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fêté, 8c par le moyen d’une douzaine d’autres
argumens, il la fît reconnoître pour
une vérité plaufible. Toute l’aflèmblée
admira également la force & l’étendue du
génie de notre Philofophe. Elle iui demanda
s’il n’y avoit point quelque moyen
infaillible d’éviter les fophifmes. I l répondit
qu’il n’en connoiffoit point d’autre
que celui qu’on tiroit du fonds des Mathématiques.
I l ajouta qu’il avoit compofé
une méthode avec laquelle il mettoit à
l ’épreuve toutes fortes de proportions.
L e premier fruit de fa méthode étoit de
faire voir d’abord fî la proportion éioit
poflïble ou non ; & elle lui apprenoit en-
fuite à réfoudre infailliblement la difficulté
de la même proportion.
Après cet éclat, il ne fut plus poflïble à
notre Philofophe de difpofer de fon
temps. On l ’accabloit de vifîtes ; ôc comme
il étoit connu dans tous les quartiers
de Paris, il ne pouvoit plus s’y procurer
la folitude qu’il jugeoit néceflâire, pour
prendre un état conforme à la nature d’un
Etre raifonnable.
I l fortitdonc de cette grande V ille , &
alla à Amfterdam. I l eftima que la Hollande
étoit l’endroit où il pouvoit philo-
fopher avec plus de tranquillité. I l ne
s’agifloit plus que de découvrir un lieu
tout à la fois commode & folitaire. C ’eft
ce qu’il trouva en Frife près de Franéker.
I l y avoit contre le folié de cette Ville un
petit Château ifo lé , qui parut à Descartes
convenable à fes defleins. I l s’y enferma.
L à , après avoir renouvellé au pied
des autels fes anciennes proteftations de
ne travailler que pour la gloire de Dieu &
l ’utilité du genre humain, il voulut commencer
fes études par l’exiftenee de Dieu &
l ’immortalité de l’ame. Mais pour ne point
entrer dansf un détail théologiquë, il n’en-
vifagea Dieu dans tout fon travail, que
comme l’Auteur de la Nature. Son efprit
étoit furchargé de cet objet. Pour le dilïï-
per, & dans la vue de laiflèr mûrir fes
idées , il voulut s’amufer à faire les expériences
qu’il avoit projettées à Paris fur
I R T E S.
l ’Optique avec M. Mydorge. Prenant en fin
un vol plus hardi, il jetta les yeux fur tout
l’Univers. Et s’érant bien convaincu que
la Philofophie doit avoir pour but l’utilité
du genre humain, il fe livra à l ’étude
de la Medecine , & s’appliqua particulièrement
à l’Anatomie & à la Chymie.
II penfoit que la perfection de la Médecine
dépendoit d’une heureufe union avec
les Mathématiques, & il travailla à cet
accord. I l alla même à Amfterdam, pour
être à portée de fe procurer ce qui étoit né-
ceflaire à fon travail. Il faifoit apporter
chez lui des animaux ; & après les avoir
fait ouvrir par un Boucher. il examinoît
la mécanique de leur organifation : il les
dilTéquoit même. Paffant de cette étude
a celle du corps humain , il examina les
cadavres. Enfin il termina à Amfterdam
fes travaux par un cours de Chymie.
Le but de notre Philofophe, en s’inftruî-
fant, n’étoit point de tirer vanité de fes
connoilTances, en en faifant part au Public,
Comme il fe rappella qu’on avoit cru à
Paris qu’il ne s’étoit retiré en Hollande
que pour pouvoir compoferplus commodément
fes ouvrages , il voulut détruire
ce foupçon. I l écrivit à cet effet une lettre
au Pere Merfenne, conçue en ces termes:
* Je ne fuis pas fi fauvage que je ne fois
» bien-aife qu’on penfe à moi, & qu’on en
» ait bonne opinion ; mais j’aimerois
» beaucoup mieux qu’on n’y penfât point
» du tout. J e crains plus la réputation
® que je ne la délire, eftimant qu’elle di-,
» minue toujours en quelque façon la li-
» berté & le loifir de ceux qui l’acquie-
» rent : cette liberté & ce loifir font des
» chofes que je pofléde fi parfaitement, &
30 que je mets à fi haut p rix , qu’il n’y a
» point de Monarque au monde qui fût
» allez riche pour les acheter de moi. <r (a)
A u milieu de cette indifférence pour
la gloire , Descartes travailloit ,
fans y penfer, à acquérir la plus grande
réputation dont aucun mortel ait encore
joui. Ses études l’avoient conduit infenfî-
blement aux queftions les plus élevées de
£*J Lutrtt de Défiants, Tom, 11, pag, 473.
n e s c
îa Phyfique. II trouvoit que cette fcience
rénfermoit des connoilTances fort utiles
à la vie ; mais il ne croyoit pas que cela
pût avoir lieu en la cultivant comme on
l ’avoit fait jufques-là. A u lieu de s’attacher
à cette Phyfique qu’on enfeignoit
dans les écoles, il chercha une méthode
par laquelle il pût connoître la force & les
aélions du feu , de l’eau , de l’air , des
aftres, des cieux, & de tous les autres
corps qui nous environnent, auflï diftinc-
tement que nous connoillons les divers
métiers de nos Artifans, afin de les employer
de la même façon à tous les ulà-
ges auxquels ils font propres, & de fe rendre
ainfi maître & poffefleur des fecrets de
la nature.
Dans cette v u e , il réfolut de faire un
monde. I l luppofa que celui dans lequel
nous fommes étoit anéanti , & que Dieu
l’avoit chargé du loin de le créer. I l fe
tranfporta enfuite en idée dans l’immen-
fité de l’efpace , ayant en main allez de
matières pour le compofer. I l demanda
après cela à Dieu qu’il voulût bien agiter
diverfement & (ans ordre toutes les parties
de cette matière, en forte qu’il s’en
formât un chaos auflï confus que les Poètes
en peuvent feindre. Cette opération finie,
il n’exigea plus de l ’Etre fuprême que fon
concours ordinaire à la nature, en la laif-
fantagirfuivantlesloixqu’ilauroitétablies.
Tout cela pofé, il décrivit d’abord cette
matière ; & pour la reprélènter d’une maniéré
plus claire & plus intelligible, il fup-
pofa expreffément qu’il n?y avoit en elle
aucune de ces formes ou qualités dont on
difputoit alors dans les écoles, ni généralement
aucune chofe dont laconnoiflance
ne fût fi naturelle à notre ame, qu’on ne
pût pas même feindre de l’ignorer. Après
avoir donné des loix à la nature, fans appuyer
fes raifons fur aucun autre principe
que fur les perfections de D ieu , il tâcha
de démontrer toutes celles dont on eût pu
avoir quelque doute. Il fe propofa dans la
fuite de fon travail, de trouver comment
la plus grande partie de la matière de ce
chaos devoit, en conféquence de ces loix,
l R T ES. 75
fe difpofer & s’arranger poiir former les
cieux, les étoiles, les planètes, les comètes
& la terre. Examinant plus particuliérement
notre globe , il expliqua la caufe
du flux & du reflux de la mer, celle des
vents, la production des métaux, la végétation
des plantes, & enfin la génération
de tous les corps mêlés ou compofés.
De la defeription des corps inanimés 8c
des plantes , il pafla à la connoiffance des
animaux en général, & de celle de l’homme
en particulier. Ilcompofa le corps de
l’homme de la même matière que celle
qu’il avoit décrite fans l’animer. Seulement
il excita dans fon coeur un de ces feux
fans lumière qu’il avoit déjà expliqués.
Réfléchiffant fur les fonctions de ce corps
ainfi fabriqué, il trouva exactement toutes
celles qui font en nous, fans que nous y
penfîons, & par conféquent fans que notre
ame ( dont il faifoit confifter la nature dans
la penfée ) y contribue. Ces fondions n’é-
toient point différentes de celles des autres
animaux, & il ne trouva que la penfée
qui diftingua l ’homme de la bête.
L ’ouvrage fini, Descartes écrivit au
Pere Merfenne, pour le faire imprimer à
Paris 1 mais ayant appris que l’Inquifition
inquiécoit Galilée en I ta lie , pour avoir
foutenu l’immobilité du Soleil & le mouvement
de la T e r re , il changea de delTein.
Comme il étoit dans la même opinion que
Galilée, il craignit que fon ouvrage ne lui
procurât les mêmes défagrémens.» L e défir
» que j’ai de vivre en repos (écrit-il au Pere
» Merfenne) &decontinuerlaviecachéeque
3® j’ai commencée, fait que je fuis plus cons
e n t de me voir délivré de la crainte que
» j’avois d’acquérir plus de connoilTances
» que je ne délire par le moyen de mon écrit,
x> que je ne fuis fâché d’avoir perdu le temps
» & la peine que j’ai employé à le compofer.
a> Je n’ai jamais eu l’humeur portée à faire
» des Livres ; ôc fi je ne m’étois engagé de
x promefle envers vous & quelques autres
a» de mes amis, dans la penfée que le défir
» de vous tenir parole m’obligeroit d’au-
x tant plus à étudier, jamais je n’en ferois
» vënu à bout (a) ».
t«3 Lettres dt Defiartes, Tom. Iî.
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