ne penfe pas tout ce que l’on penfe en effet.
E t la troifiéme, d’être abfolument faux,
c’eft-à-dire, de feindre d’être tout autre
qu’on eft véritablement dans le fond. L a
première diffimulation eft une vertu qui
nous concilie la confiance des hommes ;
car quand on fait qu’un homme garde
fidèlement un fecret, on ne craint pas de
lui ouvrir fon coeur & de lui découvrir fes
penfées. L a difîîmulation où l’on cherche
adroitement à donner le change à uneper-
fonne, efi quelquefois néceflaire pour pouvoir
vivre tranquillement. Les hommes
finit naturellement fins. On ne fauroit garder
avec eux un milieu fi jufte, qu’ils n’ap-
perçoivent de quel côté on incline. Par la
maniéré dont on.répond à leurs queftions ,
ils fe mettent fur les voies, & vont bientôt
jufqu’au fentiment qu’on voudroit leur cacher.
Si on garde le filence, ils jugent par
votre filence même. Quant aux équivoques
dont on pourroit ufer , elles ne fau-
roient durer long-temps. D e forte que pour
garder un fecret, il faut néceflaire ment fe
donner laliberté d’être un peu diffimulé,feulement
comme une conféquence du fecret.
La derniere maniéré de diflïmuler, qui
efi le faux femblant, eft abfolument criminelle,
& en même temps la moins adroite.
L ’habitude de feindre ce qui n’eft point,
vient d’une fauffeté naturelle, d’un coeur
bas & timide. Ceux qui diffimulent ainfi,
ont trois a vantages en vue. Premièrement,
c’eft d’endormir l’oppofition, 8c de fur-
prendre leurs adverfaires,qui font en garde
lorfqu’on marche à découvert. En fécond
lieu , de s’affurer une retraite ; car fi on eft
engagé par fa propre déclaration, il faut
ou qu’on vienne à bout de fon entreprife,
chi qu’on perde fa réputation. Enfin, c’eft
de découvrir plus facilement le fecret des.
autres. Audi l’Efpagnol, qui pafle en général
pour difiîmulé, a un proverbe qu’il ef-
time très-vrai : Dites un m en fon g ev o u s
fa.ure\ une vérité:.
Cependant il y a trois inconvénienscon-
fi'dérables qui balancent ces trois avantages.
i° . Celui qui diffimule, paroît manquer
de confiance ; & c’eft un grand empêchement
dans les affaires. 2°. I l fait naître
des doutes 8c de l ’embarras dans l’efprit de
ceux qui pourroient lui être utiles. 30. E t
il fe prive du fecours le plus néceffaire
dans l ’aétion, l’autorité 8c le crédit que
donne l’opinion de la bonne foi.
IV . On attribue à l’Envie comme à
l ’Amour, le pouvoir d’enforceler les hommes.
En effet, ces pallions ont des défirs
véhémens, 8c toutes deux ont leur fourçe
dans l’imagination des hommes. Ce font là
les chofes qui fubjuguent tellement l ’homme
, qu’il en perd fouvent la raifon. L ’envie
naît de l’amour propre, qui nous porte
à nous eftimer plus que les autres, quel-
qu’avantage qu’ils puiffent avoir fur nous.
Celui qui n’a aucune vertu, porte toujours
envie à celle.des autres. L ’efprit de l’homme
fe plaît 8c fe nourrit du bon qui eft en
lui, ou du mal qui eft en autrui. Si l ’un lui
manque, il fe raffafie de l’autre. S’il n’afpire
pas à une vertu qu’on admire, il tâchera du
moins de nuire à celui qui la pofiêde, pour
diminuer l’inégalité qui eft entr’eux. Les
parens 8c les affociés en charge, 8c ceux qui
ont été élevés enfemble, portent ordinairement
envie à la fortune de leurs camarades.
Ils regardent leur élévation comme
un fujet de reproche qui met entr’eux une
dîftinéiion défavantageufe , laquelle eft
toujours préfente à leur efprit. Lesperfon-
nes difformes & les vieillards font aufïî fu-
jets à l’envie. Celui qui ne peut remédier
à fon état, fait ordinairement de fon mieux
pour avilir celui des autres. Lesperfonnes
d’une naiffance diftinguée portent ordinairement
envie aux hommes nouveaux qui
s’élèvent, parce que leur diftance entr’eux
n’eft plus la même. Ceux qui par légèreté
ou par une vaine oftentation fe piquent
d’exceller en plufieurs chofes, font ordinairement
envieux. Ils craignent que quelqu’un
ne les furpaffe en l’une des chofes
qu’ils affeftent de favoir. L ’Envie fub.ju-
gue tellement tous les hommes, que celui
là même qui s’ingère par curiofité dans
les affaires qui ne le regardent point, eft
encore envieux, ne croyant pas qu’il foit
utile à fes intérêts d’être fi pleinement inf-:
truit de ceux des autres. En un mot, c’eft
la plus importune & la plus confiante despaçons.
Les autres ne fe montrent que de
temps en temps; mais, celle-ci n’a jamais.
de vacances : invidiafejlos dies non agît. Elle
eft fans repos. Elle fait languir ceux qui
en font rongés. Elle travaille toujours
fecrétement & dans l’obfcurité c’eft
aufïî la plus baffe 8c la plus indigne des
paffions.
V . La Vengeance eft une forte de juftice
injufte. L ’injure offenfe la lo i, mais la vengeance
de l’injure empiète 8c s’arroge le
droit de la juftice. L a vengeance contre les
offenfes où les loix ne remédient point,
eft la plus permife. L a vengeance la plus
généreufe eft celle des perfonnes qui veulent
que leur ennemi fâche d’où vient le
coup. I l paroît alors qu’on cherche moins
à faire du mal à fon ennemi qu’à l’obliger à
fe. repentir. Mais rien n’eft plus honteux
qu’une vengeance baffe 8c poltrone ; 8c il
n’y a point d’homme plus méprifable que
celui qui a l’efprit vindicatif : il peut bien
faire des malheureux ; mais il meurt enfin
malheureux lui-même.
V I . Cependant la Vengeance triomphe
de la Mort. L ’Amour la méprife, l’Honneur
la recherche, la Douleur la fouhaite
comme un refuge, la Peur la devance, 8c
la Foi la reçoit avec joie.
f Les hommes craignent la mort comme
les enfans l’obTcurité ; & comme cette
crainte eft augmentée par les fables qu’on
leur raconte, on augmente de la même
maniéré dans l’ efprit des hommes la crainte
qu’ils ont de la mort.
C ’eft une chofe louable de méditer fur
la mort, fi on la regarde comme une puni-
tion du péché, ou comme un paffage à
une autre vie. Mais c’eft une foiblefïe de la
craindre, fi on la regarde fimplement comme
le tribut qui eft dû a la nature. I l entre
fouvent de la vanité & de la fuperftition
dans les méditations pieufes. Il y a des fpé-
culatifs qui ont écrit que l ’homme doit
juger par la douleur qu’il fouftre quelquefois
au petit doigt, combien eft grande la
douleur que caufe la mort, lorfque le corps
fe corrompt & fe diffout. Mais fouvent la
frafture d’un membre caufe plus de douleur
que la mort même : les parties les plus
vitales ne font pas les plus fenfibles.
(d) La Politique du Chevalier Bacon , Chancelier d'Anelett
Celui qui a dit ( en parlant fimplement
comme Philofophe) que l’appareil de la
mort effraie plus que la mort même, a
eu raifon à mon fens. Les gémiffemens,
les convulfions, la pâleur, les pleurs de
nos amis, 8c la moindre préparation des
obfeques, c ’eft ce qui rend la mort ter-,
rible.
On doit remarquer que les paflîons ont
plus de force fur l’efprit de l’homme, que
la crainte de la mort : elle ne doit pas être
un ennemi fi redoutable, puifque nous
avons toujours en nous de quoi la vainc
r e ] (æ). . -
Celui-là penfe fenfément, qui place fimplement
la fin de la vie entre les offices de
la nature. I l eft aufïî naturel de mourir que
de vivre ; 8c peut- être on fouffre autant en
naiffant qu’en mourant. C e qu’il y a de certain
, c’eft qu’il n’eft rien de plus doux que
de pouvoir chanter Nunc dimittis, quand
on eft parvenu à un but digne d’eftime 8c
de gloire. L a mort produit encore .ce bon
effet : elle ouvre la porte à la renommée, &
détruit l’envie : extinftus amabitur idem.
Politique de B a c o n , ou la maniéré d*étendre
les bornes d’un Royaume, & de confer-
ver la paix ,foït au-âedans, foit au-dehors.
On demanda à Themiftocle, qui étoit
dans un banquet, s’ il favoit jouer du luth :
il répondit qu’il n’y èntendoit rien ; mais
qu’il favoit bien faire une grande Ville
d’un petit V illage : réponfe fiere qui fîgni-
fioit littéralement qu’il favoit mefurer 8c
calculer; car la grandeur d’un Royaume
eft foumife à la mefure quant aux terres ,
ôc au calcul quant aux revenus. Ce n’eft
pas là cependant ce qui fait la force d’un
Etat. Ce qui la conftitue cette force, c’eft
f ° . Que le peuple foit brave 8c généreux ;
2°. Qu’il ne foit pas opprimé par les impôts.
Les contributions qui font faites par
un confentement public, abattent moins le
courage des fujets, que ne font les impofi-
tions qu’on eft obligé de payer d’autorité,
I l faut en fuite prendre garde qu’il n’y
ait pas un trop grand nombre de nobles
, fécondé Partie : à Londres , 17V PaS* 75*