tàt de grands troubles (a). L ’intention de
R a m u s n’étoit point cependant de faire
un éclat. I l vouloit gagner les efprits, &
non les fubjuguer. Pour y parvenir, il
fongea à fe procurer un pofle, afin d’avoir
un prétexte de faire quelque féjour parmi
les freres de fa Religion. En paflant à
Geneve, il demanda une Chaire de Philo-
fophie ; mais Théodore de Be\e, qui ne le
perdoit pas de vue, & qui ne cherchoit
qu’à l’écarter , empêcha qu’il ne fût reçu.
L ’amour de la patrie le ramena chez lui
à Paris, à la fin de l’année iy 7 J . I l étoit
à peine arrivé, qu’on le follicita par de
grandes promefles à aller en Pologne,
auprès du Roi Sigifmond-Augufie, pour
prévenir par fon éloquence les Polonois
en faveur du Duc d’A n jo u , qui fut élu
l’année fuivante. Ces promefles ne le tentèrent
point. Il refufa les offres qu’on lui
faifoit, en répondant que l’éloquence ne
devoit point être mercénaire , & qu’il fal-
loit que la qualité d’homme de bien fe
trouvât dans un Orateur. Son zèle pour fa
religion Poccupoit entièrement. I l en fit
en quelque forte parade, en fuivant publiquement
le culte ôc les opinions du Pro-
teftantifrne. Il fut ainfi compris dans le
maflacre desHuguenotsle 2 y Août 17 72 ,
le jour de S. Barthelemi. Il étoit alors au
College de Prefle. Dès la première émotion
, il alla fe réfugier à un cinquième étage,
dans une efpece de grenier dont il faifoit
fà bibliothèque. Il y demeura caché deux
jours. Son infâme ennemi CKarpentier,
après l’avoir cherché long-temps, l ’y découvrit.
R a m u s lui demanda la vie ; mais
cet homme inhumain, feignant de la lui
accorder, commença par la lui vendre',
en exigeant l’argent qu’il avoit ; ôc après
cette aCtion baffe Ôc indigne , il eut la
cruauté de le livrer aux affaffins qu’il avoit
à (es gages.. Ces bourreaux l’égorgerent &
le jetterent enfuite par la fenêtre dans h
cour de fon College (b). Ses entrailles étant
forties de fon corps par cette chute, les écoliers
, que leurs Régens animoient, les répandirent
dans les rues, ôc traînèrent igno-
minieufement fon corps, en le frappant
avec des verges, depuis le College de
Prefle, fitué rue des Carmes, jufqu’à la
place Maubert, & le jetterent enfuite dans
lariviere. Les difciples du défunt vinrent
recueillir les malheureux reftes de leur maître,
ils arrêtèrent le cadavre flottant fur
l ’eau vers le Pont S. Michel, & le mirent
dans un bachot. I l fut expofé là quelque
temps à la curiofité de tout Paris , qui accourut,
afin devoir pour la derniere fois
le corps de ce grand homme. On prétend
qu’un Chirurgien fe glifta parmi la foule,
ôc lui coupa la tête ; mais on ne fait pas
ce que devint le tronc. C ’eft ainfi qu’il
finit le 2 7 A oû t 15 7 2 , âgé de 67 ans*
R a m u s avoit, la taille belle & la figure
avantageufe, la têtegroflè, le front large ,
le nez aquilin, la barbe noire,, grande &
bien fournie, Ôc le teint fort brun. Une
vigoureufe complexion le rendoit infatigable
au travail. Extrêmement dur à lui-
même, il couehoit fur la paille , ôc n’eut
point d’autre lit depuis-fon enfance jufqu’à
la vieillefle. Levé ordinairement vers les.
cinq heures du matin, il employoit tout le
jour à lire, à écrire ôc à méditer; ôc pour
conferver à fon efprit plus de liberté pendant
la journée, Til ne prenoit le matin
qu’un léger repas. L e foir il mangeoic
un peu davantage. Il fe promenoit enfuite
pendant deux ou trois heures, ou s’entre-
tenoit avec fes amis. Son aliment ordinaire
étoit de la viande bouillie, ôc fa boif-
fon de l’eau.. Ce ne fut que dans un âge un
peu avancé qu’il commença à boire du vin-
par ordre des Alédeci ns. Il prenoit les bains;
une fois l’année, ôc tous, les jours iilavoit
[As! NanceLius eft peut-être le- feu}.' de-tous les Hifto-
ïlens de Ramus qui ait, raconté là mort telle que ie
la rapporte-. Les autres ont écrit* qu’ il fe cacha dans
une cave , & q a’après qu-’ on L’ y eut-. alfaffîné „ on le
je « a par la fenêtre Lorfque je lus ce trait de. la fin
de notre Phüofôp’h.e , je ne pouvois cor. cevoi t c o nias.
e;.t on pouvoit jetterun homme de là fer-être d’unç
c a v e à iivGtes <ju.c etrtc. fenctic o a CoupiruLüie xe.po.ndît
à quelque bas fond’. Pour m’en éclaircir,.je me fuis
tranfporté au College de Prefle , & M. M il et-, Principal'
aéhiclde ce College, quia procuré ail Graveur le portrait
de Ramus , m’a fait voir obligeamment rendroit
où ce Plnîofôphe s’étoit caché, & m’a aidé de fes lumieres
& de fes livres , p ont rendre cotte hiftoireplus.
vraie & plus eixaéte. Voici le récit de Na,iceH„s....*
JW m tjuid facer a■ j w'° f iw ™ !., ubi la ten t:ad cdtijftr
mum. C iliegiï cttbiu
fa barbe & fon vifage avec un mélange
d’eau Ôc de vin blanc. I l garda le célibat
avec une pureté qui ne fut pas même foup-
çonnée de taches, ôc il évitoit avec foin
les converfations malhonnêtes. I l confer-
■ voit fa fanté, ôc fe guérifîoit de fes indif-
pofitions par la fobriété, l ’abftinence &
l’exercice, Ôc fur-tout par celui de la paume.
Quant à fon cara&ere, il étoit .fort défin-
térefle ôc extrêmement libéral, tellement
qu’il diftribuoit une partie de fes revenus à
ceux de fes écolièrs qui en avoient be-
foin. I l avoit beaucoup de fermeté dans fes
difgraces, & il ne répondit jamais aux critiques
, pour ne pas dire aux fatyres qu’on
faifoit de fes écrits & de fa perfonne. D ’ailleurs
il aimoit beaucoup à fe diftinguer,
ôc étoit un peu contredifant & opiniâtre.
C ’efl: cette humeur qui l’engagea dans des
difputes défagréables qu’il auroit pu s’épargner.
Cela n’a pas empêché qu’on ne
fe foit univerfellement accordé à convenir
que c’étoit un des plus puiflans génies
qui eût paru. Sa fagacité étoit extrême, &
fon favoir étoit profond. I l pafîoit non-
feulement pour un grand Philofophe ,
mais pour .un Orateur fublime. Brantôme
dans fes Mémoires des Hommes ilhfires ,
(T om. IL ) rapporte un trait qui prouve
combien il favoit gagner les coeurs par le
talent de. la parole. R a m u s étant avec le
Prince de Coudé ôc l’Amiral de Coligni,
au voyage de Lorraine, leurs Rheitres ne
vouloient point pafler en France, qu’on
ne les eût bien payés : mais notre Philofophe
les harangua, ôc les fit venir fous l’o-
béiflance de ces Généraux aux conditions
qu’ils voulurent.
On appelle Ramifies les difciples de R am
u s , ôc Ramifme fa doétrine. Cette doctrine
fe feroit introduite dans les Univer-
fités de Hollande, (ans les oppofitions de
Scaliger, qui lui fit donner l’exclulion.
On demandera peut-être ce que c’efl:
que cette doctrine, car notre Philofophe
n’a point fait de fyftême proprement dit;
mais en examinant tous fes projets, on
peut les réduire à ces trois points, en quoi
confifte la réforme qu’il a faite dans les
Sciences. i ° . A ne pas fuivre la Philofo-
phie d'Arfiote} ôc à établir cette fcience
fur des principes que le raifonnement feul
avoue, fans refpeét pour aucune autorité.
2°. A commencer l’étude des Mathématiques
par les élémens d’Euclide, au lieu de
fe contenter de connoiflances vagues de la
Sphere célefte & de la Géométrie pratique,
comme on le faifoit dans fon temps.
30. A joindre l’étude de l’Eloquence à
celle de la Philofophie.
R a m u s avoit eu auflï l’envie de réformer
la Grammaire Françoife; il en vouloit
principalement à l’ortographe ; ôc il
défiroit qu’on écrivît comme on parle.
L ’eflai qu’il donna de ce projet dans un
Ouvrage qu’il publia cinq ans avant fa
mort, avec le titre de Grammaire Françoife
, défigura tellement les m ots, qu’il fut
obligé de les écrire à la maniéré ordinaire,
afin qu’on pût entendre fon Ouvrage. A u
refte, cette Grammaire eft recommandable
par l’expofîtion des déclinaifons des noms ,
des conjugaifonsdes verbes, & par l’ordre t
ôc la convenance des mots qui font réglés
par la Syntaxe.
Enfin, quoique ce grand homme n’eût
pas fait une étude particulière des Mathématiques
, il en favoit aflez pour en
connoître les principes, le but, ôc l’utilité;
mais les connoiflances n’avoient pas
l ’étendue néceflaire pour en étendre les
limites. I l écrivit pourtant deux Traités
fur l’Arithmétique Ôc la Géométrie, qui
ont été publiés en 1 ypp par Schoner, avec
ce titre : Pétri Rami Arithmetica, libri duo,
Geométria feptem & viginti à La\aro Scho-
nero recogniti & auêli. R a m u s n’y approuve
point la méthode d3Euclide , & il en
fait une critique dans fon Livre. I l prétend
que cet Auteur pouvoit fuivre un
meilleur ordre, c’eft celui de l’école. I l
l’a adopté dans fa Géométrie; & il ne s’eft
point apperçu que cet ordre énervoit beaucoup
les démonftrations. Audi toutes fes
propofitions ne font que foiblement prouvées
: ce qui eft le plus grand défaut que
puifte avoir un Livre de Mathématiques.
Son Arithmétique eft d’ailleurs plus théorique
que pratique. E t en général toute
cette production eft fort au-deflous de la
réputation de fon Auteur.
B i j