propre. I l appelle la lettre de Bernoulli
à notre Philofophe Pécrit d’un prétendu
Mathématicien. I l prétend que laPhilo-
fophie de Leibnitz eft pleine d’erreurs;
que Tes idées fur les miracles, fur l’ame,
fur l’harmonie préétablie , ne font point
recevables ; ôc paffant de-là au fujet principal
de fa lettre, il foutient qu’il n’a
inventé qu’en fécond la méthode des
différences, ôc le rappelle à fon propre
témoignage & à fon propre aveu. I l me
femble (s’il eft permis d’ajouter quelque
chofe à la lettre du grand Newton ) que ce
n’étoit point là répondre à la plainte de notre
Philofophe , que M. Keill accufoit
d’être plagiaire,La primautéde l’invention
affuroit bien la gloire du Philofophe A n -
glois ; mais elle condamnoit tacitement
l ’accu fation très-grave &fans doute très-
mal fondée de M. Keill. Leibnitz répondit
à Newton qu’il renouvelloit vo lontiers
l’aveu qu’il avoit déjà fait, qu’on
ne pouvoit lui refufer l’invention de la
méthode des fluxions, ôc que cette méthode
étoit la même que celle du calcul
des différences; & il le pria en même
temps de fe fouvenir qu’il lui en avoit
accordé autant, c’eft-à-dire , qu’il avoit
reconnu qu’il étoit auflî lui-même l’inventeur
du calcul différentiel (I ) . C e fut
ici le dernier écrit que compofa notre
Philofophe fur cette difpute. Toutes les
perfonnes non prévenues convinrent que
M. Keill l’avoit infulté injuftement ; car
comme l’a fort bien remarqué M.deFon-
tenellej » il faut des preuves d’une extrême
» évidence pour convaincre un homme
» tel que lui d’être plagiaire le moins du
» monde (m) ». C e plagiat ne doit plus
être un problème ; ôc pour mettre la
chofe dans le plus grand jou r , voici un
réfumé de toute cette affaire.
En 16 8 4 , Leibnitz publie les Elé -
mens du calcul de l’infini, & perfonne
ne dit mot. En 1 6 8 7 , Newton publie les
Elémensde fa méthode des fluxions, &
convient qu’elle eft femblable à celle du
calcul des différences. U^allis avoue
que Leibnitz & Newton ont fait la
même découverte, & n’ofe pas déterminer
l’époque de l ’invention. Fatio plus
hardi, fans être mieux inftruit, appelle
Newton le premier inventeur, ôc notre
Philofophe le fécond inventeur. Vingt
années s’écoulent fans que perfonne, fans
que Newton lui-même réclame l’invention
abfolue du nouveau calcul ; ôc voilà
tout-à-coup M. Keill qui prétend que
Leibnitz a pris ce calcul de la méthode
des fluxions. C ’eft s’y prendre bien tard
pour revendiquer la propriété d’une découverte.
Pourquoi n’avoir pas crié plutôt
au vol ? Pourquoi f Parce qu’on ne
regardoit pas en Angleterre cette découverte
comme quelque chofe de confé-
quence, ôç que ce ne fut que quand on
vit les merveilles qu’elle opéroit entre
les mains de notre Philofophe & de MM.
Bernoulli, qu’on fut jaloux de cette invention.
Newton lui-même (car il faut être
de bonne foi ) n’avoit pas compris toute
l’étendue de fa découverte, puifqu’il n’en
avoit point fait ufage dans fes Principes
mathématiques, oijil en avoit eu fi fouvent
l ’occafion. A l’égard des lettres fur lef-
quelles M. Keill s’appuie fi fo r t, c’eft une
pure vétille ; car voici à quoi cela fe
réduit. Ou Newton préfumoit avanta-
geufement de la probité de Leibnitz ,
ou il la tenoit pour fufpeéfce. S ’il en préfumoit
avantageufement , il doit s’en rapporter
à fon témoignage, lorfqu’il l’af-
fure qu’il avoit fait la même découverte
que lui. Si au contraire il la tenoit pour
fufpeéte, il ne devoit pas lui faire part de
fes inventions. L a queftion fe réduit donc
à favoir fi Leibnitz étoit un honnête
homme; & je crois que ce point n’a pas
befoin de preuves. Quand il n’auroit point
inventé le calcul différentiel, il n’en fe-
roit pas moins un grand homme. C e qu’il
y a de fingulier, c’eft qu’on ne voit pas
dans toute cette difpute que Newton ait
jamais refufé à Leibnitz l’invention du
nouveau calcul. C ’eft uniquement l’ouvrage
de fes difciples, qui n’ont point en-
( l ) Voyez le Recueil de diverfes pièces fur la Pljilofo-
pbie , l’Hijloirc Naturelle, èiç.
( m ) <£uvres dt M. d* Eontcftfllf, Tome V , page
M
tendu
L E I B
tendu en ce point l’intérêt de leur maître.
Concluons donc que notre Philofophe
eft l’inventeur du calcul différentiel ,
ôc ajoutons que peu de temps avant fa
mort il avoit écrit à IFolf, qu’outre le
commerce épiftolaire qu’il vouloit donner
en oppofition au Commercium epijlolicum
de Londres, il comptoit encore mettre
au jour quelque chofe de nouveau fur le
ca lcu l, qui n’auroit rien de femblable
aux inventions de Newton ôc des autres
Mathématiciens Anglois.
Dans le feu de cette querelle , la paix
ayant fuccédé à une guerre générale, le
R oi de Pruffe eut des affaires fi importantes,
qu’il négligea abfolument l’Académie
de Berlin, dont Leibnitz étoit Préfi-
dent. Touché de cet abandon , notre
Philofophe foutenu de toute la faveur du
Prince Eugene, fit un voyage à Vienne ,
pour folliciter l’Empereur d’établir une
Académie des Sciences dans cette Ville ;
mais les fléaux de la guerre & de la pefte
quiravageoientprefquetoutel’Allemagne,
ne permirent point à l’Empereur d’exécuter
ce projet. Pendant fon féjour à Vienne
, quelques Catholiques voulurent l’engager
à embraffer la Religion Romaine.
Ils croyoient l’avoir enfin perfuadé ;
mais dès qu’ils le virent partir pour
Hannovre, fans rien conclure, fis perdirent
toute efpérance ; & on fit alors fur
lui ce jeu de mots Allemands, Leibnitz
Glaubtnitq, c’eft-à-dire, L e 1 bni t z
ne croit rien. C e grand homme étoit allé
dans cePays pour faluer l’Eleéleur devenu
Roi d’Angleterre. C ’eft-là qu’il termina
fa difpute fur le calcul différentiel , difpute
qui altéra beaucoup fa fanté. I l étoit
fujet à la goutte, ôc fes attaques devinrent
plus fréquentes. I l les foulageoit
fouvent à fa manière, & quelquefois aufiï
fuivant les confeils de deux ou trois Médecins
de fes amis. Un jour dans un accès
violent, un Jéfuite d’Ingolftad lui con-
feilla de prendre une tifane qu’il compofa
lui-même. Trop docile à cet avis ,
N I T Z. 41
le malade but cette tifarte qui ne paflà
point. Elle lui caufa des douleurs néfré-
tiques , lefquelles aigrirent beaucoup
celles de la goutte. I l tomba dans des
convulfions fi violentes,. qu’il y fuccomba
dans l’efpace d’une heure. I l expira le
14 Novembre 1 7 1 <5, âgé de foixante-s
dix ans, quatre mois ôc onze jours.
I l conferva toute la vigueur de fon
efprit jufqu’au dernier moment, ôc montra
toujours beaucoup de fermeté & de
grandeur d’ame. I l v it d’un oeil fec les
approches de la mort, fans foibleffe ÔC
fans crainte. I l raifonnoit encore peu
d’heures avant fon dernier moment fur
des matières philofophiques, M. Eccard,
fon ami, fe chargea du foin de fa fépul-
ture. I l invita toute la Cour à fes funérailles,
mais aucun Courtifan n’y parut ;,
ôc cela devoit être, parce qu’on ne peut
être Courtifan , fans avoir , comme dit
la Bruyere, une ame pétrie de boue ÔC
d’ordures, qui ne connoît que l’orgueil
ôc l’intérêt, ôc incapable par conféquent
de rendre hommage au feul mérite. M.
Eccard n’en remplit pas avec moins d’ardeur
les derniers devoirs envers fon
illuftre ami. I l mit fur fa tombe plufieurs
emblèmes qui cara&érifoient bien l’élévation
de fon génie ôc les belles qualités
de fon coeur, Ôc y fit graver cette épitaphe
; OjJ'a ïllujîris viri Godofredi Gulielmi
I.eibnitïu 6'. Coef. Map Conjil. Aulici S.
Reg. Map Britanniarum. S. RuJJbrum
Monarchicc à Confiliis Jujliiiæ intimïs. Na-
tusann. M. D C X L V I . Die X X I I I . Ja-
nii. Decejjit ann. M. D C C . X^V I . D k
X IV . Novembris *.
Tous les Poètes d’Allemagne jettèrent
des fleurs fur fon tombeau. Us compo-
fèrent un grand nombre de vers à fon
honneur en plufieurs langues, & répandirent
des larmefe fincères fur fa perte.
Notre Philofophe méritoit bien ces regrets.
Son humeur étoit gaie, fa conversation
également agréable ôc utile, & fo n
coeur exceilenuLa douceur defaphyfio-
* U' y a ici deux fautes ; la naiflance de L eib.n it z
eft marquée au 23 de Juin vieux ftyle, & fa mort
suh 14 Novembre nouveau ftyle- Pour conferver le
même ftyle, il falloit mettre qu'il étoit né 1 r s de;
Juillet.
F