nourriffent noft de viandes, mais de fruits.
D ’ailleurs, fi cette fage mere de toutes
chofes leur avoit deftiné la viande pour
nourriture,ellelaleurauroitpréparée comme
elle a foin de lui faire cuire les fruits fans
qu’ils paffent par le feu : au lieu que nous
avons en horreur la chair crue, ôc que nous
fommes obligés de la faire cuire pour en
ôter la crudité. L a nature ne refufe pas le
néceffaire ; & qui eft-ce qui eft plus néceffaire
que d’ajouter le goût & le plaifir aux
différentes nourritures qu’elle nous donne
? Dans cet âge tendre, où le goût n’eft
point encore dépravé, fi on préfente à un
enfant de la viande ôc des fruits en même
temps, il n’héfite pas fur le choix ; il fe
faifit des fruits. Que n’arriveroit-il pas,fi on
le laiffoit maître de fuivre ce goût ? Notre
Philofophe dit encore que la chair efi la
femence des maladies, parce qu’elle eft
une nourriture trop fucculente pour notre
corps, qu’elle furcharge l’eltomac, empêche
ladigeftion,& offufque l’efprir.La nourriture
des fruits ne produit pas le même
effet. C ’eft au contraire un aliment léger.
Comme il ne fatigue point l’eftomac, il fe
digéré facilement, ôc forme un chyle fuffi-
fanc & falutaire pour notre nourriture.
T ou t cet écrit eft plein de preuves & de
chofes qui découvrent une imagination
très-féconde , & une fagacité admirable.
G a s s e n d i fimfibit àpeine cette réponfe
à M. Vanhelmont, qu’il reçut une lettre de
M. Reneri, lequel le prefïoit de s’acquitter
de fa promeffe. C ’étoit lui demander un
travail bien oppofé à celui auquel il venoit
de fe livrer. Mais les grands génies fe prêtent
à tou t, & fe plient aux différens objets
que la volonté fuggere, parce qu’ils làifif-
fent à la première vue le point précis de la
queftion. Celui qui nous occupe actuellement
, prit donc la plume pour fatisfaire
à M. Reneri ; & oubliant prefque dans le
moment tous les détails anatomiques qu’il
avoit dans la tête, il s’enfonça dans la Phy-
fique & dans la Morale. Il s’agiffoit d’expliquer
un phénomène fingulier, qui avoit
été obfervé à Rome le 20 Mafs 16 2$ *
c’étoient quatre parhélies ou faux foleils au«
tour du véritable. G assendi commença
par fe munir de la figure & de la defcrip-
tion qu’on avoit donnée à Rome de ce$
parhélies : mais fans chercher à en expliquer
la caufe, il fe contenta de détruire la
préjugé où l’on était de croire que ces météores
(a) préfageoient quelques malheurs,
C ’ejl une chofe pitoyable, dit-il, de voir que
la plupart des Savans Je laîffent ainjî emporter
à des opinions populaires, tir que ces phénomènes
, pour arriver rarement, leur jettent de lq
poujjiere aux yeux, comme s’ils n’arriv oient
pas naturellement: il ejlvrai que nous en ignorons
les caufes, aujji bien que la maniéré dont
ils font produits. Si cette ignorance doit nous
faire craindre quelque malheur, appréhendons
aujji tout ce que la nature produit. M. Reneri
fitaufiitôt imprimer cette differtation fous
ce titre: Phenomenon rarum obfervatum 20
Martii 1 62$ , £r ejus caujarum explïcatio•
A u milieu de toutes ces occupations ,
notre Philofophe n’oublioit pas la pro-
melîe qu’il avoit faite au Pere Mtrjenne
de repouftèr les attaques de M. Fludd. I l
s’acquitta enfin de fa promeffe, ôc adrefla
une lettre à ce Minime, contenant une
réfutation des écrits que ce Savant avoit
publiés contre lui. Libre de tout engagement
, il reprit un travail qui lui tenoit fort
au coeur : c’étoit l’examen de la Philofo-
phie d'Epicure. I l avoit lu un éloge de ce
Philofophe , compofé par M. Puteanus,
que M. Peyrefc lui avoit communiqué, ÔC
cette lefture avoit produit fur fon efprit à
peu près le même effet que les principes
deDefcartes avoient opéré fur celui du Pere
Malebranche (b).. Il fit des recherches infinies
pour connoître à fond la vie & la doctrine
d'Epicure, parce qu’il croyoit voir
dans cette do&rine la baie d’une faine Phi—
lofophie. Pendant qu’il fe livroit à des méditations
très-profondes là-deffus , M. Reneri
le pria par une lettre de vouloir bien
lui faire favoir laquelle de ces trois méthodes
d’enfeigner les enfans, il eftimoit la
ÿîus convenable : ou de les appliquer à la
ieélure & à la traduction des Auteurs, ou
•d’exercer beaucoup leur mémoire, ou de les
faire compofer. Gassendi répondit que
chacune de ces trois méthodes avoir des
avantages particuliers, Sc qu’il ne falloit
.point les divifer. Premièrement, en lifant
ôc traduifant les Auteurs, ils formeront,
d it- il, leur ftyle ; ils apprendront peu à
.peu les différentes façons de parler,ils s’approprieront
leurs phrafes, Sc fe rendront
familiers ces mêmes Auteurs par une lecture
fréquente ôc aflïdue. En fécond lieu,
dans l’enfonce, où.l’on apprend facilement
tout ce que l’on v eu t, parce qu’on n’eft
point diftrait par aucune pafiion, rien n’eft
plus néceffaire que d’exercer la mémoire ;
Sc plus elle eft heureufe, plus il eft facile
de devenir favant. C ar la mémoire n’eft
pas feulement un grand ornement : elle eft
encore très -utile pour former le jugement.
Enfin , quant aux verfions* il eft certain,
qu’en rendant en françois ce qui eft en
grec.ou en latin, ou en rendant en latin ou
•en grec ce qui eft en françois, on s’approprie
ce qui eft étranger ; on évite avec plus
de foin les fautes qu’on feroit, fi on fe conte,
ntoit de parlerces langues ; on choifit les
termes les plus propres ôc les phrafes les
plus convenables. Ces avis judicieux font
terminés par une belle réflexion fur la Phi-
•lofophie qu’on enfeignoit alors dans les,-
écoles. On avoit refufé à Reneri la chaire
de Profeffeur de Philofophie dans l’Uni ver-
fité de L e yd e , quoiqu’on l’eût jugé très-
capable de la remplir. G assendi, après lui
avoir témoigné le déplaifir qu’il en a ,
ajoute : La Philofophie qui s’enfeigne déordinaire
dans les écoles, n’efl qu’une Philojbphie
de Théâtre, dont l’appareil ne confijle que dans
l ’ojlentation ; tandis que la vraie Philofophie
Je trouve réfugiée fous les toits de quelques particuliers
, qui tâchent de la retenir G* de la cultiver
à l’ombre Gr dans le Jilence.
C ’étoit là aufli l’occupation de notre
Philofophe. I l étoit alors à Paris, où il
cultivoit de nouveau fa fcience favorite ,
î ’Aftronomie. I l communiquoit fes obfer-
vations au fameux Kepler, Mathématicien
de l’ Empereur, dont M. Diodati lui avoit
procuré la correfpondance, ôc fe difpofoit
àobferver le paffage de Mercure fur le dif*
que du Soleil que Kepler avoit prédit pour
l ’année 1 6 3 1 . I l fit cette obfervation avec
M. la MotheleVayer. I l méconnut d’abord
Mercure^ ôc le prit pour une des taches du
Soleil; mais larondeur ôc la vîteffe de cette
prétendue tache l’avertirent bientôt de fa
méprife,.& il continua de fuivre la planète
julqu’à la fortie du difque. Il conclut
de fon obfervation, que le diamètre apparent
de Mercure étoit la centième partie
de celui du Soleil. Il communiqua fan travail
aux Aftronomes par un écrit qui parut
fous ce titre : Mercurius in Joie vifus, £r Venus
invifa , Parifiis anno 1 6 3 1, pro vota &
admonitione Joannis Kepleri. Il en reçut
mille louanges. Tous les Savans convinrent
qu’il-avoit la gloire d’avoir fait le premier
cette obfervation ; ôc M. R oui lia ud
fut fi charmé de la maniéré dont elle avoit
é té faite, qu’il dédia à notréPhilofophe Je
dixiéme Livre de fon Aftronomie. Martin
Hortetifîus lui témoigna de la même façon
le plaifir que lui avoit fait fon O uvrage
, en lui en dédiant un qu’il avoit
compofé fur Mercure.
G assendi fit encore une obfervation à
Paris : ce fut la conjonction de Mercure ÔC
de Venus, qui arriva le 31 Juillet 16 32 .
I l partit enfuitepour la Province. I l eut
pour compagnon de voyage un Cônfeiller
au Grand Confeil, nommé M. Mandat.
Ils allèrent enfemble à L y on & à Grenoble
, ôc logèrent toujours dans les mêmes
endroits, fans que le Cônfeiller connût autrement
notre Philofophe que par fa qualité
de Prévôt de l’Eglife de Digne. Un
jour étant à Grenoble, M. Mandat rencontra
dans les rues un de fes amis, q u i,
après les civilités ordinaires,-lui dit qu’il
alloit rendre vifîte à un grand ôc célébré
Philofophe, lequel avoit autrefois demeuré
dans cette V ille , Sc qu’on appelloit Gassendi.
M. Mandat, àcenomde Gassendi
, le pria de fbuffrir qu’il l’accompagnât.
Jcn ai tant oui parler, lui d it-il, ôc il y a fi
long-temps que je meurs d’envie de le connoître
, que je n’en laifferai pas échapper
l’oocafion. Mais quelle fut fa furprife, lorf-
que fon ami lui fit reprendre le chemin de
fon auberge, ôc qu’il le conduifit chez le
F