n a m a n
LA ROCHEFOUCAULT.*
CE n’eft point afiez d’être doué de
grandes vertus & d’avoir produit
de beaux Ouvrages pour acquérir de la
célébrité : il faut encore que ces vertus
Sc ces Ouvrages ayent été traverfés &
combattus. Sans c e la , l’admiration la
plus générale ne fait pas une réputation
fo r t étendue. On fe lafie enfin de vous
louer ; Sc on ne parle long-temps de vous ,
que quand on trouve des contradicteurs.
De nom d’un homme pafie ainfï de bouche
en bouche. I l eft encore plus porté
par les critiques que parles panégyriftes.
De s événemens naiffent de cette forte de
controverfe : la renommée les publie ; Sc
chacun s’emprefle de connoître celui qui
en eft l’objet.
L e Moralifte qui va nous occuper , a
eu allez de philofophie & de crédit, pour
ne pas fe lailfer leduire aux éloges qu’il a
reçus , & pour impofer aux envieux de
fon mérite. I l a gagné ainfï de la tranquillité
; bien infiniment préférable à la réputation
que les conteftations donnent. I l
.vaut mieux vivre ignoré , que d’acheter
su prix de fon repos une célébrité frivole.
D eft fâcheux néanmoins pour fa mémoire
, que par cette conduite il nVit
point fourni des traits qui puifTent rendre
fon hiftoire intéreftante. Sa vie a été
uniforme. Sans aucune forte d’ambition,
content de fon état Sc de fa fortune, il n’a
eu a coeur que de vivre conformément à
fa nailfance, Sc de connoître les hommes;
& cette connoiffance qu’il a puifée.dans
j e grand monde, l’a prefque dégo'ûté de
leur eftime. I l a cru que les vertus les
plus pures en apparence , n’étoient que
^es vices déguifés , qu’un rafinement de
»amour propre qui ramene tout à l’intç-
* J^iSlionnaire de Morerî , art. La Rochcfoxcattlr. LÇS
préfaces difféiances de fes Maximes 4 & c . & c . & c.
rêt. Plein de cette idée, il n’a pas été curieux
d’occuper les hommes en faifant
parler de lui. D ’un autre c ô té , fes parens
n’ont pas jugé à propos qu’on connût Sc
qu’on relevât les ti aits de fa vie privée.
Afiez puiflans pour contenir les Ecrivains
qui auroient voulu fatisfâire le
Public à cet égard , ils ont même empêché
que le nom de notre Philofophe parût
à la tête de fon Ouvrage. E t nous liions
dans l’édition de 1 7 4 1 ( c ’eft la onzième
de cet Ouvrage ) ces paroles de
l’Editeur : » Une loi re peétab’e m’eft
» encore impofée de donner cet Ouvrage,
» fans mettre fur fon front le nom de fon
»Auteur, (a) Le Leéteur ne doit donc
point s’attendre à des détails piquans fur
fa vie. On ne fait prefque que le temps
de fa naiffance Sc.celui de fa mort.
François E I . du nom , Duc de L À
R o c h e f o u c a u l t , Prince de
Marillac, Baron de Ver teuil, G uver-
neur de Poitou , & Chevalier des Or-
dres>du Roi , naquit à Paris le 15* Dé cembre
1613 , d’une famille très ancienne
8c très-illuftre. Elevé comme un
Seigneur de fon rang, il pafta fa jeunefie
avec des perfonnes qui l’inftruifîrent ,
moins pour en faire un Savant qu’un
Homme de Cour. Son génie fut en quelque
forte étouffé par les inftruétions qu’on
lui donnoit à cet égard. Son état l’obligea
d’ab&d de fe produire à la Cour ; Sc
on dit qu’il fut grand Courffàn. Si cela
eft , L a R o c h e f o u c 'a u l t ne
naquit point Philofophe , mais il le devint
; car rien n’eft plus oppofé à la Philofophie
que l’ adulation Sc le menfonge.
Qui dit Courtifan, dit flatteur, politique,
diflîmulé , Sc prefque toujours ennemi de
...— n s , Sentences & Maximes morales de M. W
P « c t * * r 7 4 i ^page.X de la Préface.
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