de bieos pour pouvoir^ entretenir fon
riiari, & qu’elle fe pafferoit aifémentd’un
fecours , qu’elle regardoit comme .un
outrage.
L e pere de Grotius demanda c|e
voir fon fils ; & on eut la dureté de le Ijii
refufer. Seulement on accorda à fa femme
de s’enfermer avec lui dans la fortereffe ,
à condition qu’elle n’en pourroit fortir
.que deux fois la femaine. Ce fut fans
doute pour notre Philofophe une grande
confolation de vivre avec fon époufe;;
,mais il n’en fouffrpit pas moins de la voir
privée des agrémens de la vie. Son chagrin
, à.cet,égard , .étoit d’autant plus
.cuifant , qu’il étoit obligé de le diflîmu-
ler. Dans cette fâcheufe fituation , il ap-
’pella la Philofophie à fon fecours ; f& elle
répandit dans fon ame ce do4ux cçntente-
.ment , qui met l’homme aurdeflus des
.plus grandes adverfités.jll fe livra a l ’e-
tude de la Morale. I l tira des meilleurs
Auteurs Grecs .les plus belles Sentences,^
& il .joignit à cette occupation une
leéture réfléchie des livres, qui traitoient
de la vérité de la Religion Chrétienne.
L e premier fruit de ce travail fut une
très-belle lettre qu’il écrivit à M. du
Maurier, pour le confoler de la mort de
fa femme. On trouve dans cette lettre
toutes les raifons que la Philofophie & la
Religion peuvent infpirer (a). Dans une
fi trille, circonftance, il varioit ces études
par d’autres .moins férieufes. Tantôt
il travailloit à la ,tradu6tion des Phéniciennes
d’Euripide. Une. autre fois ils ’ap-
pliquoit au Droit Hollandois , & il en
•compofoit des inftitutions. E t dans'fes
mom.ens de repos , .il amaffoit des matériaux
pour faire fon Apologie. I l étoit
ainfi continuellement occupé, fans avoir
rien à faire. SjiJèule façon.de fe^délaffer,
étoit de paffer d’un ouvrage a un autre.
Pendant que notre Philofophe menpit
cette vie oifive & laborieufe, fon époufe
avoitde plus grands projets en tête: c’é-
toit de procurer la liberté à fon mari.
Après avoir imaginé en vain plufieurs
expédiens, elle s’avifa heureufement cL’uni
moyen qui réuflit. On avoit permis à
Grotius d’emprunter des livres; & lorf*
• qu’il en ^voit.fait ufage, on les renvoyoi,t
dans un coffre , dans lequel on mettoif
aufli fon linge qu’on portoit à Gorcum
pour le blanchir. Pendant une année, les
Gardes de la fortereffe furent très-exaâ$
,à fouiller ce coffre.; mais n’y ayant jamais
trouvé que des livres & du linge.,
ils fe lafferent de l’examiner,Æ& ne prirent
plus la peine de l’ouvrir. Madame Gro-
.tius s’en apperçut : elle crut qu’on pourroit
tirer parti de cette négligence. Elle
.dit à fon mari , qu’il pouvoir fortir de
,prifon fans courir aucun rifque ,«s’il vou-
Joit fe mettre dans le coffre qui fervoit au
renvoi des livres qu’on lui prêtoit. G r ot
i u s trouva cet expédient,bon , 6c consentit
à en profiter. A-fin de ne rien hazar-
der, fon époufe fit premièrement faire des
trous à l’endroit du coffre où il devoi-t
avoir la tête ,. pour qu’il putrefpirer. Elle
voulut enfuite qu’il effayât de fe tenir
aans. ce. coffre , a,utant de temps qu’il
en falloit pour.aller deLouveftein à Gorcum..
Cet effai fut fait de.différentes maniérés
, 6c toujours avec fuccès. I l n e .
manqupit plus qu’une occafion favorable
de mettre ce projet à.(exécption. Elle ne
tarda pas à fepréfe-nter.
■ L e Commandant de Louveftein fut
obligé de s’abfenter pour aller recruter
des foldatsà Henfden. Madame Grotius
réfolut de profiter de fon abfence pour
faire fon coup. Elle alla faire une vifite
à la Commandante , 6c parla dans ]a con-
yerfationde la fanté de fon mari, qu’elle
feignit (être fi foible , qu’elle vouloit
renvoyer tops Tes .livresdans un coffre,,
^fin de l’empêcher de travailler. Elle fit
enfuite courir le bruit qu’il étoit véritablement
malade, pour qu’on ne fût pas
furpris.de ne le pas voir paroître. Après
avoir ainfi prévenu & la Commandante
6c la garde de Ja fortereffe, le 2 1 Mars
1 6 2 1 , jour à jamais mémorable pour la
gloire du beau fexe , elle enferma fop
« Epift. ,U 4. •m an
mari dans un coffre, & mit dans la confidence
de ce projet un valet 6c une fer-
vante. Deux foldats vinrent prendre le
coffre & l’emportèrent. L ’ un de ces foldats
le trouvant plus pefant qu’à l’ordinaire,
dit : I l faut qu’il y ait quelque
Arminien là-dedans. C ’étoit une forte de
proverbe qui «toit alors en ufage, La
femme de Grotius répondit à ce discours
: Effectivement il y a des livres A r miniens.
On fit defcendre le coffre par
une échelle avec beaucoup de peine. Les
foins qu’on fe donnoit pour prévenir tout
accident, & la pefanteur extraordinaire
du coffre, firent foupçonner à un de ces
foldats quelque chofe de fufpeét. Il demanda
qu’on l’ouvrît pour le viliter ; 6c
furie refus qu’on fit de donner la c le f , il
alla s’en plaindre à Madame la Commandante.
Soit que cette Dame voulut fermer
les yeux là-deffus , ou par négligence ,
elle répondit au foldat qu’elle favoit qu’il
n’y avoit que des livres dans ce coffre ;
que Madame Grotius l’en avoit prévenue,
6c qu’on pouvoit le porter au bateau. M.
de Burigni nous apprend que la femme
d’un foldat qui étoit préfente , dit qu’il
y avoit plus d’un exemple que des prifon-
niers s’étoient fauvés dans des coffres ; {«)
mais la Commandante ne fît pas attention
àce difcours.On porta le coffre aubateau,
comme elle fa voit ordonné. L a fervante
de Grotius le fuivit. Arrivés à Gorcum
, on mit ce coffre £ur un brancard ,
&onleconduifît chez M. David Da\elaèr,
l’un des amis 6c des alliés de Grotius.
Lorfque la fervante fe vit feule , elle l’ouv
r it, & notre Philofophe en fortit fain&
fauf,malgré la fituation gênante qu’il avoit
jété obligé de garder,ce coffre n’ayantque
trois pieds & demi de long. Il falloit partir
de cette màifon pour quitter les terres
des Holiandois fans être reconnu. A cet
effet, Grotius prit un habit de maçon
, avec une réglé 6c une truelle à la
main , traverfa dans cet équipage la place
publique , & fe rendit à la porte de la
V i lle , qui donnoit fur la riviere. I l entra
dans un bateau qui le mena à V a l vie. I l y
loua une voiture pour Anvers , 6c prit
les précautions néceffaires afin de n’être
point reconnu dans le chemin. Il delcen-
dit à Anvers chez M. Grévinconius , qui
avoit été autrefois Miniftre à Amfterdanj,
auquel il fe fit connoître.
Cependant on croyoit à la fortereffe
de Louveftein, que G rotius étoit
malade. Son époufe difoit même que fa
maladie étoit dangereufe, afin de lui donner
le temps de fortir des Etats de la République;
mais dès qu’elle apprit par le retour
de fa fervante, qu’il étoit enBrabant,'
6c par conféquent en fûreté, elle déclara
fon évafion aux foldats. Ils allèrent annoncer
fur le champ cette nouvelle au
Commandant, lequel accourut vite à la
chambre de Grotius. I l s’emporta
contre fon époufe, qui lui raconta naïvement
comment la chofe s’étoit paffée. L e
Commandant en colere, partit pour Gorcum.
I l fe rendit en arrivant chez le M a-
giftrat, à qui il fit part de la fuite de foa
prifonnier. L ’un 6c l’autre fe tranfporte-
rent chez M. Da^eiaër, où ils trouvèrent
le coffre vuide. Défefpéré de ne pouvoir
recouvrer Grotius, le Commandant
revint à Louveftein, & fit enfermer
plus étroitement Madame Grotius. Cette
Dame préfenta le y A vr il 1 6 2 1 -une
Requête aux Etats Généraux, pour demander
fon élargiffement. Elle l ’obtint.
E t Grotius écrivit le 30 a ces Etats
une lettre contenant une apologie de la
conduite 6c de fa fortiedela prifon.
Lorfqu’on apprit dans le monde lavant
fa délivrance , on s’empreffa à la célébrer.
Barlxus fit de très-beaux vers àce
fujet, dans lefquelsil chanta la magnanimité
de Madame Grotius. L e dôéle M.
Dupuis compofa auflï une pièce de vers.
E t notre Philofophe fit un poè’me entier,
qui fut traduit en Flamand par le fameux
Poète Jedn Van Vondel.
Grotius étojt toujours à Anvers.
I l ne favoit pas trop où il devoit aller
s’établir. Il reçut une lettre de M. Dupuis,
y** dt -Gihixs y Xojn. i , pag. 175.
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