DI S C O U RS x i i
tages, eft ce quon appelle la rai-
fon. C’eft une faculté dont le Mé-
taphyficien s’occupe ■ continuellement.
Il s’en fert pour déconipofer
toutes les' affections de l’ame , fes
perceptions , fes pallions & fa liberté
; ôc pour découvrir la fource
de fes illufions , de fes préjugés,
de fes erreurs & de fes perfections.
Par-là il parvient à fe connoître ôc
à favoir ce dont il eft capable ; &
cette connoiffance doit intéreffer
toute créature qui eft fupérieure
à l’animal.
L ’homme ainli développé peut
demander ce que c’eft que Dieu,
& de quelle nature font les êtres
que contient ce vafte univers, ôc
répondre à cette queftion. Ceci eft
fans doute très-hardi ôc très-élevé ;
mais quand les forces de l’efprit humain
font en jeu, il eft permis de
tenter les plus grandes chofes, parce
qu’on ne paffera point les bornes
qui lui font prefcrites. Ce ne fera
jamais que pour n’avoir pas bien
dépouillé ces forces, qu’on s’égarera
dans cette étude, ôc qu’on donnera
dans des erreurs,. Cela n’eft
malheureufement que trop arrivé.
De-lk le décri dans lequel la Mé*
.taphyfiqueétoit tombée il y a quelque
temps, quoiqu’elle foit la fcience
propre de l’homme. En effet,
il importe effentiellementà un être
raifonnable , d’être équitable ôc judicieux
dans toutes fes actions, dans
tous fes difcours , dans toutes fes
affaires ; car il n’y a rien de plus ef-
timable, fuivant la belle remarque
du favant Auteur de l’Art depenfer,
que le bon fens ôc la jufteffe de
l’efprit dans le difcernement du
vrai & du faux. On pourroit fe paf-
fer a la rigueur de toutes les autres
fciences ; mais l’exaûitude de la
raifon eft généralement utile dans
toutes les parties 6c dans tous les
emplois de la vie. * D’ailleurs il eft
impoflible de faire du progrès dans
aucune fcience, fans faire ufage de
cette raifon. Sans la Logique, point
de raifonnemens juftes. Sans l’anali-
fe des idées, point de progreflion de
connoiffances. Je dis plus. La théorie
de toutes les fciences eft fondée
fur des propofitions métaphyfiques.
Ce n’eft qu’en méditant, qu’en ré-
fléchiffant, qu’en raifonnant, qu’on
établit les principes ôe qu’on découvre
lés caufes. On ne paffe point
autrement les effet-s êt les phénomènes.
Simple fpeôtateur des ouvrages
de la nature , on ne peut
devenir ni le confident ni le dé-
traôteur de fes fecrets. La Méta-
phyfique feule en, éclaire ôt en
. éclaircit l’hiftoire. Enfin il eft évident
que l’efprit guidant les hommes
dans toutes leurs aidions , fes
opérations doivent former leur première
étude ; 6c que celui qui
connoît les facultés de l’entendement
, ôc l’art de les mettre en oeu-
* La Logique ou Van depenfer, premier Difcours,
P R E L I M
vre, eft capable de former toutes
fortes d’entreprifes. Premièrement
il eftime les hommes , 6c leur car
pacité réciproque. Il eft en état
de décider de leur mérite , d’apprécier
leur fagacité, de prononcer
quelle eft la fcience parmi celles
qu’ils ont étudiées, qui exige plus de
lumières ; en un mot de les juger,
parce qu’il fait démêler ce qui eft purement
méchanique, c’eft-à-dite ce
qui dépend uniquement des fens ôc
de l’habitude, de ce qui eft fondé
fur le raifonnement, 6c qu’il voit fi
l’objet d’une fcience ou d’un art
demande des idées fimples ou des
idées compofées. C’eft principalement
en ceci que confifte fa fupé-
riorité fur les autres hommes ; car
toute la force de l’efprit humain fe
réduit à remonter des idées fimples
aux idées complexes ; ôc plus
une fcience renferme de ces dernières,
plus elle eft difficile à apprendre.
En fécond lieu , un Métaphyfi-
cien tient en main les principes de
toutes les fciences , ces principes
étant dépendans de la Logique.
Troifiémement ,, les principes
étant connus , il fait la méthode
qu’on doit fuivre, pour en déduire
des propofitions qui conduifent
aux vérités les plus fubtiles ou les
plus cachées. Il faut pour ce dernier
article un génie ferme ôc vigoureux.
Rien n’eft plus difficile
que d’obferver les règles d’une faine
dialeûique , quand on forme
I N A l RE. xiîj
une chaîne d’idées complexes un
peu longue. Si l’on n’eft point accoutumé
à une folide méthode de
raifonner, on devient obfcur ôc inintelligible
; on s’embarraffe dans
fes idées ; ôc le fil du raifonnement
étant continuellement rompu , on
fe trouve fans ceffe en défaut. Ce
font toujours de nouveaux fophif-
mes qu’on imagine pour fe rallier.
L ’imagination s’échauffe ; ôc ou l’on
s’entête des plus grandes chimères ,
ou l’on fe perd dans un labyrinthe
d’idées, dont on a d’autant plus de
peine à fortir, qu’on ne s’apperçoit
pas qu’on eft dans un mauvais chemin.
C’eft auffi ce qui eft arrivé à
ceux qui ont voulu pénétrer dans les
profondeurs de la Métaphyfique
fans en avoir la capacité ; ôc c’eft
ce qui a produit ces fyftêmes ridicules
qui ont fait tant de tort à
cette fcience. Tels font ceux en-
tr’autres de M. Berkeley, Evêque
de Cloyne, ôc de M. Brunet, connu
par fon Hiftoire des progrès de la
Médecine,, ôc par plufieurs fyftêmes
de Phyfique, Le premier a fait
un Livre , où il foutient que nous
ne pouvons juger de rien. Pour le
prouver, il s’égare dans des raifonnemens
qui le conduifent enfin à
cette propofition ; L ’étendue, la fo-
lidité, la figure ôc la grandeur ne
font point dans les objets. Il n’y a
rien, dit - il , de fenfible que ce
qu’on apperçoit immédiatement.
Ce qu’on apperçoit eft une idée
qui ne peut pas exifter dans un être