lêt particulier doit l’emporter fur
toute autre confidération. Avec ces
armes on fe rend invulnérable. On
n’écoute plus les meilleurs raifon-
nemens. On méprife la vérité avec
hauteur. On s’applaudit impunément
de fes fottifes. On dédaigne
& on écarte les gens éclairés, ôt
on étouffe fans pudeur le goût & le
favoir. Si cette opinion fe répand,
la barbarie leve la tête, accompagnée
des maux innombrables qui
viennent toujours à fa fuite. Et c’eft
ce qui arriva dans les temps qui
précédèrent la renaiffance de la
Philofophie,
Lorfque les Gots's'emparèrent
de l’Italie, après la. chute de l’Empire
Romain , non-feulement ils
profcrivirent. l'étude : ils cherchèrent
encore à effacer la mémoire de
l ’ancienne Philofophie, en détrui-
fant fes annales. Ilsn’eftimerent que
le luxe, dépravèrent les moeurs ,
opprimèrent la vertu, détruifirent
les chefs-d’oeuvies, des Romains ,
allumèrent le flambeau d’une fan-
glante guerre, ôc répandirent partout
la défolation ôc le dégât.
L ’ignorance revêtue de l’autorité
ôt de la force , éteignit les facultés
naturelles de l’entendement. On
ne penfa plus : on ne fit que végéter.
Ce défaftre alla fi loin, qu’une
partie des temps fuivans fut appel-
lée l’age de plomb, qui ne le céda
en rien à l’âge de fer des Poètes.
Quelques génies privilégiés effaye-
rent bien de fecouerle joug de cette
dure fervitude, mais ils furent peu
écoutés.
Plufieurs fiécles s’écoulèrent fans
qu’on s’apperçut d’un changement
fenfible. Le Clergé, qui prétendoit
avoir quelques lumières, étoit encore
fi ignorant dans le VIIIe liécle,
qu’il n’entendoit pas même le latin
des Offices divins. Sa plus haute
ambition étoit de favoir bien chanter
au lutrin. Les Eccléfiaftiques fe
défioient les uns les autres, fans
être curieux de favoir ce qu’ils di-
foient. Cette émulation alla elle-
même fi loin, que Charlemagne fe
trouvant à Rome dans le feu de
cette querelle, crut devoir ufer de
fon autorité pour la faire ceffer fa).
L ’éducation de ce Prince avoit cependant
été tellement négligée ,
qu’il ne favoit pas même lire mais
il avoit affez de jugement pour con-
noître le prix des Sciences, & il
forma le deffein d’en être le Promoteur
& le Protecteur. Il demanda
au Pape Adrien de lui procurer quelques
perfonnes qui fuffent en état
d’enfeigner les premiers élémens de
la Grammaire ôt de l’Arithmétique
à fes Su jets; car cesArts étoient abfo-
lument ignorés dans fes Etats. Rétablit
dans fon propre Palais une école
publique fous la direction du fameux
Alcuin. Mais l’ignorance étoit
fi profonde , que fes follicitudes ôc
[aJ Joaànis Launoii Opera, Tom. IV.
les foins de ce Savant n’eurent aucun
fuccès. Charlemagne gémiffoit
de voir qu’on eût fi peu d’ardeur à
s’inftruire. Il étoit fur-tout touché
de la ftupidité du Clergé. On lui
écrivoitdes lettres de différènsMo-
nafteres, pour lui apprendre qu’on
offroit pour lui, au Seigneur de fréquentes
prières ; ôt la plupart de ces
lettres, quoique pleines de bons fen-
timens, étoient fi mal compofées,
qu’il ne pouvoit les lite fans une
efpèce d’indignation. Son zèle pour
le bien des hommes ; égal à fon affliction
fur leur état actuel, le porta à
mettre une barrière infurmontable
aux progrès de l’ignorance. Il affem-
bla à cet effet plufieurs Conciles, où
l’on fit de beaux réglemens pour
obliger les Eccléfiaftiques & les
Moines à étudier. Dans celui qu’on
tint à Châlons dans le IXe fiécle,
les Peres de ce Concile firent un
canon pour les exhorter à écrire
exaâement leurs manuels, crainte
qu’en priant Dieu pour une grâce,
on lui demandât précifément tout
le contraire.
Ce n’étoit pourtant pas du côté
de l’écriture ôc de la diction que
l’ignorance du Clergé étoit déplorable.
Ce qu’il y avoit de plus fâcheux
, c’eft qu’il donnoit de fort
mauvaifes inftruâions aux Fidelles
confiés à fes foins. Au lieu de les
guider par les préceptes de l’Evangile
, il les amufoit avec de faux miracles
, ou les épouvantoit par des
contes controuvés fur les démons
ôc les fpectres. Du relie, il ne leur
parloit ni des vices, ni de la vertu ;
ôc il confondoit fouvent les urs
avec l’autre. La dépravation d: s
moeurs que cette confùfion avo’t
produite étoit fi grande, qu’on fut
obligé de convoquer des Conciles
pour défendre l’adultere,l’incefte,ôc
la pratique des fuperftitions païennes
; pour empêcher qu’on ne reconnût
plus de trois Anges ; pour
enjoindre aux Evêques de ne plus
convertir leurs Palais en auberges
publiques, ôc de ne plus vendre les
excommunications; ôc pour féparer
les Moines des Religieufes,avec lefi.
quelles ils habitoient pèle - mêle
dans le même Couvent.
Toutes ces défenfes produifirent
encore peu d’effet. Dans le XIe fiécle
les Eccléfiaftiques étoient fi bornés,
qu’ils ne connoiffoientpas même
leur état. Ils exetçoient la fonêtion
de Clercs fans en porter l’habit. Ils
prenoient les armes, ôc alloient à la
guerre. Les Moines quittoient librement
leurs Monafteres, ôc paffoient
dans d’autres où l’on vivoit fans
règles. Ilsfaifoient l’ufure fans fcru-
pule. Les Confeffeurs donnoient
pour de l’argent l’abfolution des
plus grands péchés. La fimonie ôc
le concubinage des Clercs étoient
publics. On avoit rendu les bénéfices
héréditaires dans les familles.’
On vendoit les Evêchés du vivant
même des Evêques. Ceux qui
étoient riches difoient hautement,
qu’ils fe pafferoient bien de bons