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11 étoit d’ailleurs diftrait par la. difpute
qu’il a v o i t , ou plutôt que Tes Difciples
avoient avec Leibnit^ fur le calcul différentiel.
Je fais l’hiftoire de cette difpute
dans celle de Leibnit^ ; ôc en examinant
la chofe avec la plus exaéte impartialité,
8c d’après les'pièces les plus autentiques,
je crois pouvoir décider que lè Philo-
fophe Allemand n’avoit rien pris du Phi-
lofophe Anglois ; que fi celui ci avoit
inventé la méthode des Fluxions , l’autre
avoit aulïi imaginé le calcul différentiel.
I l s’étoit rencontré avec N e w t o n ,
comme N ewt o n même s’étoit rencontré
avec Mercator. On n’a jamais rien
reproché à ce dernier Géomètre fur cette
conformité d’idées avec notre Philofophe,
touchant les premiers élémens de la méthode
des Fluxions ; ôc on ne veut point
que Leibnit^ ait eu le même avantage. C e pendant
y a-t-il quelque comparaifon à
faire entre un Leibnit\ ôc un Mercator ?
Après avoir fervi utilement le genre
humain par fes travaux philofophiques,
Newton fe dévoua tout entier au fer-
vice de fa Patrie. I l ne s’occupoit
des fçiences que pour fe délaffer des
peines que lui donnoit fon état. Q ue lquefois
cependant l’amour qu’il avoit
pour Jes Mathématiques le ramenoit à
cette belle fcience , mais il ne tardoit pas
à reprendre fes fonctions ordinaires. Dans
la chaleur de la difpute du calcul différentiel
, Leibnit% ayant propofé aux Anglois
comme un d é fi, la folution du Problème
des Trajectoires (h ) , notre Philofophe
reçut ce défi à quatre heures du
fo ir , en revenant de la Monnoye fort fatigué
, & il ne fe coucha point qu’il n’y
eut fatisfait. Ilavançoit ainfîdans fa carrière
, Ôc quoiqu’il eût quatre-vingts ans^,
il jouiffoit d’une fanté toujours égale.
Mais l’année fuivante il fe fentit incommodé
d’une incontinence d’urine. Ce fut
pour lui un avertiffement de ne fonger
déformais qu’à quitter ce monde. I l chargea
M. Conduit, qui avoit époufé une
de fes nièces ,d e remplir fes fonctions de
T o N.
la Monnoye. La leélure & fes amis rem-
pliffoient tout fon temps. Son mal en.
prenoit aùfïi une grande partie. Les Médecins
jugèrent qu’il avoit la pierre, de
qu’il n’y avoit pas efpoir de guéri fon. On
ne penfa donc plus qu’à adout ir fes maux ;
mais tous les foins qu’on prenoit à cet
effet étoient prefque inutiles. Newton
éprouvoit des douleurs li aigues , que des
gouttes de fueur lui en couloient fur le
v ifa g e , ôc il les fupportoit avec une conf-
tance héroïque , fans faire la moindre
plainte. I l étoit même gai lorfqu?il avoit
quelque relâche. 11 falloit pourtant finir.
L e 2 p Mars ( nouveau fl y le ) après'
s’être entretenu une grande partie du jour
avec le Doéteur Mhead, Médecin 'Célébré
, il perdit abfolument connoiffance,
ôc ne la reprit plus. Il expira deux jours
après , c ’eft-à-dire le 3 i Mars 1 7 2 6 ,
âgé de quatre-vingt-cinq ans.
Son corps fut expofé dans un lit de
parade dans la chambre de Jérufalem,
endroit qui eft deftiné en pareille occa-
fion pour les perfonnes du plus haut rang,
ôc même pour des têtes couronnées. I l
fut porté le jour du convoi dans l’A b baye
de Weftminfter avec une pompe
prefque'fans exemple. L ’Evêque de Ro-
chefter fit le fervice , accompagné de tout
le Clergé de l’Eglife. Six Pairs d’Angleterre
foutinrent le poile : c’étoient M y -
lord Grand Chancelier , le Duc de
Montrofe, celui de Rofburgh, ôc les Comtes
de Pembroke , de Sufj'ex ÔC de Maclesfied.
E t prefque tous les Seigneurs fe firent
un devoir ôc un mérite d’accompagner
le corps au cercueil. I l fut enterré dans
l’Abbaye près de l’entrée du choeur.
L a famille de l’illuftre défunt fe pro-
pofa d’élever à fa gloire un monument
digne de lui. Elle deftina pour cela une
fomme confîdérable. Il falloit obtenir
du Chapitre de Weftminfter lapermiffïon
de conftruire ce monument ; mais quoiqu’il
l’eut refufée à des perfonnes de la
première confidération , il l ’accorda avec
plaifir en mémoire d’un homme pour
( h) Ce Problème confifte à trouver une courbe qui coupe à angles droits, ou fous un angle confiant
une infinité d’autres courbes toutes du même genre.
NE JP
lequel il avoit tant de vénération. L e
maufolée .fut achevé en 1 7 3 1 , & on
grava fur la tombe cette Epitaphe : H.
S. E . Î s a a c u s N e w t o n u s , eques auratus,
quianimivi propè divinâ Planetarum motus,
figuras cometarum femitas , océanique cejius,
fuâ mathefi facem preferente , primas de-
monjîravit. Radiorum Lacis dijjimïlitudines,
colorumque inde nafeentium proprietates quas
nemo antefiifpicatus erat pervefiigavit. Na-
turæ , Antiquitads , SanB.ce Scripturæ fe -
dulus , fagax, jidus interpres , D . O. M.
majejîatem Philofophiâ aperuit : Evangelü
fimplicitatem moribus exprejjit. Sibi gratu-
lentur mortales taie tantumque extitiffe humant
generis decus. Natus X X V Dec. A .
D . M. D C . X L I I . obiit Mardi X X. M.
D C C . X X V I . (vieux ftyle. )
A cette belle Epitaphe, Pope, célébré
Poè'te Anglois, a ajouté celle-ci : I s a a -
cus N e w t o n u s , quem immortalem tejian-
ïur tempus, natura , coelum : mortalem hoc
marmor fatetur.
On a fait auftï à fon honneur ce Dif-
tique, dont la penfée eft b elle, quoique
foible de poè’fîe.
Naturam, legefque fuas nox atra tegebat :
Sit N e w t o n u s , ait Deus, G* Lux
cunElafuerunt ( h ).
N e w t o n avoit la taille médiocre,
peu d’embonpoint, l’oeil fort v i f , la phi—
fionomie agréable & vénérable en même
temps. Il étoit fimple, affable, modefte
Ôc d’une douce fociété. Magnifique fans
aucun regret dans toutes les occafions où
la bienféance exigeoit de la dépenfe ôc
de l’appareil, il fai fait les chofes de fort
bonne grâce. Dans tout autre temps il
vivoit très - frugalement ; & comme il
avoit de gros revenus, il laifTa après fa
mort en biens meubles fept cens mille
livres. I l ne s’etoit point marié. On a
( h ) c ’eft-à-dire , une nuit obfcure enveloppoit la Nature
& fes Loix. Dieu dit : que NEWTON Joit, & la
lumière brilla de toutes parts. M. Halley, dans les vers
qu'il a cotffacrés à la gloire de ce Philofophe, dit
qu’il n’eft pas permis à l’homme d’approcher de plus
près des Dieux ^ Necfas efi propius mortali attingere divos.
Penfée que M. de Voltaire a rendu par ces beaux vers ;
TON . 11
pourtant écrit qu’il avoit eu du goût pour
les femmes, qu’il avoit même un fils naturel.
Mais ceux qui ont écrit cela ne
l’ont point appuyé fur des autorités allez
refpeàables , pour qu’on doive y ajouter
foi.
On n’appercevoit pas dans fon air fa
grande fagacité. I l avoit même quelque
chofe de languiffant dans fon regard &
dans fes maniérés, qui ne donnoit pas une
grande idée de lui. Quoiqu’il eut prefque
perdu la mémoire pendant les dernières
années de fa v ie , il entendoit cependant
encore fes propres Ouvrages. Il cri-
tiquoit fouvent la méthode de traiter les
matières géométriques par des calculs algébriques
, & il donna à unTraité d’A l-
gèbre qu’il avoit compofé, le titre d’A -
rithmétique univerfelle, pour ne pas auto-
rifer l’ufage trop fréquent de ces calculs.
Il louoit fouvent Slujîus, Barow, ôc Hu-
guens , Mathématiciens célébrés , de ne
point fe laifter aller au faux goût, qui com-
mençoit à prévaloir. Il donnoit auftï des
éloges au louable deffein qu’avoit formé
un Géomètre nommé Hugues Domerique,
de remettre l’ancienne analyfe en vigueur,
ôc il eftimoit beaucoup le Livre De Sec-
tione radonis dÜAppollonius , parce qu’il
contient une expofition fort claire de
cette analyfè. Il faifoit grand cas de la
méthode d’Huguens : il le regardoit comme
le meilleur Ecrivain, ôc comme le plus
parfait imitateur des Anciens. Enfin il fe
reprochoit fouvent d’avoir commencé fes
études mathématiques par l’A lgèb re, ôc
d’avoir trop négligé la méthode d’Euclidei
■ Sur l’état du Monde , il penfoit
qu’il fe perd plus de mouvement dans la
Nature,qu’il n’en renaît; d’où il concluoit
que le fyftême de l’Univers dépériffoit
chaque jou r , Ôc qu’il fe derégleroit a la
fin entièrement ,Jï une main réparatrice ri y
retouchoiu
Confidents du Très-Haut , fubftances e'ternelles,
Qui brûlez de ces feux , qui couvrez de vos ailes,
Le trône o&: votre Maître eft affis parmi vous;
Parlez, du grand Newton n’eciez-vous point
jaloux?
E i j