abfolument nécelfaire.
Efpérer avec trop de confiance, c’eft fe
mettre dans le cas de tout négliger Sc de
laifler 1 elprit s’égarer ailleurs. N ’avoir au
contraire aucune efpérance, c’eft s’expo-
k x à quitter tout & à fe relâcher fur tout.
Celui au contraire qui a l ’efprit modéré à
l ’égard de l ’une Sc l ’autre paflïon, eft dans
une alïîette d’ame paifible.
4 ° . Ne remettre point à l’avenir ce dont
on peut jouir actuellement. L e fage doit tellement
faire fon compte, qu’il conlîdere
chaque jour de fa vie comme le dernier Sc
celui qui doit accomplir le cercle. Par-là il
jouit actuellement fans attendre le lendemain
; Sc fi ce jour vient, il fera d’autant
plus agréable qu’il fera moins attendu, Sc
qu’étant comme furajouté au comble, &
confidéré comme ufure, il fera compté
comme un pur gain..
1 ° . Ne défirer que ce qui efl nècejfaire.
I l y a deux fortes de cupidités ou convoi-
tifes : les unes naturelles Sc néceffaires, Sc
les autres vaines Sc fuperflues. Or le bonheur
de la vie conlîfte à fe borner aux
premières , qui regardent nos propres
befoins , Sc à dédaigner les autres, qui
font de fantailie Sc de caprice.
<5°. Modérer les pajjions par l’étude de la
fagejfe. De même que la fanté du corps
conlîfte dans une certaine température des
humeurs , de même la fanté de l’efprit
conlîfte dans la modération des partions ;
ce qui lui procure une certaine tranquillité
Sc une confiance inébranlable. Quand on
a l’efprit tranquille, on aime la tempérance
, qui eft le plus folide Sc le plus alluré
foutien de la lànté, fans laquelle on ne
doit point efpérer de félicité^parfaite.
Ajoutons à ceci, qu’un doux loifir,que
le repos qui fe trouve dans la folitude Sc
hors de l’embarras des affaires du monde,
contribuent beaucoup à la félicité. Car il
ne faut pas que celui qui afpire au vrai
bonheur de la vie , lequel conlîfte principalement
dans la tranquillité de l’efprit,
s’embarraffe dans beaucoup d’affaires, foit
publiques,foit particulières,qui ne peuvent
manquer de la troubler. E t le meilleur
moyen de s’entretenir dans la félicité, c’eft
de ne rien admirer. C ela marque non-feulement
la tranquillité à laquelle eft parvenu
celui qui ayant reconnu la vanité des chofes
humaines , n’admire ni n’affeéte , ou
plutôt méprife cet éclat de puilfance,
d’honneurs Sc de ri chertés, qui éblouit
d’ordinaire les yeux des hommes ; mais
cela marque auflî cette autre efpéce de
tranquillité qu’on a acquife, lorfqu’étant
parvenu à la connoiffance des caufes naturelles
, on ne s’étonne , on ne craint Sc
on ne s’épouvante plus comme le vulgaire.
Phyfîque de G a s s e n d i »
I . De la compojition du monde.
L a première chofe qu’on doit faire dans
l ’étude de la Phyfîque, qui eft la connoif-
fa- ice de la nature , c’eft de fe repréfenter
un efpace infiniment grand, Sc de confî-
dérer cet efpace comme le lieu général
de tout ce qui a été produit, & comme
la table d’attente de toutes les autres pro>-
dudions que Dieu peut tirer de fa T o u te
puiffance. L e monde occupe cet efpac
e ; il eft compofé de là matière, laquelle-
confifte dans l’impénétrabilité , Sc cette
matière eft animée ou vivifiée par une
chaleur diffufe ou répandue en elle. On
appelle atomes les élémens de- cette matière.
C e font des portions de la matière
infiniment petites Sc diverfement figurées.
Ces atomes compofent te monde. Ils font
puiffans , c’eft-à-dire qu’ils ont une certaine
proportion qui les excite Sc les meut
de telle maniéré dans l’immenfité de
l ’efpace , qu’ils ne ceffent jamais de fe
mouvoir. Leur vîteffe eft toujours extrême
, foit qu’ils foient féparés les uns des
autres, ou embarrartes les uns dans les
autres, parce qu’ils font très-durs, «Sc par
conféquent très-propres à fe faire réfléchir
les uns des autres , Sc que dans l’ef-
pace il n’y a ni haut ni bas où ils puiffent
s?arrêter.
Cependant quoique dans les compofî-
tions leurs allées venues fe fartent entre
des bornes très-étroites, cela n’empêche
pas que félon la condition Sc l’étendue d’un
petit efpace, ils ne fe meuvent toujours-
très-vite Sc également v îte , tout de même
que fi les allées Sc venues fe faifoient
entre des bornes & des limites très-éloi-
gnées les unes des autres. Car quoiqu’ils
foient emportés avec toute la maffe, ce
mouvement particulier de la marte ne retarde
point leurs allées & venues par fa*-
lenteur, ni ne-les hâte point par fa vîteffe ;;
de façon que s’il arrive que le mouvement
de la marte fe farte dans un inftant, il fe fait
dans ce même inftant des allées Sc venues
innombrables.
I l eft vrai que ce n’eft pas une néceflïté
abfolue que les atomes foient tous en mouvement
pour entretenir le monde, Sc qu’on
peut concevoir la génération des êtres en
fuppofant les uns en repos , les autres en
mouvement. Cependant il eft probable
qu’ils fe meuvent tous non-feulement parce
qu’ils font tous de même nature, tous
durs Sc folides, tous propres à fe faire réfléchir
les uns les autres quand ils fe rencontrent,
Sc qu’ils fe meuvent dans un efr
pace qui n’a aucune réfiftance, aucun centre,
aucun endroit où ils puiffent s’arrêter;
mais auflî parce qu’il pourroit arriver que
ceux qui font les plus propres au mouvement
, Sc principalement deftinés à a g ir ,
deviendroient lents & parejfeux, en rencontrant
ceux qui feraient en repos, Sc en leur
communiquant leur mouvement ; Sc qu’au
contraire ceux qui feraient ineptes, pourraient
enfin devenir très-aélifs ; ce qui ferait
une confufion dans les différentes gér
nérations.
I l faut fuppofer dans tout ceci des vui-
des entre les corps qui compofent le monde.
Sans cela, rien ne pourroit fe mouvoir,
parce que toutes les fois qu’une chofe ferait
fur le point de commencer à fe mouv
o ir , il fe trouverait toujours des corps
qui formeroient un obftacle; de forte que
n’y ayant rien qui cédât, il n’y aurait rien
auflî qui pût avancer /ou qui pût en aucune
maniéré commencer à fe mouvoir. En
effet, le monde, fans aucun vuide, doit
être une marte extrêmement ferrée Sc comp
a re , qui ne fauroit par conféquent recevoir
de nouveau le moindre petit corps,
parce que n’y ayant rien qui ne foit plein,
il ne relie aucun lieu à remplir. Si le corps
qui doit fe mouvoir trouve le lieu plein,
il faudra qu’il en charte le corps qui y eft,
Sc que celui-ci en chafle un autre, ainfî
de fuite. Mais fi ce premier corps ne peut
ni céder, ni quitter fa place, le mouvement
ne commencera point, Sc rièn ne remuera.
Gela ppfé, les atômés, quoique jpints*