de fes avions, mériter & démériter dans
ce monde-ci & dans l’autre.
S e n t im e n t de C ollins f u r la lib e r té
d e p en fe r .
On entend par lib e r té d e p e n fe r , l’ufage
qu’il eft permis de faire de fon efprit, pour
tâcher de découvrir le fens de quelque
propolîtion que ce foit, en pefant 1 évidence
des raifons qui l’appuient ou qui la
combattent, afin d’en porter fon^ jugement
, félon qu’elles paroiflent avoir plus
ou moins de force. Cet ufage doit s’étendre
fur toutes fortes de propofitions,
parce qu’il eft fondé fur le droit même
que nous avons de connoître la vérité. Et
comme il n’y a point de vérités fur lef-
quelles nous n’ayons droit , puitque la
connoiflance de quelques-unes nous eft
ordonnée par Dieu même , ôc que pour le
bien delafociété civile , il eftnéceflaire
de favoir les autres, il n’y a rien fur quoi
il ne nous foit pas lib r e de p en fe r .
En effet,fans cette liberté, comment
diftinguera-t-on le vrai du faux ? Comment
découvrira-1-on quelque chofe dans
quelque fcience ou quelque art que ce
foit ? Non feulement nous ignorerons les
chofes fur lefquelles nous n’oferons porter
nos penfées, mais meme celles ^que
nous croyons avoir droit de connoître*
Car les Sciences ôc les Arts ont une telle
liaifon enfemble, & ont entr’eux une dépendance
fi réciproque, qu'il eft impoffi-
ble d’en pofleder parfaitement un fans la
connoiflance des autres. Mais comme ce
n’eft qu’à force de penfer qu’on parvient
à leur perfection , fi on ne jouit point de
la liberté de le faire, on fe précipitera
dans les erreurs les plus groflières, tant
pour la théorie que pour la pratique.
En morale cette liberté éft encore
plus eflèntieile, parce que les erreurs qui
concernent les moeurs font de plus grande
importance que celles de l’efprit. Elle eft
néceflaire pour éviter de tomber dans la
fuperftition , pour difcerner le bon & le
mauvais, ô c pour s’afiurer de la vérité de
la Religion.
Quoique fur cette matière on veuille
interdire à quelques égards cette liberté,
il eft certain qu’à la rigueur cette interdiction
eft impoflible. On ne fauroit pref-
crire des bornes à notre penfée, fans faire
penfer à la rai fon pour laquelle il n’eft pas
permis de penfer. Il eft donc permis d’examiner
a v e c to u te lib e r té la raifon que l’on donne
de cette interdiction ; parce que fi cet
examen n e fe fait point librement, nous ne
faurions connoître l’obligation que nous
avons de nous arrêter au milieu de notre
penfée , ô c nous pourrions la pouffer fans
cela jufqu’au point que nous nous étions
d’abord propofé.
La liberté d’examen en général eft donc
une chofe qu’il eft impoflible de défendre ;
& en particulier elle eft abfolument nécef-
faire, afin que nous puiflîons faire tout ce
qui eft en nous, pour connoître la vérité.
Et de cette manière nous fatisfàifons entièrement
à la volonté de Dieu, qui ne peut
exiger des hommes autre chofe , que de
faire tous les efforts dont ils font capables
pour connoître la vérité ; de forte
qu’en adoptant même certaines propofitions
erronées , nous ne devons pas
moins lui être agréables que fi elles étoient
véritables.
En finiflant , je dois avertir que ces
deux derniers fyftêmes de C ollins
font très-captieux ; ôc je déclare qu’en les
analyfant je n’ai pas prétendu les adopter.
f | y p
L E T T R E
D E
M. FRANÇOIS, GRAVEUR,
A M- S A V E R I E N .
Sur l’utilité du Dejfein & fur la Gravure dans
le goût du crayon.
ONS IEUR,
Je voudrois de tout mon coeur pouvoir
donner au Public l’Ouvrage fur
l’utilité du Deflein, que vous avez annoncé
à la fin du P r o fp e f tu s de l’Hiftoire
des Philofophes modernes , comme je
vous en a vois prié ; mais la matière qui
en fait le fujet me paroît fi étendue , Ôc
j’ai fi peu de temps à moi, que je ne fais
quand je pourrai le finir. Cependant comme
cet Ouvrage devoit fervir en quelque
forte de fupplément à ce que vous vous
propofez de dire là-defliis dans la Préface
de cette Hiftoire , à l’occafion de la
Gravure qui y entre , voici quelques
réflexions qui pourront en tenir lieu.
C’eft être bien malheureux que de ne
pas connoître l’utilité du Deflein ; & ce
feroit être bien méchant que de le mépri-
fer, puifqu’il fert à inftruire les hommes
& à les immortalifer. En effet, le Deflein
eft l’ame de la Peinture , de la Sculpture,,
de la Gravure, de l’Architecture civile,
des Fortifications , & de toutes les Manufactures.
Eh ! de quoi eft-on capable,
quand on ne peut point apprécier ces dif-
férens Arts ? Tout le monde fait combien
feroient bornés nos connoiflances ô c nos
plaifirs , fi l’on ignoroit la manière de
multiplier l’image des perfonnes chères
ù leurs amis, Ôc quelquefois à l’humanité ;
d’expofer à nos yeux les plus beaux évé-
nemens de l’Hiftoire ; de nous faire voir
les chofes merveilleufés de la nature &
de l’art, qui fe trouvent dans les différentes
parties de l’univers ; ô c enfin de nous
émouvoir par la repréfentation des fujets
qui intéreflent notre coeur, ou de nous
élever l’ame par des Tableaux qui nous
donnent une idée des Myflères de notre
fainte Religion. Ah ! Monfieur , que ce-,
lui-làeft à plaindre,qui n’eft point aflez
inftruit pour connoître toutes ces beautés
! Etre imparfait ou équivoque, il voit
tout ô c ne fent rien. Et fi cet homme eft
à la tête d’un Gouvernement, quel malheur
pour un Etat ! On ne confacrera
point par de beaux monumens les hauts
faits d ’uneNation, ô c que viennent admirer
de toutes les parties de l’univers ces
hommes à fentiment qui favent les apprécier.
Les Manufactures foiblement protégées
ou mal conduites, tomberont. Plus
d’étoffes de goût. Plus de jolis ornemens,
foit dans notre argenterie , foit dans nos
meubles ou nos effets. Plus de ces petits
riens que nos Merciers étalent avec tant
de complaifance , dont le deflein fait tout
le mérite , ô c dont le commerce eft fï
confidérable dans le pays étranger. Ne
le difîïmulons point, Monfieur : nos mo-
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