prochain , ôc pieux fans aimer Dieu ;
c ’eft-à-dire , pouvoir aimer Ton prochain
fans le fervir , & pouvoir aimer Dieu
fans le connoître. Les perfonnes même
qui parlent le plus de la piété , de la
dévotion <5c de la Religion, qui font occupées
à les enfeigner, ne font point du
tout inftruites des perfeélions de l’Etre
fuprême. Elles ont une faufle idée de fa
bonté & de fa juftice. Elles fe figurent
un Dieu qui ne mérite ni d’être imité ,
ni d’être aimé. Lorfqu’il s’agit de faire
voir fa bonté fuprême, elles ont recours
à fa puiflance irréfïftible ; <5c elles emploient
un pouvoir defpotique , quand
elles devroient faire valoir une puiflance
réglée par la plus parfaite fagefle. Il eft
donc de la plus grande importance de
bien connoître cet Etre fuprême pour
l ’aimer véritablement, le fervir de même,
& en parler comme il convient.
Dieu eft la première raifon des chofes.
Celles que nous voyons font contingentes
, ôc n’ont rien en elles qui rende leur
exiftence néceflaire. Car le temps, l’ef-
pace & la matière unies , uniformes en
elles-mêmes, ôc indifférentes à tou t, pou-
voient recevoir tous autres mouvemens
Ôc figures, ôc dans un autre ordre. La
raifon de l’exiftence du monde qui èft
Paffemblage entier des chofes contingentes
, réfide dans la fubftance qui porte
la raifon de fon exiftence avec elle,
laquelle eft par conféquent néceflaire «5c
éternelle. Cette fubftance doit donc
être intelligente. Tin effet, ce monde qui
exifte étant contingent, & une infinité
d’autres mondes étant également pof-
fiblés , la caufe de ce monde n’a pu le
produire fans avoir eu égard à tous ces
mondes poffibles ; «5c cet égard d’une fubftance
exiftante à de fîmples poflïbilités ,
ne peut être autre chofe que l’entendement
qui en a les idées. Déterminer
une de ces poflïbilités , eft donc
néceflairement l’aÔe de la volonté qui
choifit. C ’eft la puiflance de cette
fubftance qui en rend là volonté efficace.
L a puiflance va à l’E tre , l’ entendement
au v ra i, «5c la volonté au bien. Or
comme cette caufe intelligente s’étend
fur-tout ce qui eft poflïble ; elle doit
être infinie de toutes les manières, <5c ab-
folument parfaite en puiflance , en fagefle
& en bonté. Son entendement eft
la fôurce des eflences, ôc fa volonté eft
l’origine des exiftences.
Mais fa fuprême fageflè dans tout ce
qu’elle a produit, n’a pu manquer de
choifir le meilleur. Car comme un moindre
mal eft une efpèce de bien, de même
un moindre bien eft une efpèce «de mal,
parce qu’il fait obftacle à un bien plus
grand ; <5c il y auroit quelque chofe à
corriger dans les oeuvres de Dieu, s’il y
avoit moyen de mieux faire. A in f i, s’il
n’y avoit pas le meilleur parmi tous les
mondes poffibles , Dieu n’en auroit produit
aucun. Dieu en ayant donc produit
un , il faut que ce monde foit le meilleur,
parce qu’il ne fait rien fans agir avec fa
fuprême raifon.
Si les hommes trouvent qu’il y a du
mal dans ce monde , c’eft que le mal
entre dans la compofition du meilleur des
mondes; qu’il y eft néceflaire pour pro-x
duire le bien. L e bien n’eft point fenfible,
fi on ne connoît point le mai. On ne fent
pas le prix de la fanté, fi l’on n’a jamais
été malade. Les ombres rehauflènt' les
couleurs , & une diflonance bien amenée
donne du relief à l’harmonie. Un
peu d’acide, d’âcre ou d’amer, plaît fou-
vent mie'ux que du fucre. Nous aimons
à être effrayés par des danfeurs de corde
qui font prêts à tomber Ôc nous trouvons
belles les Tragédies qui nous affligent
, qui nous font pleurer. En un
m o t, il ne faut fouvent qu’un peu de mai
pour rendre un bien beaucoup plus fenfible
, c’eft-à-dire plus grand.
Pour ne rien laifler d’obfcur, diftin-
guons le mal fuivant les différentes acceptions
qu’il peut avoir. Il y a trois fortes
de maux: le mal métaphyfîque, le mal
phyfique, ôc le mal moral. Le premier
confifte dans la fîrnple imperfection, le
fécond dans la fouffrance, Ôc le mal moral
$ans l’offenfe ou le péché. Premièrement,
quoique le mal phyfique «5c le mal moral ne
foient point néceflàires, il fuffit qu’en
vertu des vérités éternelles, il foit poffible.
E t comme cette région immenfe de
vérités contient toutes les poflïbilités;
il faut qu’il y ait une infinité de mondes
poffibles , que le mal entre dans plufieurs
d’entr’eux, «5c que même le meilleur de
tous en renferme.
En fécond lieu , le mal phyfique eft
fouvent une peine dûe à la coulpe ou à
l ’expiation du mal moral , <5c fouvent
auffi un moyen propre à empêcher de plus
grands maux, Ôc à obtenir de plus grands
biens. L a peine fert encore pour l’amendement
& pour l’exemple ; ôc le mal
fert fouvent pour mieux goûter le bien,
ôc quelquefois il contribue à une plus
grande perfection de celui qui le fouffre.
Notre volonté tend au bien en général;
elle va vers la perfection qui nous convient
, «5c la fuprême perfection eft en
Dieu. Tous les plaifirs ont en eux-mêmes
quelque fentiment de perfection : mais
lorfqu’on fe borne aux plaifirs des fens
ou à d’autres, au préjudice de plus grands
biens, comme de la fanté , de la vertu,
de la félicité, de l’union avec Dieu, on
fe prive du bien réel ; ôc c’eft dans cette
privation que confifte le mal. En général
la perfection eft pofitive : c’eft une
réalité abfolue. L e mal eft privatif : il
vient de la limitation, «5c tend à des privations
nouvelles.
Quand nous faifons le mal, cela vient
de ce que nous ne fuivons pas toujours
le dernier jugement de l’entendement
pratique, en npus déterminant à vouloir;
mais nous fuivons toujours en voulant,
le réfuitat de toutes les inclinations, qui
viennent tant du côté des raifons que
des paffions : ce qui fe fait fouvent fans
un jugement exprès de l’entendement.
Tout eft donc certain <5c déterminé
par avance dans l’homme comme partout
ailleurs , Ôc l’ame humaine eft une
efpèce d’automate fpirituel, quoique les
aClions contingentes en général ôc les
aCtions libres en particulier ne foient
point néceffaires pour cela d’une nécef-
fité abfolue , laquelle feroit véritablement
incompatible avec la contingence.
A in fi,n i la détermination ou la futuri-
tion en elle-même, toute certaine qu’elle
.............. 4 J
e ft, ni la prévifion infaillible de D ieu ,
ni la prédétermination des caufes , ni
celle des décrets de D ieu , ne déiruilent
point cette contingence Ôc cette liberté ;
Ôc puifque le décret de Dieu confifte uniquement
dans la réfolution qu’il prend
(après avoir comparé tous les mondes
poffibles) de choifir le meilleur, <5c de*
l’admettre à l ’exiftence par le mot tout-
puiflant fiat ( foit fait ) avec tout ce que
ce monde contient, il eft vifible que ce
décret ne change rien dans la conftitu-
tion des chofes, <5c qu’il les laiflê telles
qu’elles étoient dans l ’état de pure, pof-
fibilité ; c’eft-à-dire, qu’il ne change rien
ni dans leur eflenceou nature, ni même
dans leurs accidens, repréfentés déjà parfaitement
dans l’idée de ce monde pof-
fible.
Concluons donc que,la bonté feule de
Dieu l ’a déterminé à créer cet Univers
; que cette bonté l’a porté ( anté-
cédemment) à créer ôc à produire tout
bien poflïble; que (à fagefle en a fait le
triage, & a choifî le meilleur ( confé-
quemment ) ; ôc enfin que fa puiflance lui
a donné le moyen d’exécuter ( actuellement
) le grand deflein qu’il a formé.
Métaphyfique de L e i b n i t z , ou Jyfiêmc
fur les motifs des chofes humaines, la nature
des Etres , &* U union de Vame & du ■
corps.
Rien n’exifte , rien n’arrive dans le
monde fans une raifon fuffifante, c’eft-à-
dire , fans une raifon qui détermine l’exiftence
ou l’état a«ftuel de la -chofe de la
manière dont elle eft plutQt qu-’autre-
ment. Une caufe contient non-feulement
le principe de l’état de la chofe dont
elle eft caufe , mais encore la raifon par
laquelle un Etre intelligent peut com,-
prendre pourquoi cette chofe exifte. I l
y a donc dans tout ce qui exifte une
chofe par laquelle on peut comprendre
pourquoi ce qui eft a pu exifter, ou autrement
une raifon fuffifante de fon exiftence.
Mais cette raifon ne peut être
dans un Etre contingent ou créé
car fi elle y é to i t , il feroit impolfible